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L’intervention dans l’entretien clinique à visée psychothérapeutique

6 INTERVENTION ET PSYCHOTHÉRAPIE

6.1 L’intervention dans l’entretien clinique à visée psychothérapeutique

Comment faire ? Que dire ? Que répondre ? Comment se placer, se position-ner (dans l’espace, dans le discours) ?

Voilà quelques questions, parmi beaucoup d’autres qui surviennent à propos des premières occasions de pratiquer l’entretien.

Naturellement il n’y a pas de réponses uniformes, de techniques générales pour proposer des réponses. La singularité des situations, la part de créativité que chaque clinicien engage dans sa pratique ne peut que rendre méfiant sur l’administration de recettes.

Toutefois il s’agit de réfléchir à ces interrogations d’apparence techniques à partir de la notion d’intervention.

Il convient d’abord de décomposer le terme : inter-venir est venir entre. En l’occurrence dans l’entretien toute intervention comporte un risque qu’il convient d’appréhender. Ce risque est celui d’une interposition. Interposition entre le sujet et son discours, obstacle posé qui empêche l’accès à une inté-riorité à peine entrevue. Interposition entre le sujet du discours et son desti-nataire. En effet un clinicien en s’exprimant peut faire courir le risque de centrer le sujet sur ce qui le préoccupe, sur ce qui l’intéresse et donc de détourner le sujet de ce qu’il était en train d’adresser à un destinataire, le

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priver de la possibilité de s’entendre dire. Même si le clinicien part du discours du sujet, de son thème, de sa forme pour intervenir, il n’évacue pas la possibilité de s’en servir de pré-texte pour développer un texte qui lui appartient et du coup déposséder son interlocuteur de ses propres énoncés, recouvrir le texte de son patient. Ce risque rapidement esquissé va guider nos réflexions sur quelques interventions de psychologue débutant dans l’entre-tien clinique, va aider à prendre la mesure de la nécessité des interventions et de leur pondération renouvelée.

L’ordre chronologique sera choisi pour effectuer ce travail d’appréciation – par ailleurs propre à chaque entretien et à inventer pour chaque patient. La première intervention se situe avant le début de la rencontre proprement dite : dans le choix de l’espace matériel, dans l’organisation de cet espace. Il appartient au praticien – sinon de choisir l’espace du moins de prendre en charge sa disposition ; même si celui-ci ne dispose pas d’un bureau, il lui appartient de veiller à l’installation de son interlocuteur, de lui indiquer qu’au sein d’un espace institutionnel plus vaste il prend soin de disposer un secteur plus intime (diminuer le son de la télévision, se mettre dans un endroit où on risque moins d’être dérangé). Cette mise en place est à faire et à dire (notamment dans le cas, je le sais assez fréquent, où le clinicien ne dispose pas de lieu de séjour et de pratique réservé).

L’intervention préalable consiste donc à veiller au confort, à la bonne distance (physique et donc psychique) entre les interlocuteurs, à la garantie d’une intimité au moins égale à la durée de l’entretien. En l’occurrence il ne s’agit pas essentiellement d’intervenir mais de venir vers l’interlocuteur qui a choisi de venir vers le clinicien.

Quant à l’intervention, l’interposition, elle s’avère indispensable en direc-tion de l’environnement de la rencontre clinique, environnement matériel en préservant une intimité minimale, environnement humain en s’assurant que pour la durée de l’entretien, la séparation est assurée et supportable (sépara-tion des proches, des familiers, des autres soignants…). Bref on comprend que l’intervention préalable vise fondamentalement à séparer le sujet pour lui permettre de re-trouver son intériorité, son intimité. Le séparer pour qu’il se retrouve.

La présence du clinicien dans l’entretien constitue le deuxième aspect de l’intervention. Une présence qui n’a pas besoin d’être bruyante pour être reconnue. Il ne s’agit pas de s’affirmer mais plutôt d’être là, de signifier sa disponibilité sans insistance. Le silence est le plus souvent associé à cette présence. J’estime, en effet, que pour qu’un sujet parle, dise, il convient d’abord de se taire. Du silence peut naître la parole. Il reste que rester silen-cieux peut être un mode d’intervention particulièrement inopérant, voire nocif pour la prise de parole. Il est des silences froids et distants qui immobi-lisent, qui figent tout énoncé. Silence animé par la gêne, ou encore le senti-ment de n’être pas à la hauteur, d’être dépassé. Ce qui circule en deçà de la

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parole est une sorte d’impossibilité de s’assurer présent dans la rencontre.

Ou encore à être présent dans une sorte de rôle mal assimilé, un rôle de composition structuré par une imitation des apparences extérieures – celui classiquement attribué à un modèle envié : le psychanalyste silencieux.

Modèle régulièrement caricaturé dans des films où la présence du psychana-lyste est donnée par ce style extérieur convenu : l’impassibilité silencieuse et la production régulière de sons inarticulés censés accueillir et encourager la parole de ses patients.

En fait il est possible d’être présent et vrai dans le silence. L’intervention est alors attente de la parole et respect d’un silence initial quelquefois néces-saire. L’intervention peut également être attente d’un dire après la formula-tion précipitée de paroles vides destinées à combler le vide et qui ne font que l’accentuer. En tout état de cause ce qui préside à ce mode d’intervention est l’idée que la parole de l’interlocuteur est primordiale, est au centre de l’entretien, est au centre des intérêts du clinicien pour être au centre des inté-rêts de son interlocuteur. On va s’intéresser à ce qui va se dire pour que celui qui énonce porte intérêt, curiosité, sens à son discours. Si le silence est condition d’émergence de la parole on ne peut se dispenser d’une invitation préalable et fondatrice de l’entretien, une invitation à dire. Il convient de rendre aussi explicite que possible cette invite à dire sans orienter le discours de son interlocuteur, sans le centrer sur un terrain trop restrictif, sans le limi-ter à ce qui pourrait nous intéresser. L’inlimi-tervention consiste donc à encoura-ger la production d’un discours, à stimuler l’émission d’une parole tout en laissant à nos interlocuteurs l’initiative pleine et entière concernant son contenu, son thème et sa forme. Du coup la tentation est à nouveau forte de reprendre la règle fondamentale de la cure : « Dites ce qui vous vient à l’esprit sans restriction, ni censure. » Il me semble que cette procédure est déplacée dans la pratique première d’un psychologue clinicien, et naturelle-ment d’un psychothérapeute. Il me semble nécessaire, souhaitable – c’est peut-être un conseil, une recette – de partir de la demande qui a suscité la rencontre, provoqué la rencontre. En l’occurrence la parole est donnée à partir d’une formulation qui reprend ce qui est connu et su avant la rencontre.

Le souhait de rencontrer un psychologue, de parler à quelqu’un… Entre autres il se peut également que l’on ignore ce qui a provoqué le face-à-face, l’intervention initiale visera explicitement à permettre que soit dite la cause émergente, le motif immédiat de l’entretien. Une fois la parole donnée, les interventions suivantes pourront viser à soutenir la production d’énoncés. Ce soutien n’est pas nécessairement spectaculaire même s’il convient qu’il soit visible. Tourner la tête, lire ostensiblement un document, consulter son agenda ou sa montre en disant je vous écoute ne suffisent pas toujours à conserver le flux de paroles de son interlocuteur. À l’inverse trop se rappro-cher, multiplier les sourires de sympathie, afficher des marques répétées de compassion peut s’avérer intrusif et inhiber la parole ou plutôt l’orienter vers ce qui apparemment intéresse tant, suscite tant de sentiments compréhensifs.

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Une intervention de soutien vise avant tout à conserver l’initiative de la parole, de son contenu, de sa forme au locuteur. Soutenir sans orienter amène maintenant à reconnaître les points de recouvrement entre intervention et interprétation. Pour certains psychanalystes, toute intervention est interpréta-tion. La rareté des interventions donne nécessairement du poids à chacune des interventions – le moindre mouvement de l’analyste à l’intérieur d’un contexte immuable et silencieux prend un relief important. Le mouvement de concentration opéré par le transfert donne à la parole de l’analyste, ou même à une simple relance de sa part une valeur interprétative. La parole du patient va prendre un sens non prévu du fait même de sa reprise par l’analyste. L’intervention sera interprétation par la pertinence du moment choisi pour être effectuée.

Ce détour par l’expérience analytique permet maintenant de reconnaître l’enjeu d’une intervention dans l’entretien clinique à visée psychothérapeuti-que. La précipitation dans une intervention peut prendre la consistance d’une interprétation sauvage sans intention de la donner. Ce rappel en langage juri-dique pourrait injuri-diquer le caractère transgressif de cette modalité d’interven-tion, en l’occurrence la parole du patient ne trouve pas accueil et disponibilité mais se heurte à la tentation de se précipiter dans une recherche hâtive de significations latentes. Laisser du temps au locuteur pour dire, prendre son temps pour interpréter ou intervenir sont des précautions constantes.

À la suite de ces propos très généraux sur l’intervention, la nature, l’opportunité et la forme des interventions pourraient à présent être appro-chés à partir de quelques modes d’expression observés chez les interlocu-teurs des psychothérapeutes. Il n’est pas rare d’être en présence de propos séducteurs ou plutôt de remarques d’apparence séductrice. J’ai déjà fait allu-sion à des personnes qui tiennent à dire avant et/ou après l’entretien que « ça leur a fait du bien de vous parler ». Pour d’autres dès la première rencontre – je pense notamment à des patients hospitalisés de longue date en psychiatrie et qui ont déjà connu des psychologues stagiaires régulièrement – les paroles sont plus explicites vantant les qualités physiques, la disponibilité évidente du clinicien et enchaînant sur des avances ou des propositions. Pour interve-nir à la suite de ces mouvements il convient de les situer pour chacun des interlocuteurs de l’entretien, de préciser le statut de modes d’expression séducteurs. Il se peut que pour chacun des interlocuteurs le statut du discours de séduction soit le même : viser à plaire, à satisfaire son interlocuteur pour l’amener à soi, le conduire sur un terrain qu’il n’a pas choisi. Il s’agit de disposer du désir de son interlocuteur à partir de son propre désir. Reprendre, entendre une phrase comme : « ça m’a fait du bien de parler » consiste à se détacher de la sincérité d’une écoute « à la lettre » et à s’interroger sur l’intention inconsciente de ces propos gratifiants. La part de vérité de cette gratitude n’est pas nécessairement à rejeter, elle peut pourtant être également indice d’une crainte encore mal dissipée ou encore d’un besoin de restaurer un interlocuteur encore incertain. L’intervention dans ce cas, sans être

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ment immédiate, visera à maintenir une sorte de sécurité dans la rencontre en présence de l’angoisse, de l’anxiété d’un sujet pour lui-même ou pour son interlocuteur clinicien (ce qui pourrait être projection en présence d’un tiers qui s’y prête).

Le statut du discours de séduction peut être radicalement différent pour chacun des interlocuteurs, dans la situation présentée à l’instant où ce qui est présenté sur un registre génitalisé et sexuel peut être entendu et repris sur un registre différent, notamment préœdipien et narcissique. Le compliment lourd, insistant, l’avance précipitée, indiquent d’abord l’absence de distance, ou plutôt une sorte de négation des formes conventionnelles d’entrée en rela-tion. Faire la cour n’est pas alors signe de courtoisie. Mais ces sujets font-ils vraiment la cour ? L’excès de leurs compliments peut d’abord donner à penser que – comme dans le cas précédent – l’angoisse est si prédominante qu’elle nécessite de transformer au plus vite l’interlocuteur en auditeur inconditionnel.

Sur un mode narcissique dépassé un sujet peut chercher à s’admirer dans l’effet produit sur son interlocuteur. Il est délicat de proposer des interpréta-tions générales de mouvements nécessairement singuliers. Ce qui reste, par contre, à reconnaître, à spécifier est le mode d’intervention face à des manœuvres de séduction déplacées et déstabilisantes. Je pense d’abord que même si elles s’expriment sur un mode d’apparence névrotique, elles ont une sorte de pouvoir contaminant fait d’angoisse et d’incertitude sur une conti-nuité de l’être. En quelque sorte, dans une accentuation différente, ces discours fonctionnent de la même manière qu’un discours délirant (en l’occurrence on peut penser à l’érotomanie). À respecter en tant que formes symptomatiques ils ne doivent pas empêcher de maintenir la relation d’entre-tien ni interdire le maind’entre-tien d’une bonne distance. Pour parvenir à ce double maintien il convient de situer l’effet produit par ce discours sur le praticien, et de constater qu’il n’est pas rare d’observer une sorte de sidération, de malaise. Tout semble se passer comme si le clinicien ne pouvait s’empêcher de croire qu’il suscite admiration, gratitude, désir pour son interlocuteur. Ce que dit éprouver son patient est accueilli sans véritable réserve. Sans parve-nir à véritablement penser ce qui lui est adressé le clinicien y réagit. Gêne, sidération, malaise pourraient traduire une partie du désir à être clinicien : produire, faire de l’effet. On peut donc imaginer le désarroi intense produit par un premier entretien où un interlocuteur dit sans précaution ni réticence ce qui anime le désir d’être clinicien et qui doit si brutalement être reconnu pour être éventuellement dépassé. Naturellement cette intention narcissique inconsciente trouve à se dire, à se rationaliser en d’autres termes : aider, permettre le changement, soutenir, guérir, soulager. De ce point de vue les patients d’apparence séductrice se livrent à une sorte d’interprétation sauvage du désir à être clinicien. Désir de reconnaissance auquel il convien-dra de progressivement renoncer pour se centrer sur le patient et sur son discours.

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L’intervention pour être possible implique donc d’être en mesure de reconnaître et d’analyser pour soi l’impact suscité par la parole du patient, ce travail peut être effectué dans l’instant, peut être différé ou nécessiter d’être repris au cas par cas dans une élaboration distanciée.

À l’inverse de propos fournis, nombreux, gratifiants et agressifs la ques-tion de l’intervenques-tion se pose également en présence du silence des interlocu-teurs du clinicien.

Certains patients commencent par se taire, par produire un discours très minimaliste, ou encore s’installent très progressivement dans un silence trop souvent ressenti comme lourd et pesant. Une remarque s’impose d’emblée : si quelqu’un a accepté une rencontre, s’est éventuellement déplacé pour aller voir un praticien, il convient de considérer qu’il a l’intention, l’espoir, le souhait de dire.

Le silence initial ne contredit pas nécessairement ce postulat, il en montre les facettes. L’intention de s’exprimer n’est pas toujours suffisante, elle peut s’articuler sur la nécessité d’une intervention du clinicien. Intervention composée d’attention bienveillante, d’une qualité de présence à son interlo-cuteur. Face aux silences il va de soi que les interventions bruyantes, multi-ples, les relances à flot continu sont peu recommandées. Un silence initial mérite d’abord d’être respecté, l’abondance des sollicitations ne fait que manifester le malaise, l’anxiété de leur auteur et accroître ou créer de la gêne et de l’inquiétude chez son interlocuteur qui aura, alors, d’autant plus de peine à sortir de son silence. L’acceptation, le consentement au silence initial préfigure la disponibilité et la confiance en une parole à venir. Il ne s’agit pas pour le clinicien de se taire pour contraindre son interlocuteur à sortir de son silence, son mutisme n’est pas obstination mais attente calme d’une parole, maintien d’une confiance qui lui a été d’emblée accordée pour se mettre à l’écoute.

Des cliniciens et certains de leurs interlocuteurs présupposent que le meilleur moyen de sortir ou d’éviter le silence consiste à poser des questions.

La question pour faire parler renvoie à la torture qui au Moyen Âge s’appe-lait la question. Cette position extrême ne nous éloigne pas de notre convic-tion, la formule interrogative contraint a priori un sujet à s’exprimer sur un terrain qu’il n’a pas choisi et peut à terme éteindre sa parole.

Un mot, enfin, sur l’intervention nécessaire pour mettre un terme à l’entre-tien. L’initiative de cette intervention appartient exclusivement au praticien, manière de signifier que si la conduite du discours, son contenu, sa forme appartiennent à son interlocuteur, la mise en place du dispositif de l’entretien concerne exclusivement le praticien. Savoir mettre un terme à la rencontre est une intervention clinique qui concerne à nouveau la séparation. La première intervention séparait le patient de son environnement pour lui permettre de se rencontrer, la dernière intervention le sépare du clinicien pour lui permettre de renouer avec son entourage. La capacité du clinicien à

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supporter les séparations est un élément essentiel pour la rendre supportable à son interlocuteur. Respecter une durée sans interrompre au milieu d’une phrase ; être en mesure de ne pas prolonger sans repère une rencontre ; apprécier les risques du respect d’une limite en présence d’un sujet perturbé par la rencontre sont quelques-unes des précautions nécessaires à l’interven-tion de clôture d’un entretien.

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