• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3. 1942 : Changement de régime et durcissement de la captivité à l’Ouest

3.6 Les États-Unis participent à la captivité

Au printemps 1942, la victoire britannique en Afrique du Nord se répercute par un afflux majeur de prisonniers allemands. Cependant, à Londres, la situation est jugée critique puisqu’aucun dominion n’est en mesure de recevoir ces milliers d’individus. Selon le War Office, le choix du Canada présente des complications en raison des revendications d’Ottawa quant à ses responsabilités pour les captifs, mais surtout pour le manque d’installations adéquates disponibles immédiatement69. Les États-Unis par contre, maintenant officiellement en guerre et participant aux combats sur le front africain, représentent une option intéressante de par les nombreuses ressources disponibles sur leur territoire. Par conséquent, Londres demande à Washington en avril 1942 d’accueillir 150 000 prisonniers de guerre allemands pour le compte de la Grande- Bretagne. Afin de convaincre les Américains, on signale que le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud ont déjà été sollicités et qu’aucune place n’est disponible autant chez les dominions que sur le territoire britannique qui fait d’ailleurs toujours face à une menace d’invasion par l’Allemagne. De plus, on mentionne que ces transferts seront en règle avec la Convention de Genève puisque ces prisonniers sont considérés comme étant sous la responsabilité des forces alliées et que les deux pays combattent sur le même front. En ce sens, le sujet des prisonniers de guerre inclus les deux pays et nécessite une coordination des efforts. Finalement, le Foreign Office mentionne que les Américains seront la puissance détentrice officielle et donc, pleinement responsables de ces individus70.

68 BAC, RG25, Vol. 2779, Memo N.A. Robertson to High Commission for Canada London, 16.10.1942. Une partie des témoignages sont disponibles dans le Fonds RG24, Vol. 6585, Dossier Weekly Broadcasts of excerpts from Letters Written by GAF POW in Canada.

69 TNA, CAB122/232, Memorandum From Eden to R. Campbell, London, 18.07.1942.

70 NARA, RG165, Entry 421, Box. 386, British Embassy Washington D.C. to Department of State, 14.04.1942. et TNA, WO32/10714, Memorandum from Washington to Foreign Office, 22.04.1942.

En réaction à cette demande, le Joint Chiefs of Staff (JCS) mandate un groupe d’experts pour évaluer la faisabilité d’une telle détention en sol américain. Ce comité se penche sur les responsabilités légales soulevées par la captivité de guerre, le traitement des captifs, la main- d’œuvre nécessaire pour cette détention et le nombre exact de prisonniers impliqués71. Considérant les accommodations actuellement disponibles aux États-Unis, la possibilité de transports, les coûts et la capacité d’accueil du Commonwealth, le comité recommande au gouvernement américain d’accepter un maximum de 50 000 détenus et que les 100 000 autres prisonniers devraient plutôt être envoyés au Canada qui semble posséder cette capacité d’accueil :

It recommend to the Secretary of State that the United States indicates willingness to accept custody of not to exceed 50,000 prisoners of war from Middle East and the United Kingdom on one month’s notice, it being understood that no shipping is to be diverted specifically for this movement. Further that it is the belief of the Joint Chiefs of Staff that the remaining 100,000 prisoners should be accepted by Canada, where prisoners of war can be usefully employed, before the United States accepts custody of additional prisoners of war.72

D’un autre côté, un autre sous-comité du War Department, le Joint Staff Planners (JSP), réévalue plutôt favorablement la demande de Londres. Il mentionne que l’accueil de ces prisonniers doit être perçu avant tout comme un apport à l’effort de guerre allié en rappelant que le nombre croissant de captifs drainent considérablement les ressources de la Grande-Bretagne.

At the Joint Staff Planners Meeting (30th meeting) August 26, the Deputy Chief of Staff, General McNarney, stated that the question of custody of prisoners should be approached from the point of view of its contribution to the overall war effort, and referred to a report of General Macready to the effect that custody of prisoners had become a serious strain on the British resources, particularly in the Middle East.73

Selon ce groupe de militaires, les États-Unis peuvent actuellement accueillir 25 000 détenus sans construire aucune installation. Un nombre supérieur de prisonniers nécessitera toutefois l’aménagement de sites supplémentaires, ce qui ne semble pas constituer un problème sérieux puisque les coûts engendrés par la captivité seront éventuellement remboursés par l’emploi des captifs dans divers secteurs économiques afin de combler les besoins de main-d’œuvre. Suivant ces recommandations, on suggère donc d’aider les Britanniques dans les plus brefs délais, jugeant

71 NARA, RG165, Entry 421, Box. 386, Report Meeting by JCS, Acceptance of Custody of POWs by U.S., 19.09.1942.

72 NARA, RG165, Entry 418, Box. 1299, Report from JCS, Acceptance of Custody of POW taken by the United Nations, 7.10.1942.

73 NARA, RG165, Entry 418, Box. 1299, Memorandum for Assistant Chief of Staff for Operation, Chief of Transportation Corps and Chief of Administrative Services, Custody of Prisoners of War, 30.08.1942.

que les États-Unis possèdent les ressources nécessaires pour accueillir ces détenus et qu’aucune condition actuelle ne justifie un refus. De leur côté, les autorités britanniques, informées du rapport défavorable produit par le col. Davison, tentent de convaincre le War Department en avançant que les dominions utilisent déjà une large partie de leurs ressources pour soutenir l’effort de guerre allié, ce qui rend difficile une détention supplémentaire de cette ampleur sur leurs territoires74. Washington acquiesce finalement à la demande de Londres, acceptant même 25 000 prisonniers italiens supplémentaires, mais exige un minimum d’un mois pour préparer l’arrivée des détenus75. Cette décision est directement relayée au commandement allié en Europe (SHAEF) puisque les prisonniers capturés sur le front africain seront dorénavant remis aux autorités américaines qui en acceptent la pleine responsabilité par rapport au droit international76.

En acceptant les prisonniers de guerre des Britanniques, les autorités américaines se retrouvent dans l’obligation de mettre sur pied un réseau de détention. Dans ce but, plusieurs rapports sont produits concernant les sites actuellement disponibles, la distribution des futurs détenus sur le territoire en fonction des installations et des besoins économiques de chaque État, ainsi que les ressources nécessaires pour accueillir ces militaires77. On prévoie aussi la mise au travail de

100 000 captifs. En ce sens, on évalue les industries nécessitant une main-d’œuvre et les installations pour loger ces travailleurs de manière sécuritaire et en règle avec la Convention de Genève. Selon un rapport remis au State Department, les industries agricole, forestière et minière de même que la maintenance des routes forment les secteurs privilégiés pour employer les prisonniers78. Cependant, les autorités responsables d’organiser la captivité constatent rapidement leur manque d’expertise sur le sujet, le manuel d’instruction disponible pour la gestion de la détention datant de 1937. De plus, il est jugé important d’harmoniser le système de détention américain avec celui britannique pour éviter que le changement d’environnement n’affecte négativement les prisonniers, ce qui pourrait engendrer des plaintes79.

74 TNA, CAB122/232, Report by R.D. Coleridge to War Department, JCS, 31.08.1942.

75 NARA, RG165, Entry 418, Box. 1299, Memo from Amiral William D. Leahy to Sumner Wells, 22.10.1942. 76 Dwight D. Eisenhower Presidential Library, Bobine 63-9/1, Roll. 10, Administrative History Collection, Historical Section, ETOUSA, Allied Force Headquarters, European Theater, Prisoners of War, 18.10.1942.

77 NARA, RG165, Entry 421, Box. 386, Memorandum to the Commanding General, Supply, Plan for Acceptance of Custody of Prisoners of War taken by the United Nations, 15.09.1942.

78 NARA, RG389, Entry 461, Box. 2687, Memorandum from War Department to Chief of Engineers, U.S. Army, Additonal Prisoners of War camps, 16.12.1942.

Pour pallier à ces difficultés, Washington envoie des spécialistes pour observer le modèle britannique. Le War Department mandate d’abord John Barwick du YMCA. Ce dernier produit un rapport décrivant l’administration des camps, le traitement et la composition des prisonniers. Il note au passage la présence de plusieurs « nazis fanatiques » parmi les captifs80. Les Américains s’intéressent notamment au service de renseignements britannique et la censure du courrier : nombre d’officiers, procédures, difficultés rencontrées et informations recueillis81. Un autre groupe d’experts suggère d’établir une structure centralisée similaire au Prisoners of War Information Bureau à Londres pour assurer les communications avec la puissance protectrice et au DPW pour gérer le réseau de camps, le transport des détenus82. Ce dernier souligne la grande collaboration des Britanniques : « The British authorities continue to be genuinely helpful and quite willing to share with us their experience and facilities […] It has been possible to establish on a most friendly and personal basis the work relative to prisoners of war83. »

Par ailleurs, Washington demande à consulter directement les Canadiens au lieu de simplement passer par le War Office. Au-delà des recommandations théoriques du Directorate of Prisonners of War quant à la gestion de la captivité, les Américains souhaitent observer la pratique concrète expérimentée par les Canadiens, d’autant plus que les deux pays sont voisins84. Ottawa est ouverte à se type d’échange. Grâce aux entretiens entre la DOI et le représentant américain à Ottawa, Washington obtient une meilleure compréhension de l’organisation de la détention en sol canadien. La répartition des camps, les problèmes rencontrés dans la gestion et la sécurité, le traitement des détenus, le service de renseignement et la censure au Canada offrent un modèle concret de captivité aux Américains en raison de la similarité du territoire85. Par exemple, afin d’éviter les coûts élevés liés à la préparation des installations durant la saison hivernale, on décide d’établir la grande majorité des camps dans les États du Sud (Texas, Arkansas, Louisiane,

80 NARA, RG389, Entry 452, Box. 1411, Dossier Prisoners of War, Memorandum submitted to Lieutenant Commander Albrecht USNR by John W. Barwick, 1.05.1942. Barwick avait déjà une expérience avec les camps britanniques en raison de ses travaux pour le YMCA depuis 1939.

81 NARA, RG389, Entry 452, Box. 1411, Memorandum for OPMG, British Censorship of POW Mail, 11.05.1942. 82 NARA, RG389, Entry 452, Box. 1411, Report, Interrogation of POWs, 3.06.1942.

83 NARA, RG389, Entry 452, Box. 1411, Report from Collman E. Yudelson to Col. Bryan, OPMG, 17.10.1942. 84 BAC, RG25, Vol. 2777, Dossier: Enemy Prisoners of War in the British Empire, Memorandum from Canadian Legation at Washington and State Department, 27.01.1943.

Oklahoma, etc.). Aussi, pour faciliter la gestion des camps, on limite leur capacité à un maximum de 10 000 prisonniers en suivant l’exemple des camps de Lethbridge et Medicine Hat86.

Résultant des observations et des échanges avec leurs alliés, les Américains mettent sur pied un réseau de détention largement inspiré du modèle britanno-canadien en termes d’organisation, d’administration, de gestion des camps et de communication avec la puissance protectrice87. D’ailleurs, les deux alliés s’entendent pour partager un maximum d’information sur les détenus. Il s’en suit une préparation intensive en prévision de l’accueil des premiers détenus prévus pour décembre 1942. Cependant, bien que Washington adopte plusieurs mesures expérimentées par le Commonwealth, certaines politiques appliquées par les Canadiens et les Britanniques sont au contraire rejetées et même critiquées. L’exemple le plus probant est celui de la crise diplomatique connue comme la crise des menottes ou Shackling Crisis, qui survient entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne à l’automne 1942. Cette crise va marquer un durcissement à l’endroit de la captivité. Entretemps, cette tendance va déjà être soulevée par les Canadiens.

Outline

Documents relatifs