• Aucun résultat trouvé

Premier cas : projets, programmes et plates-formes: les recherches sur la listériose

Chapitre 5 : La gestion des plates-formes, instrument d'une politique de recherche: le

2.1. Premier cas : projets, programmes et plates-formes: les recherches sur la listériose

Le séquençage du génome était, il y a encore trois à quatre ans, des programmes de recherche à part entière de l'institut Pasteur. Ce n'est plus le cas aujourd'hui dans la mesure où il existe au moins un génome séquencé pour la plupart des groupes bactériens. L'intégralité de la séquence génomique de plus d'une cinquantaine de génomes microbiens est désormais publiée. Les génomes d'environ cent-soixante autres organismes sont en cours de séquençage, et les projets foisonnent : on estime que ces dernières années, le nombre de séquences obtenues a doublé d'une année sur l'autre. Le séquençage global d'un génome n'étant pas une fin en soi, il reste à caractériser la fonction des milliers de gènes séquencés : c'est l'objet de la génomique fonctionnelle.

Une stratégie de recherche développée dans ce cas par les unités de recherche de l'institut Pasteur en matière de génomique fonctionnelle a consisté à mettre en oeuvre les principes de la génomique comparative. Celle-ci consiste à étudier la fonction des gènes par la comparaison des génomes d'espèces voisines selon les principes de la génomique comparative.

"Cette "génomique comparative" permet d'approcher la fonction des gènes. Par exemple, les régions impliquées dans la pathogénicité d'un organisme peuvent être identifiées en comparant son génome avec celui d'un organisme proche non-pathogène : les gènes de pathogénicité seront a priori localisés dans les seules régions qui diffèrent entre les deux génomes. Cette stratégie permet de réduire le nombre de gènes soumis à une analyse fonctionnelle spécifique. Elle peut s'effectuer in vitro, grâce à des outils comme les puces à ADN, ou leurs équivalents non miniaturisés, les membranes à haute densité. Elle peut également être réalisée par le biais de programmes informatiques (in silico), ce qui n'est possible que si la séquence génomique d'un organisme proche de celui à étudier est disponible dans les banques de données. Plus le nombre de génomes entièrement séquencés augmente, plus ce type d'approche in silico, rapide et économique, se généralise.

Par ailleurs, étudier la fonction des gènes et leurs interactions requiert une analyse de leur expression: quand interviennent-ils ? Dans quelles conditions ? Des outils (puces à ADN, membranes à haute densité), spécifiques à un génome et élaborés une fois sa séquence connue, permettent de cataloguer l'ensemble des gènes exprimés par une cellule à un moment donné. Ces outils sont conçus pour détecter la présence des produits de transcription des gènes (ensemble des ARNm ou transcriptome), qui permettent la fabrication des protéines."

Cet extrait du site internet (la génomique à l'institut Pasteur) éclaire la stratégie de recherche de l'institut en matière de génomique comparative. L'exemple des recherches sur la listériose va permettre d'illustrer cette stratégie et de mieux comprendre comment les équipements et les compétences des plates-formes sont mobilisées dans ce processus.

Le programme de recherche transversal sur la listériose

La listériose est une infection contractée par l'ingestion d'aliments contaminés par Listeria monocytogenes, qui se manifeste par des méningites, méningo-encéphalites, septicémies, avortements, infections périnatales et gastro-entérites. Mortelle dans 20 à 30% des cas, elle touche

68 Ce cas s'appuie sur des entretiens conduits avec Philippe Glaser, co-directeur du laboratoire de génomique des micro-

organismes pathogènes (LGMP), Pascale Cossart, chef de l'unité interaction bactéries-cellules (IBC), directrice du GPH bactéries à "Gram +" et Mme Bouchier directrice de la plate-forme d'analyse génomique. Il s'appuie également sur le rapport d’activité du LGMP et sur les documents du site internet sur Pasteur et la génomique qui présentent le programme de recherche sur la listériose (http://www.pasteur.fr/actu/presse/dossiers/genomics/index.html).

préférentiellement des personnes immunodéprimées naturellement (femmes enceintes, nouveaux- nés, personnes âgées) ou à l'occasion d'une maladie (cancer, cirrhose, traitement immunosuppresseur).

A l'Institut Pasteur, Pascale Cossart et Philippe Glaser ont coordonné un consortium européen pour le séquençage du génome de Listeria monocytogenes qui a duré trois ans. L’unité IBC, dirigée par P.Cossart, qui est membre de l'Académie des sciences depuis avril 2002, connaît depuis longtemps la Listeria et est en mesure de faire des hypothèses sur les gènes de virulence. Son équipe a publié en 2001 un article dans Science sur les mécanismes de traversée de la barrière placentaire par la bactérie pathogène Listeria monocytogenes69. L'unité LGMP, dirigée par P. Glaser, est spécialisée dans le séquençage du génome et de la mise au point des protocoles et des techniques permettant de relier la diversité des souches des microorganismes, leur virulence et les caractéristiques des génomes.

Parallèlement, les deux équipes pasteuriennes ont entrepris le séquençage du génome d'une espèce non pathogène : Listeria innocua. La comparaison de ces deux génomes a permis de mettre en évidence que 270 des 3000 gènes de Listeria monocytogenes sont absents chez Listeria innocua. Leur étude a permis non seulement de mieux cerner les gènes responsables de la virulence de l'agent de la listériose, mais aussi de mieux comprendre sa capacité d'adaptation à différents milieux.

Les résultats de ces travaux de génomique comparative ont donné lieu à des publications régulières, notamment dès 2001 dans Science sur le séquençage du génome de Listeria monocytogène70. C'est la première fois que sont publiées ensemble les séquences génomiques

d'une bactérie pathogène et d'une bactérie non pathogène du même genre bactérien.

Pour aller plus loin dans la recherche, les deux équipes pasteuriennes se sont associées avec le

Centre National de Référence des Listeria, situé à l'Institut Pasteur et dirigé par Paul Martin, pour constituer un Programme de Recherche Transversal (PTR) sur la listériose. Le CNR des Listeria, en charge d’analyser tout nouveau cas de listériose, en essayant d’identifier l’éventuel aliment responsable, détient une importante collection, de plus de quatre-vingt mille souches de Listeria d'origines épidémiologiques différentes.

Le programme de recherche listériose s'appuie sur une division du travail en trois étapes définie dès l'origine :

- la première étape consiste à séquencer le génome de la listeria ; travail déjà largement engagé dans le cadre du projet européen qui vient d'être mentionné ;

- la deuxième étape porte sur l'analyse de l'expression des gènes grâce à la fabrication d'une puce à ADN permettant de distinguer les souches pathogènes des souches non pathogènes (dites environnementales). L'objectif : mieux comprendre comment se caractérisent les souches le plus souvent responsables de listériose, et plus particulièrement celles provoquant des épidémies. Les puces à ADN vont aussi servir à analyser "les réactions" de Listeria en réponse à divers

69 M. Lecuit, S. Vandormael-Pournin, Jean Lefort, M. Huerre, P. Gounon, C. Dupuy, C. Babinet and P. Cossart (2001). A

transgenic model for listeriosis: role of internalin in crossing the intestinal barrirer. Science,292: 1722-1725.

70 P. Glaser, xx authors , J. Wehland, and P. Cossart (2001). Comparative genomics of Listeria species. Science,294 : 849-

environnements. Il semble que les souches cliniques ne soient pas très différentes des souches environnementales en terme de nature des gènes mais différentes en terme d’activité. C’est pourquoi il est intéressant d’étudier le transcriptome, c'est-à-dire l’expression des gènes.

- la troisième étape vise à étudier la sélection des souches. Classiquement on étudie des souches cliniques, on les compare à des souches de l’environnement et on montre que certaines souches sont identiques. Dans le cas présent aucune des souches alimentaires n’était identique à des souches cliniques. Or on savait que les souches alimentaires étaient responsables de la listériose. Grâce à la puce à ADN, on a montré que la différence entre les souches était en fait due à un seul virus. L’étape suivante du programme de recherche consiste à reconcevoir la puce en ajoutant des gènes viraux.

Ce travail a contribué à l’approfondissement des connaissances des partenaires sur le séquençage, les puces à ADN et un organisme modèle - la listeria - sur lequel l’équipe de Glaser avait commencé à travailler dans le cadre du projet européen. En particulier, pour Pascale Cossart, les recherches menées au sein du PTR sur la listériose ont irrigué le grand programme Horizontal (GPH) "gram +" qu'elle a la charge d'animer. Elles ont permis, selon elle, d'étendre et « de faire bourgeonner » les protocoles originaux développés dans le PTR sur la listériose en les appliquant à d’autres modèles, en les sophistiquant ou en les insérant dans d'autres protocoles de recherche.

Les interactions entre le programme de recherche et la plate-forme d'analyse génomique

Au cours des travaux menés, le LGMP a acquis plusieurs équipements servant au séquençage et développé des expertises associées. Philippe Glaser a été activement impliqué dans la création de plate-forme génomique, participant au transfert d'expertise et de protocoles. Il a également facilité le transfert d'un technicien du LGMP vers la plate-forme. On peut remarquer que Frank Kunst, directeur actuel de la génopole, était l'autre co-directeur du LGMP. P.Glaser a vu dans la création de la plate-forme, non pas une structure concurrente, mais le moyen de d'externaliser une série d'activités en cours de routinisation, considérée comme une charge croissante son unité de recherche. Le LGMP conserve du matériel en propre - un séquenceur automatique, une PCR, un robot pour le repiquage automatique (permettant de faire des puces), un accès à de la PCR quantitative et un système basique d’analyse des protéines - mais fait appel aux services de la plate-forme pour les activités plus routinières de séquençage standardisées.

Réciproquement, l'activité de la plate-forme génomique ne se réduit pas à un transfert de compétences et de matériels du LGMP. Pour Mme Bouchier, en charge de la PF, il fallait partir des protocoles mis au point par l’équipe de P.Glaser mais il fallait les rendre plus robustes (pour pouvoir servir à des usagers variés), en augmenter le débit et l’intensité (passer d’organismes à deux millions de paires de bases à des organismes à treize millions par exemple). Les équipements de la plate-forme sont d'ailleurs largement constitués de matériels acquis depuis 2000. Le LGMP reste d'ailleurs client de la PF. Ainsi, le séquençage de Legionella pneumophila, réalisé par Carmen Buchrieser, chercheuse au LGMP a utilisé les équipements de la plate-forme génomique. Les interactions entre le LGMP et la plate-forme se poursuivent puisque d’autres activités de l’unité pourraient être transférées à la PF : c’est le cas du screening de banques de mutants (pour le screening de phénotypes). Le LGMP a déjà réalisé ce type de travail en combinant du crible haut débit, un robot piqueur (en self service) et des systèmes d’imagerie (caméra CCD).

2.2. Deuxième cas : comment un projet de recherche contribue à alimenter des