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première rencontre avec Mme M

À l’hôpital général, entend-on dire, il n’y a pas ou peu de demandes si ce n’est celles de tel ou tel de l’équipe médicale faite au « psy » d’aller voir un malade ou… « une TS » (tentative de suicide). Et, souvent, bien des « psys » (stagiaires ou non) ne rencontrent un sujet hospitalisé que du fait de la demande d’un membre de l’équipe médicale et pour répondre à cette demande. Certes, il y a à entendre la demande portée par tel ou tel de l’équipe médicale. Mais qu’est-ce qu’elle demande, cette demande ? Elle peut demander pour le soignant (de l’aide, du soulagement, d’être déchargé, rassuré, etc.), tout autant que pour le malade qui est désigné comme ayant besoin du « psy ». Dans bien des services, et d’autant plus lorsque un clini-cien n’y est pas attaché, c’est pour une grande part des hospitalisés que le

« psy » n’est pas demandé par l’équipe. Ce n’est pas pour autant que celui-ci n’a pas à leur faire connaître la possibilité d’une rencontre. Demande de l’équipe ou pas c’est d’abord, en effet, la considération qu’un hospitalisé est aussi un sujet, et un sujet qui peut pâtir plus ou moins gravement de ce à quoi il se confronte et qui peut faire violence pour lui, qui, dans tel ou tel service de l’hôpital, porte le clinicien jusqu’au « lit du malade ».

Tous ceux pour lesquels l’équipe ne demande pas le « psy » ne sont pas forcément les moins en difficulté. La souffrance psychique peut être mécon-nue chez « un malade qui ne pose pas de problèmes » à l’équipe médicale, ou bien chez un autre qui est considéré comme… un « emmerdeur ». La dimension du sujet, de ce qui la fait consister chez chacun, peut être, de différentes façons, mise à mal, si ce n’est annihilée, générant des souffrances

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psychiques pathogènes, voire un état de détresse qui peut grever les possibles mêmes de la vie corporelle. On le sait pour les enfants, ce qui a conduit à reconsidérer les conditions d’hospitalisation et de soins. C’est aussi vrai pour les adultes.

Il est important de reconnaître la souffrance mais aussi le travail psychi-que psychi-que provopsychi-que la confrontation au réel du corps, de la maladie, de l’acci-dent, et de soutenir le sujet qui s’y affronte pour trouver les « solutions » psychiques les moins coûteuses. Il est essentiel qu’il puisse se réapproprier ce qui lui advient et redevenir « sujet d’une parole » là où il pouvait se trou-ver réduit à n’être qu’un corps-organisme et instrumentalisé comme objet de soins, d’examens, et parfois de recherches. Ceci est important et essentiel aussi du fait que, dans la relation transférentielle et l’expérience de parole où peuvent trouver espace et lieu cette souffrance, ce travail, cette réappropria-tion, le sujet peut en venir à s’avancer à la rencontre de ce qu’il est, de ce qui le constitue en sa vérité, en son être.

Toute rencontre « au lit du malade » n’ouvre pas au possible de l’entretien clinique. Mais lorsque la rencontre s’organise en entretien(s) clinique(s), la relation d’interlocution instaurée peut engager, par-delà l’observation et l’évaluation de la situation concrète que l’entretien clinique implique, aussi bien la dimension et la fonction de présence et de soutien « hic et nunc » que peut avoir celui-ci pour nombre de sujets que, dans d’autres cas, la possible entame dans ce contexte d’un travail d’ordre analytique (aussi limité soit-il), lequel parfois se poursuivra ailleurs dans le cadre d’une psychothérapie, voire dans celui d’une analyse.

On peut concevoir, au regard de ce qui a été avancé jusqu’ici, que soit légitime et de la responsabilité (professionnelle et éthique) du clinicien l’offre de rencontre et d’entretien qu’il peut faire à chaque sujet hospitalisé, quels que soient sa pathologie et son état, et que cela lui soit demandé ou pas par l’équipe médicale. Ceci implique l’autonomie du clinicien dans son travail (décision de rencontre, modalités d’intervention, etc.), dans le dialo-gue et la co-responsabilité avec les équipes médicales. C’est une question d’importance car là se jouent aussi les conditions de sa pratique et les possi-bles de l’entretien clinique.

Sur la base des conceptions et des positions avancées jusqu’ici est rencon-trée Mme M. qui est hospitalisée en service de chirurgie orthopédique.

Mme M. est arrivée dans ce service depuis deux jours. L’équipe de soins qui m’informe des nouvelles hospitalisations raconte, suite à mes questions, que cette femme, jeune encore, est fracturée du bassin et a été amputée d’un pied, conséquence d’un accident de voiture, que cela va au mieux physiquement compte tenu des dégâts corporels, que parfois elle pleure, mais « avec ce qui lui arrive on peut le comprendre ». Comme je le faisais autant que possible pour les nouveaux hospitalisés dans les services où j’intervenais, je vais me présenter à Mme M., lui indique ma fonction, le fait que je viens ce jour pour

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l’informer de ma présence dans ces lieux, ce qu’elle ignore peut-être puisqu’elle est nouvellement hospitalisée, et que je peux être disponible pour elle si elle le souhaite. Elle s’étonne que je passe « voir tout le monde », dit qu’elle n’a jamais rencontré de « psy », qu’elle n’en a jamais eu besoin, qu’elle a des ami(e)s, un compagnon. Elle dit que ce qui lui arrive (elle fait le geste de montrer son corps), un « psy » n’y peut rien. Elle parle alors de l’accident puis revient sur son corps, regarde en direction du bassin et des pieds, pleure doucement et dit : « comment je vais faire maintenant avec ça ? », ce sur quoi elle poursuit en ravalant ses larmes « mais ne restez pas debout, il y a une chaise là, de toute façon je ne peux plus me sauver… » Tout en approchant la chaise je remarque : ce qui vous arrive est difficile et vous ne pouvez pas bouger, mais c’est curieux de dire « je ne peux plus me sauver »…… Mme M. reprend, d’abord un peu agacée, presque fâchée :

« Eh bien oui, je ne peux pas me sauver, vous voyez bien ! (petit silence) je ne peux plus me sauver c’est vrai aussi (petit silence), comment je vais faire avec ça ? »

Dans l’entretien clinique, donner lieu et espace de paroles à la singularité d’un sujet, de son histoire, suppose, cela a été évoqué, une certaine disposi-tion d’attendisposi-tion et d’écoute de ce qui se dit, de ce qui se donne à entendre dans ce qui s’énonce. Cette position implique de ne pas orienter l’entretien et de ne pas rabattre le discours sur l’événementiel de l’accident (ou de la mala-die) et de ses conséquences, où peut se fermer la parole que le clinicien prétend ouvrir pour le sujet. Ici avec Mme M, irait dans cette pente mécon-naître ce « je ne peux plus me sauver » qui lui vient, et rabattre ce qui s’énonce là sur la seule réalité matérielle et physique (ne pas pouvoir se sauver/bouger).

Remarquer ce « je ne peux plus me sauver », et qu’elle le relève en l’entendant, ouvre au travail du signifiant et à la vacillation du sens d’un

« pas se sauver » et d’un « plus se sauver » où on peut penser que quelque chose du désir et de la position de Mme M. sont en jeu. De quoi Mme M. ne peut pas/plus se sauver ? Par-delà la réalité de son état physique et de ses conséquences concrètes, n’est-ce pas ce dont elle ne « peut pas/plus se sauver » qui aussi la porte à demander/se demander : « Comment je vais faire avec ça ? »

Lors de cette rencontre, qui peut-être aurait pu rester unique, le passage d’un début de dialogue (qu’on peut dire conventionnel – compte tenu de la situation) à une forme de réponse à l’offre de parole et d’écoute (invite à m’asseoir, et partant à rester, à prolonger ma « visite », notre rencontre), mais aussi à l’expression d’une parole singulière donnant à entendre notam-ment ce « ne pas pouvoir/ne plus pouvoir se sauver » qu’elle reprend et qui résonne, associé dans son discours, avec ce « comment je vais faire avec ça », ouvre à l’entretien clinique. C’est dans le fil de ce qui vient de se dire et qui, dans tous les sens de l’expression, « reste entre nous », que je propose à Mme M. qu’on prenne du temps « pour parler de tout ça » et qu’on se

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rencontre à nouveau. Un accord est trouvé sur une heure de rendez-vous le lendemain dans sa chambre. Elle me fera prévenir si ce n’est pas possible pour elle.

2.2 Instauration de l’entretien clinique :

cadre, dispositif et position clinique.