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La politique de plates-formes chez Pasteur à l'aune du modèle Activités-Structures-

Chapitre 5 : La gestion des plates-formes, instrument d'une politique de recherche: le

1.2. La politique de plates-formes chez Pasteur à l'aune du modèle Activités-Structures-

L'originalité de la politique de Pasteur en matière de plates-formes peut être mieux caractérisée à l'aide du modèle activités, structures, règles (ASR) développé par Hatchuel, Le Masson et Nakhla (2004). Partant d'une recherche conduite à l'INRA sur la gestion des plates-formes, ces auteurs suggèrent qu'en fonction du type d'activité (A) qui est conduit dans les plates-formes, le type de structure organisationnelle (S) et les règles de gestion (R) doivent être adaptées. Un Sur ce dernier point, ils distinguent quatre types de règles : règles de constitution des détenteurs (R1), règles de constitution des utilisateurs (R2), règles de service (R3), règles d'accès aux plates-formes (R4) qui forment un ensemble plus ou moins cohérent et expriment une stratégie de recherche. L'apport de ce modèle est de pointer qu'un modèle de recherche cohérent implique un ensemble complet de règles et de structures. Ainsi, les auteurs montrent-ils qu'il existe au moins deux types de plates- formes : des dispositifs d'analyse partagée (DAP) dont l'activité est routinisée et reproductible selon un protocole technique et des critères clairement identifiés (ex.: un laboratoire d'analyse médicale ou un service de photocopies) ; des dispositifs d'expérimentation partagée (DEP) dont l'activité est plus exploratoire et dont les protocoles ne sont pas encore entièrement stabilisés. Dans la seconde catégorie on trouve des activités qui sont plus en lien avec des projets de recherche de pointe développées en coopération avec des équipes de recherche66.

Les plates-formes : des activités variées

Les 14 plates-formes de l'institut ont des activités variées: cela va d'activités d'analyse en libre service de type DAP (ex.: appareils de cytométrie en flux, microscopes, etc.) pour lesquels une formation est assurée aux utilisateurs, à la co-conception de services entre les ingénieurs des plates-formes et les équipes de recherche dans le cadre de projets de recherche communs (ex.: imagerie dynamique, voir plus loin). En fonction de ces activités, les règles d'accès, de service ou d'organisation sont différentes. Le point clé sur lequel nous reviendrons dans la partie III est que la gamme des activités conduites dans les plates-formes de Pasteur est volontairement restreinte. Ainsi, les activités d'analyse les plus routinisées (reprographie, informatique, animalerie, etc.) dans lesquelles les technologies et les protocoles sont stabilisés, ne sont pas dans les plates- formes. La direction générale a considéré que ces activités ne nécessitaient pas une politique scientifique particulière.

A l'inverse, les activités d'expérimentation très pointues (création de protocoles sur des équipements de pointe dans le cadre de recherche exploratoires) n'y sont pas non plus. Elles sont confiées aux unités de recherche.

En fait, les plates-formes prennent en charge une gamme d'activités qui présente un potentiel de

répétabilité. Soit ces activités sont routinisées (DAP) mais nécessitent une veille technologique

importante, compte tenu des progrès continus des techniques considérées (cytométrie, microscopes électroniques, etc.). Soit les activités sont plus exploratoires (DEP) mais ont été identifiées comme pouvant être routinisées à moyen terme, c'est-à-dire reproductibles par d'autres collectifs de recherche.

Règles

Pour les activités routinisées, la question primordiale concerne l'accès aux équipements pour les équipes de recherche et les règles de service aux usagers. L'accès aux équipements est réglé par une gestion des files d'attente et des plannings. Pour les activités plus exploratoires, l'activité des plates-formes se fonde d'une part, sur des partenariats privilégiés avec les concepteurs d'instruments (allant jusqu'à la mise à disposition gratuite d'équipements)67 qui sont à la recherche

d'utilisateurs pionniers (lead users) permettant de développer de nouveaux services à valeur ajoutée sur leurs nouveaux équipements, d'autre part sur des partenariats de recherche entre plates- formes et des équipes de recherche autour de l'expérimentation de nouveaux protocoles de recherche utilisant ces nouveaux équipements dans le cadre de projets de recherche à plus long terme (voir le cas de l'imagerie dynamique), pouvant donner lieu à des co-publications et, à terme, au développement de nouvelles gammes de service.

On voit que l'orientation de tout ou partie des activités d'une plate-forme vers un DAP ou vers un DEP ne dépend pas uniquement du type d'activité conduit mais également de stratégies de recherche et de partenariats. Dans le cas de l'Imagopole, son responsable, Spencer Shorte, met en place une double stratégie:

67 Une analyse théorique des partenariats entre plates-formes et concepteurs de ces technologies "génériques" (generic

- standardiser des services d'imagerie en formalisant, pour cela, des règles d'accès et de service spécifiques (formation des utilisateurs, assurance qualité, procédures, indicateurs (taux d'occupation, lead time), etc.);

- développer simultanément des activités de recherche conjointes (DEP) sur des applications pointues s'appuyant sur d'autres types de règles (réponses en commun à des appels d'offres, partenariats avec les concepteurs d'instruments, développement de protocoles mis au point en commun, etc.).

La formalisation de ces règles ne fait cependant pas l'objet d'une doctrine commune à toutes les plates-formes. On observe en effet des variations locales qui dépendent de la personnalité des responsables. Ainsi, la formalisation de procédures d'assurance qualité et de procédures claires dans la plate-forme de cytométrie en flux tient, en partie, à sa responsable Anne-Marie Balazuc qui exerce, en parallèle, une fonction de responsable de l'assurance qualité pour l'institut pour laquelle elle a été engagée, compte tenu de son expérience passée dans ce domaine dans l'industrie pharmaceutique.

Les plates-formes chez Pasteur : quelle performance ?

On ne juge pas de la même façon une plate-forme selon qu'elle gère des activités routinisées (DAP) ou exploratoires (DEP). Un DAP, dont les protocoles et les procédures sont répétables et routinisés, peut être évalué en fonction de critères similaires à ceux utilisés pour le pilotage des systèmes de production (taux d'occupation, délais d'attente, enquêtes de satisfaction, nombre d'utilisateurs formés, taux de disponibilité des équipements, etc.). A cet égard, les indicateurs mis en place, dans ce sens, par certaines plates-formes (voir le cas de l'Imagopole) révèlent un fonctionnement satisfaisant: équipements saturés, satisfaction des clients, temps d'attente réduits, nombre d'utilisateurs formés, etc.

L'évaluation de la performance des DEP est plus délicate. Les indicateurs quantitatifs de flux n'ont ici guère de sens compte tenu de la nature exploratoire des activités. Il faut alors mobiliser des critères d'évaluation communs à la recherche (qualité des projets de recherche conçus, co- publications, etc.), combinés à des critères plus spécifiques au développement d'équipements portant sur la réactivité à élaborer des nouveaux protocoles en réponse à de nouvelles questions de recherche, le développement de nouveaux services, etc. A cette aune, et sans prétendre à une évaluation exhaustive, certaines plates-formes contribuent de façon active à l'expérimentation de nouveaux protocoles de recherche, comme l'attestent le montage de projets de recherche communs, la mise au point de nouveaux outils (ex.: le logiciel CAATBOX développé par la plate- forme de bio-informatique) et le nombre de co-publications avec des équipes de recherche. Structure: le principe de double adossement

Le second trait saillant de la politique de Pasteur en matière de plates-formes porte sur le choix des structures. Comme nous l'avons souligné, les plates-formes s'appuient sur un double adossement : rattachement fonctionnel à la technopole Pasteur qui gère les équipements et les personnels rattachés à leur fonctionnement (techniciens, ingénieurs, chercheurs) ; rattachement scientifique à un département de recherche qui vise à s'assurer de la cohérence des activités des plates-formes et des programmes de recherche des équipes.

La création d'une direction spécifique - la Technopole -, dirigée par un directeur scientifique - Stewart Cole, directeur général scientifique adjoint - haut placé dans l'organigramme présente plusieurs avantages dans la durée:

- elle décharge les équipes de recherche des risques liés à l'investissement et à la gestion quotidienne des équipements;

- elle favorise les arbitrages stratégiques en faveur de l'achat d'équipements de pointe en lien avec les besoins de recherche ;

- elle permet une gestion plus efficace des ressources humaines à travers une professionnalisation et une gestion de carrière spécifique qui est plus difficile à établir lorsque ces personnels dépendent de départements de recherche où ils sont isolés au milieu de chercheurs évalués selon des critères différents. La nomination de certains responsables de plates-formes scientifiquement reconnus est, à cet égard, un signal fort vis-à-vis des départements car il indique que la volonté de la direction dépasse le cadre d'une gestion administrative de moyens communs pour faire des plates-formes un instrument d'une politique de recherche.

Les règles de constitution des plates-formes chez Pasteur

Le troisième trait saillant de la gestion des plates-formes chez Pasteur porte la formalisation de règles de gestion des plates-formes.

Propriété, financement : les règles R1

Le premier élément intéressant dans cette politique de plates-formes porte sur les règles R1 tenant à la propriété et au financement des plates-formes. Comme nous l'avons souligné, les plates- formes sont des centres de coût et non des centres de profit. Propriétaire et gestionnaire des équipements, la technopole Pasteur a pour mission de proposer des services aux équipes de recherche à un coût marginal faible. Sur le plan budgétaire, chaque PF adresse l'état de ses besoins d'investissements à la direction financière ; le département faisant une lettre de soutien en cas de demande de gros équipement.

Ce choix stratégique différencie Pasteur d'autres institutions de recherche où la propriété et le financement des équipements sont organisées autour de coalitions instables d'équipes de recherche dont la pérennité est problématique.

Règles d'accès (R4)

La contrepartie d'une offre quasi-gratuite de services aux équipes de recherche est l'instauration de règles d'évaluation des projets scientifiques (appels d'offre, comités d'évaluation des plates- formes) permettant de dégager les priorités sur le plan scientifique. Ces règles ont été mises en place dans la mesure où les équipements des plates-formes sont, semble-t-il, saturés. Cette question de l'évaluation prête souvent à débat: faut-il évaluer la qualité scientifique des projets qui est généralement évaluée ailleurs ou bien faut-il sélectionner les projets pertinents par rapport à la trajectoire de développement de la plate-forme (potentiel de développement de services associés par exemple) ? Pour pouvoir trancher un tel débat, il serait nécessaire d'analyser plus en détail

l'activité de ces comités d'évaluation ; ce que nous n'avons pas pu effectuer dans le cadre de cette enquête.

Règles de service (R3)

La formalisation de règles de service est un aspect plus classique de la gestion des plates-formes qui correspond aux règles édictées par RIO. On retrouve dans le cas des plates-formes de telles règles (ouverture, assurance qualité, procédures, mise à jour des équipements), assorties dans certaines plates-formes de type DAP d'indicateurs quantitatifs comme dans la plate-forme de cytométrie en flux (voir plus loin).

Règles de formation des collectifs d'utilisateurs (R2)

Un élément complémentaire de la politique de plates-formes concerne la structuration de collectifs de recherche à travers les programmes transversaux de recherche (PTR) et les grands programmes horizontaux (GPH). Lancés à partir de 2000, par des appels d'offre successifs, les PTR sont des dispositifs incitatifs initiés par la direction générale de Pasteur pour susciter des collaborations nouvelles entre unités ou avec des industriels et pour concentrer les moyens autour de thèmes porteurs jugés prioritaires. Certaines règles ont été édictées pour ces projets: ils doivent impliquer au moins trois équipes; la responsabilité des projets est confiée à des jeunes chercheurs qui ont la charge de gérer les moyens mis à leur disposition (fonctionnement, équipement, post-doc, ITA). L'évaluation des projets proposés s'opère en deux étapes: une lettre d'intention est envoyée par les membres du projet; le dossier est ensuite évalué par deux experts internationaux, puis discuté dans un comité de pilotage où sont représentés des membres de la direction de la valorisation, de la direction médicale et du conseil scientifique. Les PTR sont sélectionnés pour deux ans, éventuellement renouvelables pour un an. Entre 2000 et 2004, 65 PTR ont été financés pour un montant moyen par projet de 60 KE ; impliquant plusieurs centaines de chercheurs et de techniciens de l'institut. De nombreux PTR ont été montés en partenariat avec des plates-formes. De façon complémentaire, un deuxième dispositif d'incitation a été mis en place pour structurer à plus long terme et à un niveau plus général les recherches autour des grandes missions de recherche de l'institut: les grands programmes horizontaux (GPH). Dotés de moyens plus importants (200 à 300 KE de budget de fonctionnement en moyenne par an et par GPH), cinq GPH ont été mis en place qui sont animés par des chercheurs confirmés et reconnus qui ont accepté d'animer ces dispositifs. Un exemple est donné plus loin à travers l'exemple du GPH des pathologies à "Gram +" animé par Pascale Cossart, assistée de Patrick Trieu Cuot et Tarek M'Sadek. Autant les PTR sont constitués de façon émergeante autour de projets de recherche ciblés et délimités dans le temps, autant les GPH visent à structurer des programmes de recherche à plus long terme fondés sur des coopérations et une animation permanente.

A travers ces différents dispositifs, fondés sur la collaboration active de certains chercheurs, la direction de Pasteur cherche à décloisonner les différents départements et à susciter des coopérations transversales autour de thèmes de recherche. Dans cette perspective, il faut la politique de recherche mise en place par l'institut comme une combinaison de deux logiques : logique de l'offre (mise à disposition de moyens et de services: les plates-formes) et d'une logique incitative (PTR et GPH) visant à créer un milieu innovateur, favorable à l'établissement de nouvelles coopérations et de dynamiques de recherche.

1.3. Milieu innovateur vs modèle concurrentiel: deux visions des dynamiques de la