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Les aires marines protégées sont définies par l’UICN comme « tout espace intertidal ou infratidal ainsi que ses eaux sous-jacentes, sa flore, sa faune et ses ressources historiques et culturelles que la loi ou d’autres moyens efficaces ont mis en réserve pour protéger en tout ou partie le milieu ainsi délimité ». L’agence des aires marines protégées en donne quant à elle la définition suivante : « un espace délimité qui répond à un objectif de protection de la nature à long terme, non exclusif d’un développement économique maîtrisé, pour lequel des mesures de gestion sont définies et mises en œuvre ». Outre leur caractère extrêmement généraliste, l’on pourra noter que ces deux définitions ont en commun l’intégration des dimensions à la fois environnementales et humaines, l’agence mettant particulièrement l’accent sur les secondes, en parlant explicitement de développement.

Parmi les quinze catégories d’AMP dont dispose la France aujourd’hui, l’une d’elles fait figure d’outil phare de sa politique de création d’AMP : le PNM. Dernier né de la législation française, il traduit, comme nous le verrons, une volonté d’appliquer en mer les principes

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d’une gestion plus démocratique de l’environnement, qui se développe par ailleurs sur terre, notamment dans les parcs naturels régionaux (PNR)37. Or certaines caractéristiques des milieux marins posent de nouvelles questions en termes de concrétisation de ces principes participatifs.

2.1.1. L’identification des « acteurs concernés »

Identifier les « acteurs concernés » par un projet d’aire protégée en mer s’avère plus compliqué qu’à terre, pour une première raison fort simple : en mer, il n’y a pas d’habitants. Pas d’acteurs concernés, donc, au titre de leur lieu de résidence dans ou à proximité de l’aire protégée. Or ce critère est l’un des plus évidents en termes d’identification. Restent donc les pratiques, qui constituent l’autre critère classique d’identification des « acteurs ordinaires concernés ». Mais sur quelles pratiques s’agit-il de se pencher ? Uniquement maritimes ? Maritimes et terrestres ? Les connexions écologiques et fonctionnelles entre terre et mer ne sont plus à prouver et commencent d’ailleurs à s’inscrire dans le champ de la gestion, en témoigne notamment la transformation récente du « Conseil national du littoral » en « Conseil national de la mer et des littoraux », qui fait écho à la proposition du comité opérationnel du Grenelle de la mer consistant à passer de la « Gestion intégrée des zones côtières » (GIZC) à la « Gestion intégrée de la mer et du littoral » (Lefebvre, 2011). Mais ces évolutions lexicales ne sauraient régler à elles seules les nombreuses difficultés que comporte l’intégration des problématiques terrestres et maritimes. Celle de l’identification et de la compréhension des multiples territorialités coexistant sur ces espaces en est une de taille, qui influe directement sur la question de l’identification des acteurs concernés par la mise en place d’une AMP.

Cela dit, la complexité qu’ajoute la dimension marine des aires protégées ne se pose pas uniquement côté terrestre, mais également côté haute mer. En effet, les caractéristiques écologiques des milieux marins et les enjeux qui en découlent en termes de préservation exigent38 la mise en place d’AMP de grande superficie, formant un réseau cohérent. Or cette spécificité augmente encore le nombre d’acteurs potentiellement concernés et donc les difficultés à les identifier et à les intégrer.

En outre, au niveau des acteurs institutionnels, une telle extension de l’espace marin potentiellement intégrable dans une aire marine protégée (du domaine public maritime à la haute mer) ajoute encore à la complexité du fameux « millefeuille politico-administratif »

37Certains considèrent d’ailleurs les PNM comme des « PNR en mer ».

38 Parallèlement aux enjeux politico-économiques qui sous-tendent également cette « course aux AMP océaniques » de grande taille (Féral, 2011 ; Boncoeur et al., 2007).

national et pose la question de l’articulation entre les différents échelons territoriaux décisionnels.

2.1.2. Les possibilités d’un dialogue collectif autour de la gestion de la mer

Outre l’accentuation des difficultés concernant l’identification des acteurs concernés par les AMP, cette catégorie d’aires protégées interroge également les possibilités de ce dialogue si complexe qu’il s’agit d’instaurer entre ces divers acteurs appelés à participer à l’élaboration et/ou à la gestion de ces territoires.

Les grandes lacunes en termes de connaissance des milieux marins constituent un premier type d’obstacle. Ainsi, « l’UICN, s’appuyant sur de récentes études, estime que 99% des espèces vivant en haute mer n’ont pas encore été découvertes » (Lefebvre, 2005). Tenter de débattre et d’élaborer des décisions concernant des objets mal connus renforce les difficultés inhérentes à ce genre de processus déjà peu simples.

En outre, le traditionnel monopole étatique ayant prévalu depuis si longtemps au niveau de l’administration des espaces côtiers et océaniques39 ne facilite pas l’ouverture de la sphère décisionnelle à de nouveaux acteurs et notamment aux « acteurs ordinaires ». Le dialogue qu’il s’agit de substituer au traditionnel monologue de l’État dans ces domaines est aujourd’hui en pleine construction, au sein des différents types d’AMP.

Mais ce dialogue est également rendu plus difficile que sur terre, du côté des acteurs de terrain, pour des raisons idéelles. En effet, pour résumer très brièvement, la mer a longtemps été et continue en grande partie à être, pour une grande majorité d’individus, un espace libre des contraintes sociétales caractérisant les espaces terrestres. La notion d’ « aire marine protégée », par le périmètre qu’elle impose au sein de cet espace et par les restrictions qu’elle implique nécessairement en termes de pratiques se heurte donc, en termes de représentations, à celles des acteurs censés décider collectivement des modalités de ce périmètre et de ces restrictions. Ce qui ne facilite pas, on le constate dans les faits, le dialogue.

Cependant, ne peut-on penser que c’est justement le caractère particulier des espaces marins, sur lesquels les frontières sont si difficiles à matérialiser, qui a pu laisser naître et être juridiquement traduite, en 1982, la notion de « patrimoine commun de l’humanité » ? Et ne peut-on alors imaginer que malgré les difficultés spécifiques à ces espaces, dont nous venons d’effleurer quelques aspects, ce soit justement eux, plus que les espaces terrestres, qui

39 « En France, l’État n’a rien lâché sur la mer et a repris du pouvoir sur la ligne de rivages de par la loi littoral de 1986, après la loi de décentralisation de 1983 » (Lefebvre, 2005).

puissent faire émerger cette visionpartagée de la nature en tant que patrimoine commun, vers laquelle il nous faut tendre ?

2.1.3. Le parc naturel marin, réponse à la question d’une gestion participative des espaces marins et littoraux ?

Face aux difficultés insolubles générées par les projets de parcs nationaux de Guyane et d’Iroise, une réflexion est entamée en France autour de la révision de deux catégories phares d’aires protégées : les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux. Parallèlement au blocage de la situation en Iroise, où le statut de parc national apparaît inadapté au caractère maritime du projet, les engagements internationaux pris par la France pour 2012 et 2020 en matière de protection des milieux marins ouvrent la voie à la création d’un nouvel outil : le parc naturel marin (PNM). En effet, comme nous l’avons vu précédemment, si l’on se place sous l’angle du pourcentage de surface marine protégée, la France accuse un retard considérable par rapport à d’autres pays, en partie dû à la complexité des procédures de mise en place des outils classiques dont elle dispose (réserves, parcs nationaux…), qui ne peuvent couvrir que des surfaces relativement limitées. La loi du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux (loi n°2006-436), instaure donc cette nouvelle catégorie d’AMP, venant s’ajouter aux cinq préexistantes40, et créé également l’agence des aires marines protégées, établissement public national chargé d’appuyer les politiques publiques en matière de création et de gestion d’AMP, d’animer le réseau français des AMP, de soutenir financièrement et techniquement les PNM et de renforcer le potentiel français dans les négociations internationales sur la mer41. Autrement dit, cette agence devient la « force de frappe de la France pour réaliser sa politique en matière de conservation de la biodiversité marine » (Féral, 2011). L’outil PNM, quant à lui, a pour objectifs de « contribuer à la connaissance du patrimoine marin ainsi qu’à la protection et au développement durable du milieu marin » (loi 2006-436). Un PNM est créé par un décret fixant son périmètre, la composition de son conseil de gestion, ainsi que les grandes orientations de gestion. Ce décret intervient à l’issue d’un processus de mise à l’étude du projet sur le territoire concerné, mené par une mission d’étude chargée de réaliser un état des lieux du milieu naturel, mais également des usages. Elle doit en outre déterminer, avec les « acteurs concernés », dans une démarche participative, le périmètre, les orientations de

40Parcs nationaux, réserves naturelles, arrêtés préfectoraux de protection des biotopes, sites Natura 2000, parties du DPM confiées au Conservatoire du littoral.

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gestion ainsi que la composition du conseil de gestion. Le caractère participatif affiché au niveau de ce processus de mise en place se retrouve dans le fonctionnement du PNM. En effet, celui-ci est composé de « représentants locaux de l’État de façon minoritaire, de représentants des collectivités territoriales intéressées [], de représentants d’organisations représentatives de professionnels [], d’associations de protection de l’environnement et de personnalités qualifiées » (loi 2006-436). Ce conseil est présenté par l’agence comme un « parlement local de la mer », appellation renvoyant à un « mode de gouvernance qui associe les acteurs spécifiques au monde maritime » et qui contribue, toujours selon l’agence, au caractère « innovant » de cet outil, également lié à « son approche intégrée de l’espace et des activités ». Ce conseil est en charge de l’élaboration et du suivi du plan de gestion basé sur les orientations fixées par le décret de création. Un élément notable de ses compétences réside dans l’article suivant : « les activités qui sont susceptibles d’avoir un effet notable sur le milieu marin du parc sont soumises à l’avis conforme du conseil de gestion » (art. L334-5 du code de l’environnement).

Ce mécanisme doit constituer une réponse partielle à la question de la nécessaire articulation entre préservation de la mer et activités terrestres. En outre la composition du conseil de gestion et la place « minoritaire » réservée aux représentants locaux de l’État marque a priori une volonté de pallier ce défaut de partage du pouvoir étatique ayant traditionnellement prévalu en mer. Le diagnostic des usages liés à la mer et non pas seulement du patrimoine naturel, que doit réaliser la mission d’étude, va également dans le sens de cette ouverture vers les « acteurs de terrain », une ouverture par « effort de connaissance », dont nous soulignions l’importance plus haut. Enfin, la création de l’agence des aires marines protégées peut apparaître également comme une volonté de chapeauter – et peut-être ainsi de simplifier un peu ? – le « millefeuille politico-administratif » caractérisant la gestion des espaces littoraux et marins en France. À cela fait d’ailleurs écho le caractère englobant du périmètre du PNM, bien plus large que les types d’AMP préexistant et qui pose la question de l’articulation entre ces divers outils42.

L’ensemble des réponses que semble pouvoir apporter, dans sa conception, l’outil PNM, se doit d’être interrogé en détail, sur le terrain. Cependant, à ce stade, nous pouvons déjà constater qu’en termes de superficie classée en AMP, cet outil constitue une réelle avancée, puisque entre 2006 et 2012, les quatre PNM déjà créés totalisent une superficie de

42 Une articulation qui prend aujourd’hui ses marques, notamment avec la signature récente d’une convention entre l’agence des AMP et RNF (Bosca F., com. pers).

près de 118 000 km2. Reste à voir si dans les faits, cet outil ne se limite pas à cette unique réponse quantitative, et se montre à la hauteur de ses – très – ambitieux objectifs…

Des objectifs dont fait largement partie l’outre-mer, comme on l’a vu et comme en témoigne le fait que les deux PNM outre-mers créés à ce jour (Mayotte et Glorieuse), représentent à eux seuls plus de 93% du total de la superficie marine englobée par l’outil PNM.