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Chapitre 2. 1941 : Assurer un contrôle sur la captivité Consolidation de la politique impériale

2.7 Bilan : La captivité de guerre se complexifie entre Londres et Ottawa

Plusieurs événements se bousculent au cours de l’année 1941 au sujet de la détention des prisonniers de guerre allemands à l’Ouest. Pour faciliter la compréhension des enjeux qui forment cette période, il est important d’analyser parallèlement les différents développements, évènements et négociations qui prennent place. Un regard chronologique sur la question permet de mettre en perspective l’évolution de la captivité à travers les rapports établis entre les différents acteurs impliqués. Contrairement aux études existantes qui décrivent l’établissement de la captivité au Canada comme étant le résultat d’une coopération avec Londres118, cette présente

thèse avance que la détention sur le territoire canadien en 1941 est plutôt un vecteur de discordes

116 Ibid.

117 NARA, RG389, Entry 467 A, Box 1533, Office of the Military Attache London to Chief Counter Intelligence, U.S. Army, War Department, Report from Chet W. Wadsworth, Military Observer, Washington, 17.12.1941. 118 Auger, op.cit., Bernard et Bergeron, op.cit., Koch, op.cit., Kelly, op.cit.

entre Ottawa et Londres. Bien que la captivité soit en effet motivée par une volonté de soutien intra-Commonwealth, celle-ci évolue plutôt en fonction des divergences entre les deux alliés en raison notamment de l’incompatbiltié entre le principe d’agent et la politique du DEA.

Globalement, plusieurs débats persistent au sein de l’alliance canado-britannique. Le principal désaccord demeure l’interprétation des principes de puissance détentrice et d’agent tels que définis par les autorités britanniques et les responsabilités qui en découlent sur le plan du droit international. Pour les Canadiens, ces interprétations non seulement s’arriment difficilement avec la réalité de la détention, mais entrent directement en opposition avec leurs intérêts à la fois nationaux et internationaux. La discorde au sujet du partage des responsabilités n’est pas une nouveauté et ne survient pas précipitamment en 1941. Dès l’été 1940, Londres considère qu’Ottawa adhère à la définition britannique. Toutefois, pour les Canadiens, cette entente n’a jamais été négociée avant les transferts des prisonniers. C’est plutôt une politique imposée par Londres après les transferts de détenus et surtout sans consulter ni considérer les positions du Canada.

L’augmentation du nombre de détenus au cours de l’année 1941 et l’accroissement des ressources nécessaires mènent à une attention accrue concernant les politiques de détention ainsi qu’à une complexification des rapports interalliés. Les deux parties constatent que le sujet demande davantage de discussions et d’échanges entre elles, du moins de manière plus régulière et structurée. La mise sur pied de l’Intergovernmental Prisoners of War Committee reflète la volonté de trouver des solutions aux problèmes présents dans les relations intra-Commonwealth présents depuis le début de la captivité au Canada. En ce sens, l’établissement d’une définition claire des responsabilités, acceptée par toutes les parties devient nécessaire à cause des difficultés engendrées par ce manque : disparité dans les politiques, revendications du Canada pour être reconnu comme Detaining Power, relations diplomatiques avec la Croix-Rouge et la Suisse, etc. Ce comité représente une solution intermédiaire pour Londres. Cet organe sert a confirmer leur autorité sur le sujet, assurer la coordination de la captivité à travers le Commonwealth, en plus de répondre aux critiques des dominions quant au manque de communication en leur accordant une place au sein du comité.

Mais est-ce que l’IPOWC est vraiment efficace dans la gestion de la captivité en 1941 ? La réponse reste complexe. Dans un premier temps, ce comité favorise la collaboration entre les Alliés via les réunions officielles et les discussions. Toutefois, le gouvernement canadien prend rapidement conscience que cet organe s’avère plutôt un instrument de la politique impériale britannique. En ce sens, les Britanniques utilisent l’IPOWC pour assurer leur position sur les différentes questions liées aux prisonniers de guerre. En justifiant la nécessité d’une uniformité pour éviter les représailles et tout problème avec Berlin, ainsi que son autorité sur la diplomatie, Londres profite de ce prétexte pour imposer ses politiques selon ses intérêts. Quelques mois après la création du comité, le Canada critique déjà sa structure, les autorités qui y siègent, son fonctionnement ainsi que l’ambiguïté de la définition de puissance détentrice sur laquelle il repose et avec laquelle le Canada est en désaccord depuis 1940. D’ailleurs le problème de définition n’est toujours pas réglé en décembre 1941. Les divergences sur le partage des responsabilités et la définition de puissance détentrice demeurent toujours problématiques entre les deux Alliés, malgré la création de l’IPOWC. Par conséquent, Ottawa refuse de concéder une partie de sa souveraineté nationale à Londres, ce qui se reflète dans ses positions au sein de l’IPOWC, et face à celui-ci.

La position adoptée par le Canada au sein de ce comité se déploie en deux temps. D’abord, Ottawa approuve le principe d’agent quant à l’administration de la détention, à l’importance de l’uniformisation des politiques à travers le Commonwealth, ainsi qu’au concept de « voix commune » représentée par Londres dans les négociations avec Berlin. Toutefois, l’application concrète de ce principe reste difficile au Canada, autant pour l’établissement des politiques de détention en fonction des particularités du territoire canadien que pour les questions de relations extérieures. Par conséquent, Ottawa s’affiche en désaccord avec la définition des responsabilités proposée par les Britanniques. La centralisation du pouvoir décisionnel à Londres apporte certaines contradictions avec l’interprétation canadienne de puissance détentrice et ses responsabilités comme signataire de la Convention de Genève, ce qui complique la gestion et l’administration de la captivité.

Selon le gouvernement canadien, le Canada a tous les droits d’appliquer les politiques de détention qu’il juge nécessaires pour sa sécurité nationale. À ce titre, il se définit comme une

puissance détentrice puisqu’il est de facto directement responsable des prisonniers de guerre. Bien qu’ils admettent la nécessité et leur volonté de coordonner la captivité à travers le Commonwealth et en ce sens, collaborer étroitement avec Londres, les Canadiens refusent que l’ensemble du processus décisionnel repose sur les Britanniques. Les autorités canadiennes considèrent que le traitement des prisonniers en respect avec le droit international nécessite qu’un plus grand pouvoir décisionnel repose entre leurs mains et que des communications accrues avec la Suisse, le CICR et le YMCA soient établies. On constate un effort marqué d’Ottawa pour établir des liens directs avec les organisations transnationales afin de ne plus passer par les organes britanniques. Les Canadiens s’occupent d’un grand nombre de prisonniers de guerre et doivent gérer les problèmes soulevés par leur captivité. Par conséquent, ils constatent en pratique que le partage des responsabilités tel qu’élaboré par Londres ne correspond pas à la réalité de la gestion quotidienne des camps. D’ailleurs, lorsque les autorités canadiennes font un bilan de leurs opérations, ils recommandent une plus grande prise de décision à Ottawa pour une gestion plus directe, rapide et efficace de la captivité, même si les Britanniques financent les opérations de détention. Ce constat explique que certains éléments sont revendiqués par les Canadiens alors que les Britanniques insistent pour contrôler d’autres aspects de la captivité.

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