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MALADIE D’ALZHEIMER

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

PRÉAMBULE

Cette pratique de l’entretien que nous allons exposer repose sur la rencontre avec un sujet atteint de la maladie d’Alzheimer et institutionnalisé. L’institu-tionnalisation d’un tel malade découle généralement d’une dégradation importante de l’état psychique de ce sujet ne lui permettant plus de rester à son domicile. À ce stade de la maladie existe généralement une forte diffi-culté pour entrer en communication avec le patient. Outre cette diffidiffi-culté naturelle, il nous faut aussi attirer l’attention du lecteur sur le fait que l’inter-vention du psychologue clinicien va se faire non pas dans un contexte médi-cal psychiatrique, mais dans un contexte classé médimédi-cal neurologique où la dégénérescence cérébrale et les neurosciences font force de loi.

Les neurosciences… sont devenues une référence obligatoire, voire exclusive, à la compréhension de tout phénomène psychique. Cette omnipotence a été in-tégrée à un quasi-dogme : toute connaissance obtenue dans un cadre différent de la méthode expérimentale doit être considérée comme suspecte ; à la limite, elle doit être bannie du thésaurus des connaissances modernes.

J.-M. Léger, « La notion de personne humaine est-elle compatible avec les avancées actuelles de la biologie et les principes de la médecine contemporaine », Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie, 33, Paris, Masson, 2006, p. 2.

C’est cette tentative d’ériger en dogme un savoir partiel de l’être humain comme s’il était le modèle explicatif de tout phénomène psychique – y compris les troubles du comportement – qui va engendrer le premier écueil auquel le clinicien va être confronté. Il n’y a de passage de la généralité à la singularité qu’à la condition de sortir – en cet instant qu’est l’entretien clini-que – l’institutionnalisé du champ du médical, pour lui permettre sa réins-cription dans le champ du désir, et ainsi continuer à le regarder comme un être humain désirant, pourvu d’un bagage historique. Ce qui n’est pas si simple dans un contexte médicalisé et/ou à tendance médicalisante, comme

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en atteste l’interrogation du président de la Société de Psychogériatrie de langue française et professeur de médecine J.-M. Léger : « La notion de personne humaine est-elle encore compatible avec les avancées actuelles de la biologie et les principes de la médecine contemporaine ? » (Léger, 2006, p. 1.) Il est pourtant possible et intéressant d’un point de vue clinique, dès lors que l’on regarde avec un regard scientifique non sectaire, de voir que les neurosciences et la psychanalyse sont complémentaires pour la compréhen-sion de l’être humain (Chevance, 1999, 2003, 2005). Car en effet, « nombre de découvertes de la neurophysiologie apportent de l’eau au moulin de Freud » (Pommier, 2004, 4e de couverture). Généralement, on pense que des sciences comme la biologie ou la génétique réduisent la portée scientifique de la psychanalyse. Nous pensons qu’au contraire, elles renforcent la psychanalyse, pour peu que l’on ne cherche pas à les opposer mais à voir leur complémentarité dans la compréhension de l’être humain (Chevance, 2004). Cependant le principe de complémentarité exclut de fait la possibilité que l’un puisse prendre la place de l’autre. C’est pourtant ce à quoi préten-dent certains. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui nous voyons tant de soignants, de médecins, mais aussi de jeunes psychologues totalement démunis et de ce fait en grande difficulté face aux troubles du comportement des patients. Pour entendre la souffrance qui peut rendre compte d’un trouble du comportement, il faut commencer par écouter si l’on veut entendre. Or la tendance est implicitement voire explicitement de véhiculer l’idée qu’il ne sert à rien de prendre en compte la parole du patient atteint de la maladie d’Alzheimer ou de chercher à comprendre son comportement car c’est la vieillesse et la dégénérescence qu’elle génère qui en sont la cause : ce qu’il dit ou fait est démentiel. La démence (dementia) est une folie et de cette clas-sification du patient Alzheimer découle que ses actes et propos soient trop fréquemment tenus pour insensés. Vu sous cet angle, l’entretien est une perte de temps et le médicament la solution que l’on cherche à privilégier. Cette dernière solution peut grandement nuire à la possibilité d’entretien déjà fort compliqué. Pour ce qui concerne les médicaments spécifiques à la maladie d’Alzheimer, la science pharmacologique « reconnaît le peu d’activité dura-ble des produits proposés aux malades, elle leur attribue même des effets négatifs, vecteurs de mortalité » (Léger, 2006, p. 3). Parmi les effets négatifs, il en est un trop fréquemment scotomisé : l’agressivité. C’est pourquoi lors-que l’on nous demande de voir un patient agité ou agressif, il est important de savoir, avant de faire cet entretien, s’il y a eu changement de médicament ou de dosage. On entend souvent dire que l’agressivité est inhérente à la maladie, or de tels propos ne sont pas acceptables : la maladie peut certes jouer un rôle dans l’agressivité notamment par le biais de médicaments mais, dans la majorité des cas, l’observation et l’entretien cliniques mettent en évidence la dimension psychosociale et psychique du phénomène. Si, au travers de ce qui est très souvent l’expression de la souffrance (morale ou physique) et de l’angoisse d’un être humain malade, on ne voit en ce dernier

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qu’une maladie, en l’occurrence la maladie d’Alzheimer, il n’y a alors plus de rencontre possible avec l’autre, plus de rencontre avec son désir, ses angoisses, ses conflits psychiques, plus d’entretien par absence de communi-cation. Or le plus difficile avec ce genre de population, n’est-il pas justement d’établir le contact ?

On peut à ce propos paraphraser C. Chiland (1985, p. 88) en remplaçant

« enfant » par « patient Alzheimer » : « Tout autant que la personnalité du patient Alzheimer, les théories, les choix techniques, le style, la personne du clinicien jouent un rôle. Il est des cliniciens particulièrement doués pour travailler avec des patients Alzheimer. Et chacun de nous ne réussit pas à établir le contact avec n’importe quel patient Alzheimer ». Ce qui nous donne un texte tout aussi pertinent que son original.

En dehors de la qualité du clinicien, de ses références, de sa formation universitaire et du travail personnel fait sur soi pour entendre, il faut que la communication existe de préférence par la parole. Ce qui n’est pas acquis d’office avec notre population de référence, car si le corps, notamment par le biais de régressions, est régulièrement le vecteur d’informations, ces infor-mations, lorsque une personne devient âgée, ont de fortes chances d’êtres cataloguées comme étant les stigmates du vieillissement physique, d’autant plus encore s’il s’agit d’un patient Alzheimer. Il ne s’agit pas de nier les effets du temps sur le corps, mais de rappeler que nous parlons (à un) d’un être humain, pas (à une) d’une machine, ni (à une) d’une plante. Il est fonda-mental qu’un temps important d’« échange » verbal existe pour continuer à qualifier l’adulte âgé d’humain parmi les humains. Ce temps fondamental qu’est l’entretien, étant du côté du corps médical réduit à sa plus simple expression, voire exclu de l’examen clinique (Léger, 2006), il appartient au psychologue de jouer en ce domaine pleinement son rôle de clinicien.

Après cet indispensable préambule, nous allons rendre compte à partir d’une rencontre avec un sujet atteint de la maladie d’Alzheimer des spécifici-tés de l’entretien avec un patient souffrant de cette maladie. Tout en précisant que ce travail n’a pas la prétention de représenter l’entretien type, car les variables humaines et physiques sont trop nombreuses, mais d’être le plus formateur possible pour le psychologue souhaitant intervenir en psychogé-riatrie, en lui offrant la lecture d’un cas typique.