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1 À L’HÔPITAL : ENTRETIEN CLINIQUE – ENTRETIEN EN CLINIQUE

1.1 L’entretien clinique : références conceptuelle, méthodologique et éthique

Disons, en premier lieu, que l’entretien clinique spécifie une pratique fondée sur des conceptions, des principes et conditions, mais aussi une expérience et une formation qui en sous-tendent et guident l’exercice et où trouve son orientation la position du clinicien. En suivant, soulignons que, en clinique psychologique et psychopathologique dont relève en particulier la formation des psychologues cliniciens, la conceptualisation de cette pratique est, de façon privilégiée, pensée en référence à la psychanalyse. C’est là une donnée classique, du moins en France. Et le psychologue clinicien, bien souvent, n’est pas sans expérience analytique. Particulièrement sensible dans le

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champ médical, cette situation, qui paraît être une spécificité française, est liée aux conditions historiques et théorico-cliniques de fondation de l’appro-che clinique du psychologue clinicien. S’en éclaire le fait que la psychana-lyse qui est, à ce jour, le seul champ d’expérience et de conceptualisation qui peut rendre compte des différents aspects du sujet (divisé) et de ce qui l’anime ou le mortifie, a été et demeure une référence centrale comme orien-tation théorique et clinique privilégiée, si ce n’est par expérience et forma-tion analytiques.

Ceci étant, il est à considérer que dans l’activité clinique, à l’hôpital ou ailleurs, prendre un appui essentiel sur le modèle de la psychanalyse relève d’un choix qui ne peut être réduit à la seule référence conceptuelle et doctri-nale, fût-elle privilégiée : est engagée aussi la question d’une pratique dans la spécificité de sa méthodologie et de ses exigences éthiques. Comme tout autre choix, le choix référentiel de la psychanalyse implique, pour le clini-cien, une prise de position quant à ce qui l’oriente dans sa pratique et ceci, dans le contexte médical de l’hôpital général, littéralement, jusqu’au « lit du malade » où souvent a lieu, outre des « prises de contact », une première, et dans bien des cas, unique rencontre.

L’entretien clinique en psychologie clinique et psychopathologie référen-cées à la psychanalyse présente des proximités mais aussi des différences avec l’entretien psychanalytique sur les traces duquel il s’est historiquement constitué. La psychanalyse, pour reprendre la définition de Freud, c’est d’abord le nom d’une méthode d’investigation spécifique sur laquelle se fonde une méthode de traitement du même nom et dont procède l’élabora-tion du corpus doctrinal qu’est aussi la psychanalyse. Travailler dans la réfé-rence à, ou plus directement, avec la psychanalyse en entretien clinique – sans pour autant « faire de la psychanalyse » au sens de la cure et confondre entretien clinique et « entretien analytique » –, c’est travailler, sous certaines conditions techniques ou éthiques et plus ou moins directement, avec cette méthode spécifique dans une pratique clinique dont la mise en œuvre impli-que le clinicien. On peut comprendre impli-que cette pratiimpli-que alors, outre une réfé-rence aux concepts de la psychanalyse, puisse inviter à l’expérience propre de la psychanalyse. Expérience que ne sauraient remplacer celle de stages cliniques et la nécessaire formation en psychopathologie clinique et psycha-nalyse que dispensent certaines universités. On peut être psychologue clini-cien sans être psychanalyste. Il n’en reste pas moins la question : le seul référent théorique peut-il fonder, pour le psychologue clinicien, l’offre d’un espace de paroles dans une pratique clinique dont il se dit que le meilleur outil dont il disposerait dans celle-ci est lui-même ? Peut-il s’en contenter pour « écouter » et surtout « entendre » un sujet dans une relation d’interlo-cution qui l’implique lui-même comme sujet, comme « psyché », et pour s’orienter dans sa pratique ?

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1.2 Jusqu’au « lit du malade » : spécificité de l’entretien clinique

La pratique de l’entretien clinique « au lit du malade » peut confronter le clinicien à des problèmes matériels et techniques particuliers. Par exemple, en service de réanimation, l’aménagement concret d’un temps particulier et d’un espace de rencontre avec un sujet alité nécessitant des soins intensifs, pouvant être sous ventilation assistée et partageant une chambre avec un voisin de lit. Néanmoins là, comme dans d’autres contextes, ce type d’entre-tien dans sa pratique se spécifie par certaines caractéristiques intrinsèques.

Ce qui le distingue d’autres types d’entretiens dits cliniques avec lesquels, en particulier dans le champ médical, il est souvent plus ou moins confondu.

L’entretien clinique, comme tout entretien, suppose de la parole, une forme de dialogue, entre des interlocuteurs. Mais il n’y s’agit pas seulement, par exemple, de transmettre des informations, et pas plus de converser dans un échange symétrique, ou de se prêter à certains exercices (questionnaires, tests), ni même de trouver un certain soulagement dans la possibilité de parler (« ça fait du bien de parler », de « vider son sac » dit-on). En somme, il ne suffit pas de parler pour qu’il y ait de l’entretien clinique.

L’entretien clinique offre l’opportunité, la possibilité à un sujet (divisé) de dire, de se dire, et d’être écouté par un autre qui, par sa disposition d’écoute, invite à la parole. Mais, plus encore, il ouvre au possible, pour ce sujet, d’être entendu et d’entendre ce qui se dit, ce qu’il dit, y compris parfois, comme ce peut être le cas, lorsque un sujet est privé de voix (en réanimation, en ORL), en « parlant » au clinicien au moyen de l’écriture. En effet, dans l’espace d’interlocution particulier d’une relation dissymétrique dont s’ordonne l’instauration de l’entretien clinique, c’est à l’expérience de la parole et à sa fonction spécifique dans l’adresse à un autre, à la surprise, à l’énigme de la parole, à son pouvoir de révélation et son impact, que convie le dispositif de cette situation clinique. Soit une situation où les dimensions de l’inconscient et de ses effets, de la réalité psychique (désir inconscient et fantasmes), celles des identifications et des transferts, ne peuvent être méconnues par le clinicien ou non prises en compte. Un clinicien qui se trouve lui aussi impliqué comme sujet, c’est-à-dire aussi comme psyché, et qui travaille avec cette implication (recueillie en partie sous le terme de contre-transfert).

Dans cet entretien, par principe non directif, est bienvenue l’association libre des pensées dans une parole accueillie sans jugements a priori. Et la forme d’écoute, la disposition d’attention du clinicien sont ici fondamentale-ment particulières : dans un « champ de transférances » (Fédida) impliquant l’intersubjectif et l’intrapsychique des interlocuteurs en présence, par le médium de la parole et dans ses modalités de déploiement, c’est une psyché, dans les particularités de son être, dont le clinicien se préoccupe, c’est un

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sujet qu’il propose d’écouter et de reconnaître, que ce soit dans les différents aspects de sa vie libidinale, psychocorporelle, relationnelle, de son fonction-nement psychique, de ses mécanismes de défenses, de sa souffrance et de ses effets pathogènes, de ses craintes et angoisses, de l’expression symptomati-que de son mal-être, voire de sa détresse.

Si l’entretien clinique répond à certaines caractéristiques intrinsèques, il n’est pas pour autant normé et uniforme. Des variations plus ou moins importantes d’ordre divers peuvent être mises en jeu d’un clinicien à l’autre, ou par un même clinicien en fonction de certaines données et des sujets qu’il rencontre. Les modalités et le cadre de rencontre peuvent être variables (entretien dans un bureau, au « lit du malade » ou ailleurs, entretien avec un patient seul ou non) et variables aussi les modalités, le déroulement de l’entretien, les modes d’interventions du clinicien comme les visées ou les perspectives qu’il considère (investigation, soutien, thérapie). Cependant, la préoccupation du « psy » dans l’entretien clinique, y compris en médecine somatique, n’en reste pas moins fondamentalement ceci : le sujet (dans sa division) et les incidences psychiques de ce qui lui advient et avec quoi celui-ci a à faire. Ce point est important à souligner car il peut être pensé que c’est au titre de la maladie qu’un psychologue clinicien rencontre… des malades. Et ceci, par exemple pour les aider à accepter leur maladie, à deve-nir des « bons malades » (souscrire aux protocoles de soins, obéir au médecin, etc.), comme aussi bien il aiderait d’autres à devenir de « bons mourants ».

1.3 Entretien clinique – entretien en clinique à l’hôpital

Au regard de l’approche ci-dessus, on peut concevoir qu’un échange de paroles avec un « psy » dans un lieu clinique n’en fait pas pour autant un entretien clinique, de même que, par exemple, dans le cadre de la cure, toute intervention verbale de l’analyste ne relève pas du registre de l’interpréta-tion. Ce n’est pas le fait qu’un clinicien (médecin, psychiatre, psychologue clinicien, psychanalyste) a un entretien avec un patient dans une institution de soin, un lieu clinique, qui en fait un entretien clinique. Ainsi un entretien d’expertise psychiatrique ou un entretien de recherche psychologique peuvent être des entretiens en clinique sans être pour autant des entretiens cliniques tels que spécifiés ci-dessus. Les méthodes, les buts sont différents et tout autant les positions des interlocuteurs en présence.

Dans l’entretien en clinique, l’entretien de recherche, pour reprendre cet exemple, répond le plus souvent à un projet planifié et un objet de recherche précis : par exemple évaluation des récidives de tentatives de suicide chez des sujets hospitalisés pour ce motif dans la perspective d’une amélioration de la prise en charge. C’est à ce titre que des sujets peuvent être rencontrés dans un ou des entretiens qui sont semi-directifs et souvent directifs, voire de

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l’ordre du questionnaire. Dans ce type d’entretiens la parole de la personne est commandée et délimitée par des réponses à donner, parfois des consignes à respecter et, dans ce cadre contraignant pour les deux locuteurs,

« l’écoute » orientée par les informations que le chercheur veut recueillir dans le but, préétabli, de sa recherche.

Cette écoute peut être désignée, et ceci alors dans un différentiel avec ce qui est dit « écoute thérapeutique », comme « écoute de recherche ». Une écoute de recherche d’un tout autre ordre que celle mise en œuvre dans l’entretien clinique qu’oriente la psychanalyse où, quelles qu’en soient les visées, il ne saurait y avoir d’incompatibilité entre écoute de recherche et écoute thérapeutique. Ici, d’une part, ce n’est pas un partage entre des formes d’écoutes différentes (recherche/thérapeutique), mais l’écoute et « l’entendu » plus ou moins différents de chaque clinicien dans des rencontres chaque fois singulières. Et, d’autre part, est à souligner la dimension heuristique, intrin-sèque à la méthodologie de l’entretien clinique, à la mise en acte de sa prati-que référencée à la psychanalyse et qui peut rejoindre sur ce point l’entretien psychanalytique : la possibilité qu’en résulte tout autant un « gain scientifique » (Freud), qu’un bénéfice thérapeutique.

À l’hôpital général, comme dans bien d’autres institutions médicales de soin, l’entretien en clinique (clinique médicale, psychiatrique, psychologi-que) peut prendre différentes formes (notamment entretien directif ou semi-directif à visées diagnostique, de prescriptions, à visées d’évaluation, d’expertise, de recherche). Dans le cadre de son orientation en psychologie clinique et psychopathologie et celui de son activité à l’hôpital, entretien en clinique et entretien clinique peuvent être des pratiques soutenues par un même clinicien « psy », mais dans l’un et l’autre cas, sa position et ce qui sous-tend et fonde cette position sont en jeu. S’en organisent le cadre d’entretien, la situation de la parole, les modalités de son usage et de son écoute.

Si entretien clinique et entretien en clinique sont des pratiques à différen-cier, sont aussi à différencier des champs d’interventions souvent confondus, ceci bénéficiant à la confusion entre ces pratiques. En effet, sont à distinguer de la psychologie clinique et psychopathologie, la psychologie médicale et la psychologie de la santé. Si dans ces trois champs peut s’exercer une pratique de l’entretien en clinique, on peut appréhender, au regard de l’approche proposée ci-dessus, que l’entretien clinique dans sa pratique ne relève pas de la psychologie médicale qu’imprègne le modèle médical et qui s’occupe de problèmes posés par la médecine et aux médecins ou aux malades. Et pas plus de la psychologie de la santé laquelle s’occupe justement de la santé et de la maladie (diagnostic, causalité, prévention, traitement). Autrement orienté est le clinicien « psy ». À l’hôpital général, en médecine somatique, comme en bien d’autres lieux, ce qui le préoccupe lui, on l’a dit, c’est le sujet. Et plus particulièrement ici, où ce sujet est réduit souvent à la condi-tion objectivée de corps-organisme et à sa pathologie, c’est la place qui est

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faite à celui-ci, à son désir, son histoire, sa parole, sa plainte, c’est la recon-naissance de la souffrance psychique, voire de la détresse qui peut être la sienne. Une souffrance, une détresse psychique que peuvent engendrer ou majorer la maladie, l’accident (ce qu’ils impliquent en eux-mêmes corporel-lement et psychiquement pour chacun) et, tout autant, les soins médicaux nécessaires de natures diverses. Mais aussi une souffrance, une détresse, reconnues ou non, qui peuvent conduire à l’hôpital général pour des soins corporels plus ou moins importants (ainsi en réanimation, en chirurgie), des sujets ayant tenté un suicide (ingestion médicamenteuse, de produit toxique, phlébotomie, défenestration etc.).