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Démarche méthodologique ⇓

Chapitre 4. Les hommes, la mer et le littoral à Mayotte : un lien complexe complexe

2. Un territoire villageois moderne qui se recompose et bouscule cette symétrie terre-mer symétrie terre-mer

2.2. Des pratiques du passé ?

2.2.1. Ce qui se perd, ce qui ne doit pas se perdre : ambiguïté actuelle du rapport à la tradition à Mayotte

Pour aborder cette question complexe, nous reprendrons l’inventaire (cf. §1.2.1) des différents types de pratiques liées à la mer et au littoral, afin d’analyser dans quelle mesure il est possible de dire que certaines tombent ou non en désuétude aujourd’hui. Nous nous appuierons pour cela tant sur nos observations personnelles que sur les discours recueillis au cours de nos séjours à Mayotte, auprès des différents acteurs avec lesquels nous avons pu échanger sur la question.

Concernant les pratiques associées à une action de type prélèvement, on peut observer que :

- L’extraction de sable pour la construction a désormais cessé ;

- La récolte des coraux utilisés pour la fabrication du Bwe la msindzano perdure, malgré l’interdiction de la cueillette de coraux établie en 1980203. En effet, même si cette activité est désormais tout à fait clandestine et de ce fait difficile à étudier, une enquête réalisée en 1998-1999 avance les chiffres suivants :

→ une femme mahoraise utilise en moyenne 4,12 « tabourets » entre 20 et 50 ans ;

→ le poids sec moyen d’un « tabouret » varie, à Mayotte, entre 3,1 et 3,7 kg selon la forme de celui-ci,

« carrée » ou « ronde », pour un volume d’enveloppe du bloc de 2,2 à 2,6 dm3 ;

→ dans ces conditions, on ne peut façonner dans une colonie « standard » de Porites, récoltées sur les

platiers, que 4 « tabourets » (Chanfi et Thomassin, 1999) À partir de là, il a pu être estimé :

→ que pour satisfaire la demande en « tabourets » de la seule population de femmes mahoraises vivant

à Mayotte, près de 442 +/- 210 colonies de Porites seraient récoltées par an sur les platiers ;

→ que si l’on ajoute à cette demande l’exportation de « tabourets » vers la France métropolitaine, ce

serait un total de près de 350 à 1000 colonies de Porites (de 16,5 ans d’âge en moyenne), qui seraient

ainsi récoltées par an (moyenne 614 colonies/an) ;

→ que cette récolte représenterait donc un tonnage estimé de l’ordre de 19,8 à 59 tonnes par an, soit en

moyenne 35T/an ;

→ que l’impact de cette récolte estimée (sur la base du chiffre de 614 colonies par an) serait donc une

destruction de l’ordre de 13,8 à 38 ha par an de platiers à Porites (…). » (Chanfi et Thomassin, 1999)

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Les difficultés méthodologiques inhérentes à ce sujet d’étude (et dont témoigne l’amplitude des marges d’erreur conservées dans les résultats) imposent de considérer ces chiffres avec précaution. Il semblait cependant intéressant de les présenter ici afin de donner un ordre d’idée quantitatif de l’importance que cette activité conserve dans la société actuelle. Aux dires de plusieurs jeunes femmes, le port du masque de beauté semblerait être de plus en plus réservé à des occasions particulières, mais il demeure tout de même assez largement porté au quotidien, comme il est possible de l’observer dans la rue. Il faut également noter qu’il existe depuis plusieurs années une poudre déjà prête, qui ne nécessite pas l’usage du tabouret de corail pour être utilisée. Cependant, si l’usage de cette poudre s’est répandu chez les femmes mahoraises204, il semblerait que cela n’ait pas d’influence notable sur la « consommation » de tabourets de corail qui non seulement remplissent d’autres usages que celui de la préparation du masque de beauté, mais surtout constituent un élément clef du trousseau des jeunes mariées.

- Comme nous l’avons vu plus haut205, les données disponibles aujourd’hui au niveau de la pêche et notamment de la pêche à pied ne permettent pas de connaître précisément le nombre actuel de pratiquants et il est donc impossible de caractériser l’évolution de ce nombre au cours des dernières décennies afin de déterminer dans quelle mesure certaines pratiques de pêche traditionnelles déclinent, restent stables, voire se développent. Il est intéressant de remarquer que les discours des usagers eux-mêmes font écho à ce flou statistique rendant si difficile de répondre à la question de savoir si certaines pêches sont ou non en passe de devenir « des pratiques du passé » aujourd’hui à Mayotte. En effet, une grande hétérogénéité de points de vue ressort de nos investigations. En se basant sur le cas de la pêche au djarifa et du ramassage, on constate que le discours des jeunes filles par exemple oscille entre deux extrêmes : certaines disent que ce sont des activités complètement archaïques et vont jusqu’à avoir honte de leur mère qui continue à les pratiquer, tandis que d’autres pratiquent elles-mêmes avec plaisir et considèrent ces activités comme un patrimoine culturel majeur206 qu’il est important de sauvegarder. Dans la génération supérieure, le discours est plus positif sur les pratiques en elles-mêmes, mais tout aussi ambivalent quant à leur devenir. Plusieurs pêcheuses de quarante à soixante ans avec lesquelles nous nous sommes entretenues déplorent en effet que les jeunes n’aient plus le temps de venir pêcher et

204

Il n’existe pas de données chiffrées sur ce point, mais il semble que cette poudre soit assez largement utilisée par les femmes actives, qui disposent de moins de temps qu’auparavant pour effectuer cette préparation assez longue.

205

Cf. chap. 2 206

redoutent que cela ne se perde à l’avenir. D’autres de la même tranche d’âge trouvent au contraire une telle évolution plutôt positive, car promettant un meilleur avenir à ces jeunes désormais scolarisés et formés, contrairement à ce qu’elles ont pu connaître elles-mêmes. Quoiqu’il en soit, on constate que les modalités de pratiques de certaines de ces pêches comme la pêche au djarifa demeurent toujours aussi codifiées et que les rituels207 clefs se perpétuent (cf. Planche photo 5).

- Enfin, pour terminer ce tour d’horizon du degré d’actualité de ces pratiques que nous avons appelées « de prélèvement », on peut évoquer la création, il y a quelques années, de l’Écomusée du sel de Bandrélé, qui constitue l’une des rares initiatives de patrimonialisation effective d’une activité traditionnelle.

Photo 17: Écomusée du sel de Bandrélé (cliché : L. Beretti)

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Femmes partant pêcher au djarifa, Chiconi, 2010 Femmes pêchant au djarifa, Chiconi, 2010

Couple pêchant au filet à pied, Chirongui, 2009 Couple pêchant en pirogue au filet, Chirongui,

2008

Femme pêchant le poulpe, Sada, 2008

Enfants pêchant au lamba208, Tsimkoura, 2009

Planche photo 5: Perpétuation des pratiques de pêches à pied et en pirogue (clichés: L. Beretti)

208Pièce de tissu rectangulaire imprimé, porté par les femmes. Les enfants l’utilisent ici comme un djarifa, pour s’amuser.

Concernant les pratiques se rattachant à la seconde catégorie que nous avons identifiée et qui est liée à tout ce qui a trait aux déplacements, plusieurs remarques peuvent être faites. Tout d’abord, au niveau des moyens de déplacement traditionnels sur l’eau, nous pouvons constater que le nombre de pirogues comptabilisées à Mayotte demeure relativement important, même si ces chiffres sont toujours à prendre avec précaution et même s’ils ne permettent pas de comparaison chronologique. Ainsi, les comptages effectués par le Service des Pêches de la DAF entre 2003 et 2006 ont fait état de 773 pirogues (sur un total de 1092 embarcations englobant également 319 barques), chiffre proche de celui du recensement de 2008 du Service des Affaires Maritimes, qui comptabilise environ 800 pirogues. La pirogue est donc une embarcation qui demeure utilisée à Mayotte, malgré le développement de l’usage des barques en polyester (les fameuses « barques Yam ») depuis plusieurs années. Un type de pirogues a cependant disparu : les pirogues à voile, que l’on ne voit plus du tout sur le lagon ou sur les plages.

Au niveau des trajets empruntés, le développement du réseau routier au cours des dernières décennies a rendu l’usage des anciens sentiers littoraux moins systématique qu’auparavant, mais tous ne sont pas pour autant abandonnés, comme nous avons pu le constater notamment entre Hamjago et Mtsamboro, deux villages voisins du nord de l’île, entre lesquels nous avons pu observer de fréquents déplacements par un chemin littoral209. En outre, ces sentiers sont également largement empruntés par les personnes en situation irrégulière, qui préfèrent éviter les axes trop fréquentés, plus risqués en termes de contrôles.

Enfin, concernant les rites liés à certains trajets ou à certains déplacements effectués dans des secteurs particuliers de l’île (comme la pointe de Saziley par exemple), que nous évoquions précédemment, on peut constater que globalement, ils tendent à être de moins en moins respectés. Il semblerait en effet que les représentations liées aux djinns aient en partie changées, du fait des nombreuses modifications ayant touché les modes de vie ancestraux. D’après de nombreux informateurs, les djinns auraient aujourd’hui déserté bien des lieux dans lesquels ils vivaient auparavant (et dans lesquels il convenait donc de se conformer à quelques règles lorsqu’on les traversait, comme nous l’avons vu plus haut), dérangés notamment par une population plus nombreuse, par l’extension des villages et par le bruit des voitures. Ils seraient ainsi « montés dans les têtes » des gens trouver refuge, ce qui explique, toujours selon

209

Ce fut particulièrement visible lors d’une cérémonie d’enterrement à Mtsamboro, à laquelle se sont rendus beaucoup d’habitants d’Hamjago, à pied par ce sentier. Cette observation confirme également les liens forts existants entre villages voisins, que nous avons évoqués dans nos modèles territoriaux villageois.

ces informateurs, que les crises de possession ne diminuent pas aujourd’hui (et peut-être augmentent au contraire, mais cela reste difficile à vérifier). Cela dit, sur le « degré de risque » encouru lorsqu’on ne respecte plus aujourd’hui les anciennes règles, les discours sont là encore assez hétérogènes, quelle que soit la génération. Sur ce point, notre investigation à Saziley s’est avérée très révélatrice. Comme nous l’avons dit précédemment, nous avons reconstitué au cours d’une journée l’ensemble du parcours relatif à cette « cérémonie du cabri » présentée plus haut, à l’aide et en compagnie de trois habitants de Mtsamoudou. L’un (Mahmoud) était âgé de près de soixante-dix ans, et les deux autres (Daoudou et Alain) avaient tous les deux une quarantaine d’années. Une scène particulièrement intéressante s’est déroulée à l’endroit du parcours correspondant à l’étape 4 du rituel (cf. Figure 32), que nous restituons ici au travers de nos notes de terrain :

Au niveau du « trou210 », Daoudou et Mahmoud m’enjoignent de laisser quelque chose (pièce, nourriture), pour avoir le droit de m’approcher sans avoir de problèmes. Je n’ai rien sur moi, et Alain dit que c’est n’importe quoi ce que disent les autres, que je peux tout à fait y aller et il m’emmène voir. Nous restons à 1,50m du trou environ, il ne se passe rien et nous repartons. En marchant, je discute avec Alain, qui me dit que tout de même, même s’il n’y avait pas autant de risques que le prétendaient Daoudou et Mahmoud, il a bien fait de ne pas me laisser m’approcher davantage. En effet, contrairement à lui, je « n’ai pas de djinns », et suis donc beaucoup moins « protégée » que lui. Je lui demande s’il ressent quelque chose de spécial d’être à Saziley avec ses djinns, et il me répond que non, car « tous les djinns se connaissent, contrairement aux humains, tous les djinns de l’île se connaissaient et ils connaissent même ceux de Madagascar et d’ailleurs ». Ce qui explique qu’il ne peut pas y avoir de problème entre ses djinns et ceux de Saziley.

Encadré 11: Extraits de notes de terrain prises à Saziley

Au niveau des pratiques entrant dans la catégorie « se baigner, laver », on retrouve une certaine ambiguïté dans les discours, quant à « ce qui continue » et « ce qui se perd » en termes de pratiques ancestrales. Cela est perceptible notamment au niveau du bain lié à l’accouchement, dont plusieurs femmes nous ont dit que « cela ne se fai[sait] plus

210 Trou formé par des rochers surplombant la mer, dans lequel sont jetées les entrailles, la peau, la tête et les pattes du cabri, lors de la cérémonie.

maintenant », que c’était une pratique liée à l’ancienne génération. D’autres au contraire, nous disaient que « cela ne pourra pas se perdre, parce que c’est un mila ». À l’une de celles qui affirmaient que cela ne pourrait pas disparaître, nous avons demandé si elle-même, lorsqu’elle aurait des enfants (elle était jeune) le pratiquerait. Elle nous avait répondu qu’elle ne savait pas…

Les bains que nous avons appelés « thérapeutiques » semblent quant à eux continuer, aux dires de nombreux informateurs et en lien avec les observations que nous avons pu faire dans les villages que nous avons habités. De même, la lessive du linge des morts semble ne pas se perdre non plus, même si nous ne l’avons pas observée directement.

Certaines pratiques continuent mais ne sont plus aussi systématiquement liées à l’eau de mer. Ainsi, la purification liée à l’état de janaba se fait-elle davantage dans l’intimité de la maison désormais, pour des raisons de discrétion et de commodité. De même, les ablutions quotidiennes ne se font presque plus à la mer, bien que nous ayons pu observer une fois des hommes les faire dans l’eau de mer, à Mzouazia. On nous avait appris plus tard qu’il y avait eu une coupure d’eau dans la journée, juste avant l’heure de la prière.

Selon un constat unanime de nos informateurs par contre, un type de bain s’est totalement perdu : celui de la nouvelle année musulmane, qui réunissait une fois par an l’ensemble du village à la plage.

Concernant les usages liés à la catégorie « jeter, déposer », on peut constater qu’ils continuent presque tous, hormis celui consistant à utiliser les plages de villages comme latrines, depuis que les maisons sont équipées d’un point de vue sanitaire. Cela dit, étant donné l’état embryonnaire de l’assainissement à Mayotte, si le résultat est différé et moins visible, il n’en reste pas moins presque identique.

Les offrandes et l’enfouissement des Corans usés dans le sable se perpétuent, comme nous avons pu l’observer en direct et comme nous l’ont confirmé plusieurs informateurs.

Photo 18 : Homme en train d’enfouir des pages de Corans abîmés dans le sable à Musical Plage, 2009 (cliché : L. Beretti)

Suite à la mise en place d’opérations régulières de nettoyage des plages et des mangroves, l’usage consistant à y jeter ses ordures est parfois moins visible, même s’il persiste quelque peu, notamment dans les mangroves (cf. Photo 19), avec tous les problèmes que pose le passage très rapide des déchets biodégradables à d’autres types de déchets.

Photo 19: Déchets dans la mangrove de Chirongui, 2011 (cliché : L. Beretti)

Il faut préciser cependant que les nombreuses campagnes ponctuelles de sensibilisation à l’échelle de l’île ainsi que la sensibilisation quotidienne réalisée dans les écoles et sur certains sites (cf. Photo 20) commencent à porter leurs fruits, même s’il est évident qu’il faut du temps, comme il en a fallu partout ailleurs.

Photo 20: Panneau de sensibilisation, Tsimkoura, 2009 (cliché : L. Beretti)

Concernant les usages liés au divertissement, certains demeurent immuables (cf. Planche photo 6), mais d’autres se sont transformés ou sont apparus récemment. Ainsi, comme nous l’avons évoqué dans notre modèle territorial villageois, la pratique du voulé211, initialement cantonnée à la campagne, s’est déplacée vers le littoral qui en constitue désormais le principal décor (cf. Planche photo 7).

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Planche photo 6: Enfants jouant sur la plage et dans l’eau, Sada, 2008 (cliché : L. Beretti)

Comme on peut le constater sur les photos suivantes, certaines plages sont même aménagées en conséquence, avec l’implantation de barbecues et de farés, destinés aux pratiquants de tous âges.

Faré et barbecue, Musical Plage, 2009

Femme préparant des légumes, pour un voulé,

Musical Plage, 2009

Bois et autre « matériel de voulé », autour du

barbecue,Musical Plage, 2009

Faré utilisé par une famille pour un voulé,Musical

Plage, 2009

Planche photo 7: Des plages aménagées pour les voulés : Musical Plage, 2009 (clichés : L. Beretti)

Concomitamment, les activités balnéaires se développent, notamment chez les jeunes générations. Les loisirs marins et sous-marins ne sont pas encore très développés dans la société mahoraise mais petit à petit, ils prennent leur place auprès de pratiques ancestrales dont la dimension récréative tend à s’accentuer proportionnellement à l’atténuation de leur dimension vivrière. Ainsi, comme nous avons pu l’entendre à maintes reprises et comme l’enquête sur les pêches traditionnelles menée par la mission d’étude le révèle également, la pêche au djarifa est aujourd’hui qualifiée par la plupart des femmes comme une « détente », un « moment de rigolade entre amies », voire comme un « sport ».

Enfin, nous terminerons ce petit tour d’horizon par ce qui concerne les récits liés à la mer et au littoral, transmis par les anciens au cours des veillées au clair de lune. Avec l’avènement de l’électricité et de la télévision, les veillées ont à peu près disparu, au grand regret de plusieurs de nos informateurs, de toutes générations :

« Ah ben nous on avait hâte hein que le soir arrive pour les histoires que les grands-mères racontaient ! Et surtout les soirs de lune, oh quand y avait la lune ! Là on était sûrs que ça allait être… Et on guettait la lune, on attendait qu’elle se lève. Les enfants maintenant ils ont pas besoin de lune, ils le regardent même pas ! Ils savent pas que y a la lune ou pas ! Ils ont l’électricité... ils savent plus ce que c’est une lune ! alors là nous oui… les pleines lunes, les demi lunes, les ¼ de lune, nous on contrôlait tout ça ! » (extrait d’entretien avec une femme d’une quarantaine d’année, originaire de Chirongui212)

« Maintenant le soir tout le monde rentre chez soi, regarder sa télé et manger tout seul… avant tout le monde mangeait ensemble… et on écoutait les histoires après, que les cocos213 et les bacocos214 ils racontaient…c’était la

vraie convivialité ça tu vois… maintenant ça existe plus… » (extrait

d’entretien avec une jeune fille d’une vingtaine d’année, originaire de Sada) Encadré 12: Extraits d’entretiens sur la fin des veillées et des récits

Cependant, un important travail de conservation de cette mémoire orale est réalisé depuis plusieurs années par le service des archives de Mayotte, qui recueille puis retranscrit les contes et légendes auprès des cocos et bacocos de l’ensemble des villages. C’est d’ailleurs en partie sur ces Cahiers des archives orales que nous nous sommes appuyées pour analyser les fonctions et les valeurs de la mer et des espaces littoraux au sein des légendes traditionnelles. Ce « lien indirect » avec ces lieux se perpétue donc, sous une autre forme, même si certaines légendes comme celle de Mtsanga Tsoholé n’ont pas besoin de l’écrit pour demeurer connue de tous.

Ainsi, « ce qui se perd », « ce qui ne doit pas se perdre », « ce qui va ou doit changer » aujourd’hui et demain à Mayotte est très délicat à appréhender pour le chercheur, pour la bonne raison, nous semble-t-il, que c’est un sujet en lui-même difficile à penser dans la société mahoraise actuelle. Il y a, on vient de le voir, des discours extrêmement divers et souvent contradictoires autour de certaines pratiques, de certains usages, voués à disparaître ou au contraire, protégés de l’oubli et de l’abandon par un incontestable statut de mila. Cet état de fait est lié au rythme vertigineux auquel se transforme la société mahoraise, un rythme effréné dont certains fervents modernistes font l’apologie et que d’autres regardent de façon beaucoup plus dubitative, mais que tout le monde, du reste, constate. La rapidité de ces transformations sociales majeures et des adaptations qu’elles nécessitent laisse ainsi bien peu de place pour penser la tradition, c’est-à-dire ce qui doit être transmis de ce passé commun

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Rappelons que la commune de Chirongui a été la dernière à être alimentée au niveau électrique, en 1993.