• Aucun résultat trouvé

L’ENTRETIEN CLINIQUE EN VICTIMOLOGIE

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

CONTEXTE

Il s’agit de dégager les principales caractéristiques du travail clinique d’évaluation et de prise en charge auprès d’une population de personnes dites victimes : cadre, principes généraux, consignes, spécificités et enjeux contre-transférentiels de la rencontre avec les victimes. Le cadre théorique et clinique proposé intègre des références à la clinique sous transfert des syndromes psychotraumatiques et des sujets sous emprise relationnelle, à la psychopathologie psychotraumatique, à la psychocriminologie pour ce qui concerne les notions de dangerosité et de vulnérabilité, ainsi qu’une connais-sance minimale du processus judiciaire. Les principaux points abordés sont illustrés par deux extraits d’entretiens menés dans le cadre d’une consulta-tion de victimologie générale.

INTRODUCTION

Il en est de l’histoire des pratiques psychologiques comme il en est de l’histoire des sciences. Dans le premier cas on dira que les symptômes se déplacent et dans le second que les questions ne se posent plus aux mêmes endroits. D’un côté les techniques d’explorations ouvrent certaines dimen-sions et en ferment d’autres qui deviennent dérisoires, de l’autre côté reste permanente la question du sujet et de la souffrance qui en témoigne (Villerbu, 2005) à travers l’impact des grands changements sociaux.

La psychiatrie a changé de visages ; ce n’est pas la première fois et ce fut toujours avec résistance. Que l’on songe aux réserves émanant de la naissance de la psychiatrie dite sociale qui avait été peu ou prou vécue

110 10 ENTRETIENS EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE DE L’ADULTE

comme la fin de la grande psychiatrie ; on en disait de même lorsque la population alcoolique est devenue omniprésente, puis celle des toxicoma-nes. Ce qui change aujourd’hui, sous l’impulsion d’une présence toute-puissante du droit dans nos relations de tiers, c’est ce qu’a pu amener d’une part la présence de la psychiatrie institutionnelle dans nos activités de soignants ; d’autre part celle du droit par où la personne, non plus réduite à ses symptomatologies, devient perceptible dans sa qualité de sujet qui en constitue sa définition psychique, mais également dans le citoyen qu’elle est aussi.

Le mouvement de clinique victimologique s’inscrit dans ce contexte où vont se trouver conjuguées progressivement non seulement les questions de santé mentale mais un intérêt accru fondamental pour les problèmes de santé publique, au sens large. Les problèmes psychiques deviennent aussi des problèmes sociétaux et leur interprétation passe par une incitation à se dire et à se raconter dans les tendances, valeurs et normes contemporaines.

Certes au point que parfois l’on en arrive à dire qu’il ne s’agit que d’une idéologie dont il conviendrait de se défaire tant elle chosifie le sujet dans un imaginaire social consumérisme, dans une forme de rapport à l’autre ense-veli sous le primat d’une dette a priori, d’une créance à venir : le droit de, le dédommagement… On peut aussi dire que le rêve en soi n’existe pas ; il n’empêche que le rêveur, lui, est permanent et que de son activité onirique il fait aussi chose à partager.

L’une des grandes résistances à penser en termes de victimologie vient d’un galvaudage conceptuel et de ce qui est dénoncé comme une tromperie, un trompe-l’œil, dans la référence aux notions de trauma et de stress.

Comme si ces références étaient censées tenir un mode et contenir un ensem-ble de pratiques, comme si ces notions n’étaient pas avant tout des hypothè-ses théoriques dans des constructions sur et autour de la psyché, que celle-ci fût soma ou inconscient. À dire vrai le clinicien victimologue, avec ces notions, se donne plus de l’identité d’appartenance et de lobbying qu’il ne procure d’explications. Car pour un sujet social ce n’est pas de cela dont il s’agit mais d’abord et avant tout de ce qu’on a mal nommé, la souffrance psychique, par métaphore d’une médecine générale qui ne se voulait plus vétérinaire et qu’il faudrait désigner au mieux par la notion de détresse au sens le plus winnicottien du terme. Détresse qui renvoie aux deux orienta-tions que repèrent bien les cliniciens dans les référents de détriment et de préjudice d’une part, de désarroi et d’impuissance d’autre part. La détresse est psychique quand chacun se trouve livré à la plus fondamentale des sépa-rations, quand le monde s’affaisse en lui-même et ne semble plus exister que par le trou qu’il laisse sentir, quand le sujet alors est au bord de l’évanouisse-ment.

La lecture de Louis Crocq à la fois historique et notionnelle au travers les lieux sociologiques expérimentés, comme celle de Carole Damiani, ne

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

cessent d’insister sur cette expérience anthropologique, l’homme comme expérience de la détresse, de la séparation et leur maniement toujours en prise sur ce qui déborde et laisse entrevoir. Dans notre contexte contempo-rain pris entre des courants qui ne semblent pouvoir coexister que dans la polémique mortifère et victimale, l’intérêt des cliniciens victimologues est d’apaiser et de rendre possible une nouvelle expérience humaine pour chacun toujours en prise sur du lien social, dans une écriture renouvelée, réitérée et insistante se projetant sur des lieux inédits, renvoyant à et revisi-tant des pratiques d’intervention et de changement.