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Des pratiques vivrières caractérisées par une forte complémentarité terre- terre-mer

Démarche méthodologique ⇓

Chapitre 4. Les hommes, la mer et le littoral à Mayotte : un lien complexe complexe

1. Un territoire villageois traditionnel marqué par une symétrie fonctionnelle terre-mer fonctionnelle terre-mer

1.1. Des pratiques vivrières caractérisées par une forte complémentarité terre- terre-mer

1.1.1. Territoire villageois traditionnel

Comme nous l’avons vu précédemment (cf. chap. 2), l’économie vivrière traditionnelle reposait classiquement à Mayotte sur les activités agricoles, pastorales et halieutiques, piliers de cette société, tant au niveau de sa subsistance que de son organisation sociale, symbolique et spatiale. Rappelons à ce propos le nom donné à Mayotte dans un ancien manuscrit, saba mtsanga saba maruwa, expression archaïque qui signifie « sept plages sept villages » (Blanchy, 1999) et témoigne bien du caractère littoral des premières implantations villageoises mahoraises, lié à cette traditionnelle complémentarité entre la terre et la mer.

Cette dernière peut s’analyser de façon intéressante à l’échelle villageoise, à laquelle on observe, si l’on tente de modéliser ces territorialités villageoises, une grande symétrie fonctionnelle entre les lieux terrestres et les lieux marins constitutifs du territoire villageois (cf. Figure 28).

Figure 28: Modélisation du territoire villageois traditionnel

(Conception : L. Beretti / Réalisation : P. Brunello, cellule géomatique UMR LIENSs 6250)

Quelques clefs de lecture s’imposent. On peut noter, pour commencer, que sont représentés au sein de ce schéma l’ensemble des villageois et même les villageois des villages voisins. Cela traduit une importante homogénéité des acteurs en termes de territorialités. La plupart des lieux composant ce territoire sont pratiqués par l’ensemble des habitants, mais une certaine dichotomie, assez classique, peut être observée entre hommes et femmes, certains lieux étant exclusivement fréquentés par les hommes (villages et champs saisonniers - correspondant au système du tobé décrit dans le chap. 2 - ; zones de pêche).

En lien avec l’homogénéité des acteurs, on peut constater une grande cohésion de ce territoire villageois, accentuée sans doute par sa taille relativement restreinte et par la netteté des discontinuités spatiales qui en marquent les limites. Côté mer, la frontière entre le lagon, régulièrement fréquenté pour la pêche (et les déplacements en pirogue), et la haute mer, se matérialise par la barrière récifale externe, sur laquelle on pêche, mais au-delà de laquelle on ne s’aventure quasiment jamais. Côté terre, la limite est marquée par le passage des zones exploitées à la forêt qui, elle non plus, ne fait pas partie du territoire villageois. Si l’on s’intéresse aux discontinuités spatiales « latérales » (perpendiculaires au trait de côte), on constate qu’elles sont quasi inexistantes, hormis au niveau du platier, espace fortement

approprié par le village comme on l’a vu précédemment185 (cf. chap. 2). Cette ouverture s’explique par les nombreux échanges inter-villages, conséquences des liens étroits entre villages voisins (cf. Figure 29). Elle est également liée au partage d’un certain nombre d’espaces entre villages voisins, tels que les zones de pêche dans le lagon et les champs cultivés sur les îlots.

Cette symétrie entre un « dehors » marin (la haute mer) et un « dehors » terrestre (la forêt) se retrouve également au niveau des lieux familiers constituant le « dedans » du territoire villageois. En effet, d’un point de vue fonctionnel, on peut observer sur le modèle que ce sont des lieux aussi bien terrestres que littoraux et marins qui remplissent les fonctions vivrières principales. De même, en termes de déplacements hors du village, l’on peut constater qu’ils s’effectuent aussi bien par voie terrestre que maritime, la pirogue restant le moyen de transport le plus rapide à une époque où le réseau routier et les moyens de transport terrestres sont encore très peu développés. La ligne de partage terre-mer ne constitue donc absolument pas une discontinuité majeure, comme en atteste l’importance des connexions quotidiennes village-platier ou village-lagon, tout aussi primordiales que les connexions village-champs. La symétrie terre-mer se retrouve également en termes de croyances (et de rituels associés), le rayon potentiel de l’action divine étant par définition illimité (et donc tout autant terrestre que marin) et les êtres surnaturels tels que les djinns186 étant réputés habiter aussi bien sur la terre que sous la surface de la mer. Pour des raisons de clarté de représentation, cette dimension immatérielle du territoire traditionnel mahorais n’apparaît pas sur le modèle mais sera évoquée un peu plus loin (point 1.2), car elle constitue une dimension importante et significative de ces territorialités auxquelles nous nous intéressons ici.

1.1.2. Perméabilité du territoire villageois traditionnel

Pour compléter le modèle proposé dans la Figure 28, il est important de se pencher sur un autre aspect du fonctionnement général du territoire villageois traditionnel, que l’on a appelé sa perméabilité. Cette dimension concerne les déplacements à l’extérieur du territoire villageois qui, même s’ils sont secondaires par rapport aux déplacements internes dans le cadre de ce territoire traditionnel, n’en demeurent pas moins importants et spatialement structurants.

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Pour rappel, les pratiques de pêche à pied qui se déroulent dans cette zone sont assez exclusivement rattachées au territoire villageois d’appartenance, contrairement aux pratiques de pêche embarquée, moins « contraintes » territorialement, la mer étant posée comme un espace plus « partageable » et partagé.

Figure 29: Perméabilité du territoire villageois mahorais traditionnel

(Conception / Réalisation : L. Beretti / Finalisation : P. Brunello, cellule géomatique UMR LIENSs 6250) On constate ainsi sur la Figure 29 qu’en termes de destinations, ce sont les espaces proches qui sont privilégiés, ce qui est en partie conditionné par la faiblesse du développement des moyens de transport et du réseau routier qui, ajoutée aux contraintes liées à l’insularité, engendre un coût particulièrement élevé, aussi bien en termes de temps que d’un point de vue financier, dès lors qu’il s’agit de se rendre loin, voire très loin. En outre, l’importance des villages voisins en tant que destinations s’explique par la densité des liens sociaux et familiaux tissés entre villages proches, entre lesquels de nombreux mariages sont conclus.

En ce qui concerne les motifs de déplacement, on constate qu’ils sont assez peu nombreux, l’essentiel de ce qui assure le quotidien dans cette société traditionnelle vivrière, étant disponible au sein du territoire villageois.