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2 L’ENTRETIEN ET LE SOIN PSYCHIQUE

Il conviendra d’insister sur la nécessité du caractère inconditionnel de l’écoute, dans l’entretien en vue du soin psychique et notamment quand le patient fera part de sa déception, de son intention, de sa décision de ne pas continuer la série d’entretiens. Plusieurs attitudes ont classiquement émergé : 1) toujours vouée à l’échec, expliquer, justifier la nécessité de la poursuite des rencontres. De fait le clinicien renonce à écouter son patient pour (se) justifier sa nécessité et refuser l’arrêt de la psychothérapie ;

Les tics de langage

À propos de discours ponctués par la formule « d’accord », celui qui les énonce n’est pas toujours lucide sur son exigence d’accord, ou plus exactement ne mesure pas bien combien l’approbation de l’autre lui est indispensable – pour dire, il ne peut se dispenser d’une sorte de certitude apparente sur l’écoute qui lui est accordée. En effet, la formule semble être une mesure de vérification de l’attention portée à une démonstration, un professeur de mathématiques peut ainsi dérouler une démonstration en vérifiant que les axiomes de départ ont été enregistrés pour s’assurer de la bonne marche de la démonstration. Le recours au d’accord ne semble alors viser que la recherche d’une certitude sur la réception d’un message. Le fait que cet usage déborde très largement de la leçon de géométrie ou d’algèbre laisse penser que la requête désignée par la formule n’est pas simplement opératoire, recherche d’efficacité dans la communication.

Elle pourrait suggérer au contraire la prééminence d’un doute récurrent sur la réceptivité d’un énoncé. En effet, cette ponctuation outre le doute sur l’attention dont un sujet peut bénéficier, pourrait indiquer une vive incertitude sur la valeur de son énoncé. En d’autres termes, en doutant de l’approbation potentielle d’un interlocuteur, un sujet peut affirmer le doute qui affecte ce qu’il livre dans un énoncé et peut-être également l’incertitude qui le traverse.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

2) plus sadique est celle qui consiste à rappeler imperturbablement le rendez-vous suivant sans autre forme de procès. Cette attitude eut son heure de gloire lors du plein régime de dépendance à la psychanalyse, lorsqu’elle fut une mode et un rassemblement idéologique. Ce temps est révolu et les patients n’obtempèrent plus systématiquement ou s’ils le font c’est par accord avec leur problématique singulière ; ils arrêtent, reviennent, ne reviennent pas, vont consulter un autre spécialiste, arrêtent définitivement.

Malgré les réserves qu’on peut formuler à l’égard d’une extension du consumérisme aux psychothérapies, elles ont un mérite non négligeable, celui de contraindre le clinicien à s’intéresser aux processus, à s’intéresser à la part qu’il prend à leurs avatars.

C’est d’ailleurs cette interrogation qui va nous ramener à la question du soin psychique dans l’entretien. En lieu et place de l’explication justificative, ou encore de l’injonction sadique il convient de revenir au principe essentiel de l’entretien : écouter, écouter encore et notamment écouter ce que le patient a à dire, à propos de la décision d’arrêt. Avec l’idée qu’il a toujours raison même si les raisons qu’il donne apparaissent contestables ou même et surtout dépourvues de raison (au sens où la rationalité n’a rien à voir avec ce qu’un sujet peut dire de son désir de se séparer).

À cet égard je voudrais insister sur la disposition particulière du clinicien à l’égard d’un discours de déconvenue, de déception, de désillusion articulé à la décision de mettre fin aux rencontres. Soyons plus clair, il ne s’agit pas d’une tactique pour maintenir le lien en faisant « causer » le patient, mais fondamentalement de prêter attention à une parole en dépit de la blessure, de la déception qu’elle peut susciter chez le clinicien. Trouver cette disponibi-lité n’est pas toujours possible, mais reste souhaitable pour permettre au patient de reconnaître ce qu’il dit en commentant sa décision.

En d’autres termes le soin psychique doit pouvoir être accompli jusqu’au terme que le patient définit, jusqu’aux termes qu’il choisit pour formuler un départ programmé par une fin choisie. Cette nécessité fait toujours loi et doit toujours primer sur le désir du psychothérapeute. Chercher à saisir ce qui pourrait déplaire ou désespérer reste œuvre de soin, elle laisse au soin le soin d’opérer en lieu et place de l’égocentrisme toujours renaissant du clinicien.

Dans l’acceptation de ne pas mener à terme le soin prescrit, il pourrait subsister, au-delà de son terme apparent, un soin que le sujet se donnera sans recours au don de soi si illusoire du soignant.

L’assujettissement de l’autre rappelle Roland Barthes (2003) commence dans le dialogue. Formule heureuse pour rappeler que l’entretien clinique dans la psychothérapie n’est pas dialogue.

Il n’est pas échange de questions et de réponses, encore moins à l’image de la conversation ordinaire, échange de propos pour trouver une solution au problème de la souffrance d’un sujet, avec le cortège de ses conséquences : suggestions, conseils, propos explicatifs, échange d’expériences…

12 10 ENTRETIENS EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE DE L’ADULTE

Permettre à un patient d’être en mesure de se retrouver sujet implique d’organiser, de mettre en œuvre les conditions pour qu’il puisse entendre ce qu’il dit et commencer à s’approcher de ce qu’il ne peut pas dire. Dans ces conditions, le dialogue fait toujours courir le risque de dire à sa place – même avec des précautions oratoires (du style : « c’est ce que je pense en vous entendant, ce n’est pas nécessairement ce que vous me dites et n’hésitez pas à me corriger, à me reprendre si vous ne vous reconnaissez pas »). Refu-ser le dialogue n’est pas refuRefu-ser d’écouter, voire d’entendre mais c’est recon-naître la vertu psychothérapeutique d’un entretien clinique ; un espace ouvert dans l’intimité d’un sujet par le sujet lui-même.

Charlotte

Une séance ordinaire commence par l’évocation de sa fatigue : elle vient de prendre trois jours de congé et elle est épuisée, sa tension est basse, son médecin l’en a informée ce matin. Elle pensait se reposer, se détendre des préoccupations professionnelles, elle n’a pas arrêté, elle n’en peut plus, elle est vraiment épuisée.

Encore ce matin, elle a dû s’occuper de sa mère, mettre le réveil pour se lever à temps et l’accompagner chez son médecin. C’est une nouvelle source de plainte : sa mère est méchante, exigeante. Elle lui a dit qu’elle était fatiguée et elle lui a répliqué qu’elle ne devrait pas l’être tant puisqu’elle a trouvé le temps de faire les soldes et de s’acheter des chaussures. Elle prend à témoin le clinicien : vous voyez comme elle est méchante. Elle aurait dit à sa mère que sa fatigue tenait aussi à son travail, à ses responsabilités et sa mère (autre preuve de sa méchan-ceté) aurait répondu : si tu as ce travail c’est grâce à moi et parce que j’ai payé tes études.

Le psychothérapeute estime que cette plainte mérite d’être déposée sans pourtant faire part de ce qu’elle lui suggère. Il pense notamment que la mère formule des remarques qui pourraient relever d’une dénégation de la fatigue de sa fille (veuve depuis 2-3 ans, elle n’a plus que sa fille pour lien et soutien familial).

Outre la supposée méchanceté que lui affecte sa fille, elle exprime une satisfac-tion narcissique de parents (ceux notamment dont les enfants sont allés au-delà de leur niveau socio-économique).

Mais l’évocation de la situation faite par une mère à sa fille se poursuit : en plus elle ne veut pas se faire soigner ; lors de la consultation de ce matin, j’ai évoqué des signes corporels de lenteur, ralentissement moteur que je constate de plus en plus souvent et le médecin a suggéré de consulter un spécialiste. Elle refuse, elle est vraiment têtue, je ne sais plus comment faire, j’ai peur que si on ne prenait pas à temps ce qu’elle a, ce pourrait être plus grave. Vous voyez comme elle est méchante : quand je lui ai dit : il faut suivre le conseil de ton généraliste et voir un spécialiste, elle a dit : pas question, je n’ai que de l’arthrose et rien d’autre et toi tu voudrais que je sois en chaise roulante.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

3 DU PRINCIPE D’INCERTITUDE