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Chapitre 5 : La gestion des plates-formes, instrument d'une politique de recherche: le

2.2. Deuxième cas : comment un projet de recherche contribue à alimenter des

Agalactiae

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Streptococcus agalactiae, le streptocoque du groupe B, est une des principales causes d'infections néonatales, surtout dans les trois premiers mois de la vie, et représente un important problème de santé publique partout dans le monde. L'incidence des infections néonatales qu'il provoque - septicémies, méningites, pneumonies - est de 2,5 pour 1000 naissances. Il est responsable d'environ 20% des méningites bactériennes recensées en France et des séquelles neurologiques sont alors observées dans 25 à 50% des cas. Il est également à l'origine de mort fœtale in utero. Streptococcus agalactiae est de plus à l'origine d'une morbidité et d'une mortalité non négligeable chez les personnes âgées et les individus souffrant de pathologies sous-jacentes (personnes immunodéprimées, diabétiques, cirrhotiques…). Cinq sérotypes de cette bactérie sont généralement détectés au cours des infections humaines, le sérotype III étant retrouvé dans 80% des méningites a streptocoques du nouveau -né.

L'équipe du LGMP, co-dirigée par F.Kunst et P.Glaser, et de Patrick Trieu Cuot ont, dès le début des années 2000, entrepris le séquençage d'une souche du sérotype III de Streptococcus agalactiae. Les résultats ont été publiés dans Molecular Microbiology du 16 septembre 200272.

La stratégie de génomique comparative présentée dans le cas précédent a également mis en oeuvre dans celui de Streptocuccus agalactiae. Ainsi, le génome de S. agalactiae a été comparé avec ceux d'autres bactéries pathogènes proches (Streptococcus pyogenes, Streptococcus pneumoniae, Streptococcus mutans, Staphylococcus aureus, Listeria monocytogenes,...). Cette analyse comparative a permis la découverte de nombreux gènes responsables du pouvoir pathogène de cette bactérie.

Le PTR streptococcus agalactiae

Ces recherches initiales se poursuivent aujourd'hui dans le cadre d'un programme de recherche transversal (PTR) qui vise développer les cibles d'un vaccin ou d'antibiotiques spécifiques pour cette bactérie. Ce programme s'appuie sur l'association de trois unités de recherche : celle de Patrick Trieu-Cuot (unité des bactéries pathogènes à Gram+), celle de de Philippe Glaser (unité LGMP) et celle de Tarek Msadek (unité de biochimie microbienne). il est coordonné par P.Trieu- Cuot. L'unité de Patrick Trieu Cuot travaille sur les bactéries pathogènes à Gram+, les modèles cellulaires et animaux, les approches vaccinales. Le laboratoire de Philippe Glaser s’occupe du séquençage (à une époque où il n’existe pas encore de plateforme de séquençage) et de l’analye post-génomique (annotation, évaluation des gènes, étude de diversité) par macro-array. Il a réalisé une puce à 2000 gènes pour savoir si les gènes sont présents ou non dans différents types de souches. Tarek Msadek a travaillé sur l’expression des gènes et leur régulation.

Pour Patrick Trieu Cuot les PTR ont permis de tester des relations à plus long terme entre chercheurs, en dehors de ce qui peut être ressenti comme le carcan des unités. Le cadre contractuel a joué un rôle important : il a permis de structurer la collaboration à partir d'un cahier des charges structuré et d'échéances. Les PTR ont permis de sélectionner des projets à fort

71 Ce cas s'appuie sur des entretiens conduits avec Patrick Trieu-Cuot, chef de l'unité des bactéries pathogènes à Gram+,

Tarek Msadek, chef de l'unité de biologie microbienne, Philippe Glaser, directeur du LGMP, Olivier Dussurget, chargé de recherche à l'IBC ainsi que sur la consultation des rapports d’activité des différentes unités concernées.

72 P.Glaser, xxx, T.Masek, P.Trieu-Cuot et Frank Kunst (2002), "Genome sequence of Streptococcus agalactiae, a pathogen

potentiel. Le programme de recherche mobilise les plates-formes, en particulier celle de génomique et de puces à ADN.

La création du GPH Gram +

Ce premier travail de construction de projets de recherche (PTR) a permis d'alimenter, selon nos interlocuteurs, une mise en commun sur des programmes à plus long terme dans le cadre du grand programme horizontal (GPH) "gram +", dirigé par Pascale Cossart.

L’objectif de ce programme transversal est de fédérer les laboratoires actifs sur les microorganismes "Gram +" (Staphilocoque, Streptocoque, Listeria, etc.) qui réagissent positivement à la coloration Gram. Le GPH étudie ces pathogènes : leur virulence, l’interaction avec la cellule in vitro et l’étude de l’expression des gènes. Le GPH, qui réunit, une centaine de chercheurs, est animé par P. Cossart. Il se décline en quatre sous-programmes :

− régulation et expression des gènes (animé par P.Trieu-Cuot)

− les mécanismes pathologiques et la bactérie pathogène (transcriptome) (animé par T.Msadek) − analyses liées aux collections de souches (animé par C.Buchrieser)

− imagerie temps réel des infections (animé par O.Dussurget).

L’objectif à long terme est de fédérer les recherches permettant de trouver de nouvelles cibles pour des antibiotiques, dans un contexte où la recherche pharmaceutique se désintéresse de ces questions. Les microorganismes "Gram+" sont responsables d’un tiers des infections humaines. Par exemple le staphilocoque est un agent nosocomial majeur pour lequel il existe peu de moyens de traitements. Ce GPH s'appuie sur les recherches développées au sein des deux projets transversaux présentés précédemment : Streptococus Agalactiae et sur la listériose. En particulier, l'un des moyens utilisés par Pascale Cossart pour animer ce GPH est de discuter les techniques utiles pour "Gram +" : culture de macrophages, conditions de phagocytose, techniques pour le travail sur les organismes polynucléaires,…

Le GPH est ainsi l’occasion d’échanger sur des organismes modèles et sur des protocoles de recherche. Ainsi beaucoup des protocoles de recherche sont inspirés des travaux effectués initialement sur Listeria par Pascale Cossart puis Philippe Glaser ; et certaines équipes ont profité du GPH pour restructurer leurs programmes de recherche en les fondant non plus sur un organisme modèle mais sur une gamme d’organismes correspondant à des problématiques précises. Ainsi dans la nouvelle unité de Patrick Trieu Cuot et Tarek Msadek, S.Agalactiae et S.Aureus comme modèle de pathogène humain extracellulaire et L.monocytogène comme modèle de bactérie pathogène humain intracellulaire.

Les échanges portent également sur les nouveaux types d'instruments et les techniques utilisables pour traiter de ces questions de recherche. Nous développons un exemple de nouveau type d'instrumentation qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche : la bioluminescence, fondé sur le principe de l'imagerie in vivo.

2.3. Troisième cas : une alliance originale entre unités de recherche, programmes

et plates-formes : le cas de l’imagerie in vivo (bioluminescence)73

Un des points forts du GPH mentionné par les chercheurs est l’accès à un dispositif d’imagerie du petit animal fondé sur le développement d'un appareil de bioluminescence. Nous nous sommes intéressés à ce dispositif dont la constitution lie intimement unités de recherche, plate-forme et GPH.

La découverte du potentiel de l'imagerie in vivo

Des techniques d'imagerie dynamiques ont été développées par des concepteurs d'instruments (comme Xenogen (etats-Unis) ou Berthold (Allemagne)) comme technique alternative à la dissection des animaux. Le principe est d'injecter un marqueur bioluminescent dans un animal vivant anesthésié (ex.: un rat) et de suivre, grâce à des caméras CCD couplées à des logiciels, in vivo le déplacement des marqueurs dans l'organisme.

L'intérêt de cette nouvelle technologie a été découverte par Olivier Dussurget, chercheur dans l'unité IBC dirigée par Pascale Cossart, lors d'un colloque international. Il travaille alors sur un nouveau gène codant pour une enzyme permettant à Listeria de survivre dans la vésicule biliaire. Suivant cette voie de l’analyse génétique, il a montré la présence de la bactérie pathogène Listeria dans la vésicule. Il rencontre lors d'un congrès un autre chercheur ayant découvert des Listeria dans la vésicule biliaire par une technique d’imagerie. Il s’intéresse à ce protocole alternatif dont il pense pouvoir tirer parti pour ses recherches à venir.

Le protocole consiste à utiliser un appareil de bioluminescence : c’est un dispositif d’observation permettant de repérer dans un organisme vivant la progression de plasmides luminscents. Le protocole consiste à « greffer » le plasmide sur une bactérie ou une cellule (cancer) dont on veut suivre la progression infectieuse. L’appareil va se substituer à des manipulations où, pour suivre la propagation d’une infection, il fallait disséquer un organe donné à des instants donnés sur des populations sensées être homogènes. Cela entraînait de nombreuses difficultés : quels organes disséquer ? Les observations effectuées sur des animaux décédés reflétaient-elles bien les phénomènes réels ? Quelles étaient les variations liées au fait d’utiliser plusieurs animaux successivement plutôt qu’un unique organisme ? Avec le nouveau dispositif, il devient possible de suivre une infection dans un animal vivant unique, sur l’ensemble de ses organes. Le projet intéresse donc potentiellement de nombreuses équipes.

Olivier Dussurget contacte alors le responsable de la plate-forme d’imagerie dynamique de Pasteur, Spencer Shorte, avec lequel il était déjà en contact sur un projet précédent. Tous deux montent un projet en 2003 pour répondre à une action concertée incitative (ACI) du ministère de la recherche sur l’imagerie du petit animal pour la clinique ou la recherche fondamentale (ce type de technologie présente un réel intérêt pour les recherche en cancérologie). Le projet est accepté, à condition que le futur appareil soit accessible à des unités hors campus.

73Ce cas s'appuie sur des entretiens conduits avec Spencer Shorte, directeur de l'Imagopole, Olivier Dussurget, chercheur à

l'IBC et Patrick Trieu-Cuot, chef de l'unité des bactéries pathogènes à Gram+, ainsi que sur la consultation des rapports d’activité des différentes unités concernées.

Le développement de ce projet suit alors différentes étapes :

− Comparaison des offres concurrentes. Il existe alors deux fournisseurs développant des appareils d'imagerie dynamique fondés sur cette technique de biolumiscence : Berthold (Allemagne) et Xenogen (Etats-Unis). Xenogen n’a pas de représentant en Europe, mais l’interface Xenogen est moins complexe que celle de Berthold, elle est plus robuste et permet d’envisager de mettre à terme l’appareil en libre service74.

− Test de l’appareil Xenogen. Olivier Dussurget part aux Etats-Unis dans le laboratoire de Chris Contag (Stanford) qui met au point les appareils en collaboration avec Xenogen. Olivier Dussurget y restera trois semaines pour se familiariser avec l'instrument.

− Négociation avec Xenogen. La réputation de Pasteur permet de faire baisser les prix, d’autant que Pasteur est le premier laboratoire français à utiliser ce type d’appareil. Un accord de licence restrictif est négocié avec Xenogen. Il est prévu qu'il ne pourra être utilisé par des laboratoires pharmaceutiques (car Xenogen leur vend les appareils de 3 à 5 fois plus cher). L'appareil est acheté pendant l'été 2004 et livré en septembre.

− Conception des configurations d’utilisation avec des "lead users". Le GPH débute en septembre 2003, après le passage d'O.Dussurget à Stanford. Le GPH offre un ensemble de programmes potentiellement intéressés : l’appareil permet de suivre l’interaction bactéries- cellules en temps réel pour observer les processus en dynamique. Olivier Dussurget réalise un important travail de développement de protocoles de recherche sur l'appareil. Pour les groupes de son sous-programme au sein du GPH, il prépare les éléments indispensables qui leur permettent de réaliser des expériences avec l’appareil. En particulier cela consiste à préparer pour chacune des bactéries –streptocoque, staphilocoque,…- une variante possédant la propriété de bioluminescence. Le travail est facilité par le fait que les bactéries sont philogénétiquement proches de Listeria qu’il connaît bien. Soulignons ici ce mécanisme doublement vertueux : d’une part le GPH permet à ses membres de bénéficier d’un accès privilégié à un dispositif très récent (effet positif du GPH sur la recherche) mais d’autre part le GPH permet au dispositif de trouver un premier cercle d’utilisateurs intéressés et travaillant sur des objets scientifiquement et phénoménologiquement cohérents avec ceux pour lesquels il existe déjà un embryon d’expertise.

Quels sont les programmes de recherche envisagés ? Deux exemples nous ont été donnés par Olivier Dussurget. Ils permettent de comprendre le rôle que peut jouer un nouveau dispositif dans le développement de programmes de recherche. En premier lieu, l'imagerie du petit animal a surtout permis de visualiser les migrations de la bactérie jusqu’à la vésicule biliaire. Cette visualisation pose de nouvelles questions dee recherche sur la régulation des gènes de virulence qui peuvent expliquer la survie de la bactérie dans la vésicule. Les résultats intéressent particulièrement l'équipe de T.Msadek qiu travaille sur ces mécanismes de régulation. En second lieu, dans la perspective de décourvir les cibles potentielles d'un antibiotique concernant S.Agalactiae, l'équipe de T.Msadek considère que l'utilisation de cette technique doit lui permettre d'accélérer la compréhension des mécanismes selon lesquels la bactérie se propage chez les animaux, afin d'en tirer des hypothèses concernant le comportement humain.

74 Il est à noter que c'est à la suite de ce projet avec pasteur que Xenogen décide d'embaucher un représentant commercial

3. GERER LES INTERACTIONS DYNAMIQUES ENTRE RECHERCHE ET

PLATES-FORMES : LE MODELE DES RENTES D’APPRENTISSAGES DE LA

RECHERCHE.

A la lumière de ces exemples, revenons à présent aux conséquences plus générales que l'on peut en tirer pour la gestion des interactions entre recherche et plates-formes. Les investigations menées à l’Institut Pasteur permettent, selon nous, de discuter deux hypothèses classiques sur la gestion des dispositifs partagés :

− H1 : le fonctionnement de ces dispositifs communs ne tient pas à la rencontre d’une offre et d’une demande mais à la constitution progressive et conjointe de cette offre et de cette demande ;

− H2 : cette constitution progressive ne relève pas non plus du laisser-faire : elle est organisée mais cette organisation ne relève ni d’une logique de gestion d’investissement ni d’une logique de politique de recherche ; on pourrait la qualifier de logique de gestion des rentes d’apprentissage en recherche.

Qu'est-ce qu'une rente d'apprentissage ? Pour définir cette notion, nous allons d'abord modéliser les projets de recherche et les modalités de leur pilotage.