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Chapitre 2 :trajectoires biotechnologiques et gestion des ressources humaines

3.2. Une capacité différenciée à construire des nouveaux profils professionnels

La typologie du tableau 1 rend bien compte des observations sur les formes d’organisation du travail entre unités de recherche et plates-formes d’une part, au sein des plates-formes d’autre part.

Les plates-formes « attachées » à des unités de recherche sont remarquables par l’importance du flux de chercheurs et d’ingénieurs de l’unité ayant une activité temporaire sur le dispositif technique.

83 Que la question de la mobilité géographique soit aussi un sujet extrêmement sensible à Pasteur, s’est manifesté de façon

éclatante au point de contribuer fortement à la démission de son ancien directeur lorsque Philippe Kourilsky, lorsqu’il a voulu redéployer l’institut vers l’ancien site de Pfister en banlieue parisienne à Antony.

Lorsqu’elles sont « intégrées », les transferts de savoirs et savoir-faire avec l’unité de recherche d’origine se poursuit dans les deux sens et cette pratique peut s’élargir à d’autres unités. Le personnel mobile (entre fonctions plus qu’entre statuts ou sites) acquiert des connaissances technologiques qui lui permettent de créer de nouveaux dispositifs d’expérimentation. Parallèlement, les chercheurs, ingénieurs et techniciens affectés à ces plates-formes sont spécialisés sur certains segments d’activités. Cette spécialisation fait l’objet d’une publicité dans les rapports scientifiques et dans les publications. Elle permet que soient reconnues les compétences technologiques spécialisées de ces personnels. Elle peut conduire à faire émerger de nouveaux profils professionnels.

Là où la « confusion » des genres règne sur la plate-forme, c’est que les activités de co-production et de service n’ont pu être dissociées des activités de recherche, l’ensemble des personnels effectuant indifféremment, selon leurs disponibilités, les diverses tâches nécessaires à la satisfaction d’une demande, qu’elle provienne d’un chercheur ou d’un client, interne ou externe. La signature des publications continue de se faire selon l’ordre établi par la communauté scientifique d’appartenance et par l’institution à laquelle appartient l’unité de recherche. Les savoirs et les savoir-faire des individus sont peu visibles, peu identifiés, peu reconnus, ce qui oblitère la capacité des contractuels à se positionner sur le marché du travail, ainsi que l’émergence de nouvelles professionnalités.

Les plates-formes «détachées » regroupent plus que les autres des ingénieurs et des techniciens ayant eu des expériences professionnelles techniques antérieures.

Celles qui sont issues de « recompositions » tentent de renouveler les savoirs et les savoir-faire développés dans un autre contexte, un autre service technique par exemple, grâce aux apports d’une nouvelle intégration avec la recherche. Elles réunissent pour l’essentiel des ingénieurs et des techniciens, mais peuvent se régénérer aussi grâce à la présence permanente d’un chercheur instrumentaliste. La motricité des compétences acquises devrait permettre aux personnels de ces plates-formes, selon les contextes, de continuer à être mobiles et à diffuser leurs expériences. Plus que les autres, ces plates-formes ont acquis des compétences dans la gestion des dispositifs techniques et humains, dans la gestion des usagers (qualité, etc.) qui renforcent leurs capacités de survie.

Les plates-formes caractérisées par leur « spécialisation » sur une offre de service spécifique, minorent ainsi le nombre de clients et l’éventail des savoirs et des savoir-faire qui lui sont nécessaires. Les interactions avec les équipes de recherche sont faibles, les compétences du personnel affecté relèvent d’une polyvalence limitée au segment d’activité de la plate-forme, et donc moins ouverte à des évolutions professionnelles.

Ces différentes formes de division des connaissances et du travail entre les personnels des plates- formes s’inscrivent dans des dispositifs institutionnels. La probabilité qu’elles suscitent de nouvelles compétences ou de nouvelles professionnalités en dépend fortement.

Tableau 3- Environnement institutionnel, formation et dynamique des compétences

Contenu du travail

Type de plate-forme

Spécialisation des acteurs sur un segment du processus

recherche-instrumentation. Polyvalence plus ou moins importante

Plates-formes privées avec stratégie et mode de gestion globale

Motricité des compétences. Modèle (A)

Plates-formes publiques avec stratégie et mode de gestion globale

Emergence de nouvelles compétences technologiques spécialisées. Développement de nouveaux profils

professionnels. Modèle (A)

Les compétences sont renouvelées. Emergence de nouveaux profils

professionnels techniques et gestionnaires. Modèle (B) Plates-formes publiques avec

stratégie et mode de gestion locale

Les compétences produites ne sont pas transférables et ne permettent pas des mobilités définitives entre recherche- instrumentation. Modèle (D)

Les compétences seraient transférables, mais sont peu demandées à l’extérieur du dispositif. Modèle (C)

Nos premières analyses devront être affinées en intégrant mieux la dynamique du cycle technologique des plates-formes. Elles montrent cependant que :

- Mieux que celles créés sous forme de réseau ad hoc, les institutions dont la stratégie et les modes de gestion sont centralisés parviennent à se saisir de la richesse produite par les plates- formes dans la durée. Les secondes permettent l’accumulation des connaissances, la diffusion des savoirs et des savoir-faire et sont aptes à faire émerger des profils de spécialistes qui garantissent la capacité de l’organisation à se renouveler ou à se recomposer. Ce type d’avantage est néanmoins contrebalancé non pas tant par la redondance interne des ressources produites (Nonaka 1986)84 que par des types de management (routines institutionnelles) qui n’arrivent pas toujours à

accompagner de façon cohérente et systématique les actions d’ « entrepreneurs scientifiques ». - A contrario, les formes d’organisation en réseaux ad hoc devraient pouvoir mieux s’adapter aux exigences locales et spécifiques, quitte parfois à susciter des comportements opportunistes des acteurs locaux. Elles ont l’avantage d’être en principe flexibles et limités dans la durée. Mais, du fait qu’elles utilisent des types de gestion de la main-d’œuvre fortement contrastées entre fonctionnaires ou titulaires détachés et précaires (CDD, post-docs, stagiaires etc.), elles ne parviennent pas toujours à maîtriser les relations ni avec les uns ni avec les autres. Cette situation ne permet pas aux responsables des plates-formes de se doter d’un système incitatif efficace pour la construction et l’accumulation des compétences nouvelles. Elle n’est pas non plus incitative pour les permanents dont la contribution spécifiquement technologique n’est pas valorisée en termes de perspective de carrière. Elle n’incite pas non plus les employés temporaires à se positionner sur des profils professionnels nouveaux, en particulier de technologues. Le marché du travail étant très étroit dans le contexte français où le secteur des équipements ou des start up en services techniques reste très restreint, ces derniers ne veulent pas prendre le risque d’une expertise trop étriquée.

- Les organisations hybrides telles que les plates-formes mixtes n’ont pas encore trouvé de formes de gestion rendant les pratiques et les intérêts du public et du privé compatibles, notamment en terme de gestion des ressources humaines (Lanciano-Morandat 2006).

- La limitation de la mobilité des personnes, en particulier des jeunes scientifiques et des post- docs, qui tient à des raisons institutionnelles, restreint la circulation des connaissances encore non- codifiées. Ceci a pour effet de freiner la diversification des modèles d’organisation des plates- formes en fonction du cycle de vie technique.

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Garud R., Karnoe P., (2003), Bricolage versus breakthrough: distributed and embedded agency in technology entrepreneurship, Reseach Policy 32.

84 Nonaka a distingué nettement l’inefficacité économique des ressources internes en surabondance et l’efficience des

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Chapitre 3 : Instrumentation dans les biotechnologies : Construire l’offre ou répondre à