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Chapitre 6 LA PRAGMATIQUE CONTEXTUELLE

3. PRÉSENTATION DE LA GRILLE D’ANALYSE

Notre hypothèse de recherche est que le cadre conceptuel proposé par les chercheurs du CPD, ci-après identifié sous le nom de « pragmatique contextuelle », devrait permettre d’éclairer les contradictions et les transformations majeures survenues au cours de la dernière décennie au sein de la culture policière.

Nous nous proposons de vérifier cette hypothèse par une analyse documentaire des principales lois, rapports et autres documents officiels qui ont été marquants pour cette culture. Selon l’hypothèse du CPD, les transformations théoriques qu’ils proposent sont le prolongement théorique et réflexif direct de changements pragmatiques déjà en cours. L’institution policière est la composante de l’appareil administratif d’État chargée de veiller, entre autres, au respect des lois et règlements. Cet appareil devrait donc

des contradictions institutionnelles liées à une théorie déficiente de la norme. Le CPD interprète les modifications opérées dans la fonction de juger comme l’amorce de réaménagements institutionnels plus fondamentaux requis pour nos démocraties. Les transformations en cours en milieu policier devraient, logiquement, pouvoir être interprétées dans le même sens.

Pour effectuer notre travail d’analyse, nous devons, sur la base de la pragmatique

contextuelle et des modifications qu’elle suppose, identifier une liste de critères permettant l’analyse du matériel documentaire. Nous avons donc construit un tableau comparant Raison pratique kantienne et Raison pratique selon la pragmatique contextuelle. À l’aide de ce tableau, nous pourrons repérer, au sein de la culture policière, les manifestations de chacune de ces façons de concevoir l’action, et nous pourrons statuer si nous sommes en contexte de passage d’une conception de la Raison pratique à l’autre. Pour construire un tel tableau, il fallait d’abord repérer les distinctions théoriques majeures entre les deux

Figure 1 Les conceptions de la Raison pratique (distinctions structurelles)

Comme ce tableau l’illustre, toute conception de la Raison pratique suppose une théorie de la connaissance et une théorie du jugement. Ces deux théories se combinent pour

déterminer la nature des processus qui génèrent la connaissance et l’action. La conception kantienne de la Raison pratique est conditionnée par une philosophie de la conscience et par une conception nominaliste du langage. Les deux se combinent pour générer un mode de connaissance essentiellement théorique et formel, supposant que les liens de causalité que nous concevons mentalement correspondent avec les chaînes de causalité du réel. Cette conception de la connaissance a alors comme impact direct de concevoir l’application sur le mode du jugement déterminant, les contextes n’étant pas susceptibles de fournir

La pragmatique contextuelle rompt avec la vision nominaliste du langage, elle débouche donc sur une conception plus faible de la vérité reposant sur les accords valides que nous nouons autour de nos représentations du monde. Cette façon de concevoir la vérité force une sortie de la conscience individuelle pour une élaboration collégiale de la connaissance. Cette reconnaissance de la multiplicité des interprétations du monde et du caractère moins absolu de la vérité se traduit, au niveau du jugement, par l’utilisation du jugement

réfléchissant comme moyen d’enrichir notre précompréhension du monde de la vision des gens qui vivent dans les contextes à transformer. Cette nouvelle collaboration, en plus d’enrichir la représentation initiale, élargit le consensus sur la validité de la représentation du monde. Sur la base de ce premier tableau, il est ensuite possible d’en construire un deuxième nous fournissant des critères plus précis pour l’analyse des données recueillies.

Un dernier tableau (p. 175) précise, pour chacun des critères généraux identifiés, quelles sont les manifestations observables de l’une ou l’autre conception. Sur la question de la vérité, ce qui caractérise essentiellement leur différence est le pluralisme des

interprétations du côté de la pragmatique contextuelle alors qu’une seule vision du monde semble exister de l’autre côté. Deux signes distinctifs ont donc été précisés : la

reconnaissance d’interprétations multiples et l’attitude face aux savoirs réputés valides. Sur la question des processus, la vision kantienne fait confiance au pouvoir de la Raison

théorique individuelle. Cette façon de voir survalorise le rôle des personnes en autorité, habituellement considérées comme ayant des capacités supérieures pour exercer de plus hautes fonctions. Il y a donc habituellement plus de poids accordé à la position des sujets qu’à celle des groupes et plus de poids au sommet qu’à la base. Il y a habituellement concentration des pouvoirs au sommet et, lorsqu’une décentralisation s’effectue vers le bas de la hiérarchie, c’est pour une consultation et non pour remettre une partie des

responsabilités. La division du travail est aussi conçue en fonction des secteurs

d’expertises, conformément à la logique d’expert. La position pragmatique, centrée sur la résolution de problèmes, aura tendance à rapprocher les centres de décision des contextes et à favoriser les approches interdisciplinaires, conformément à sa logique de concertation des acteurs. Finalement, au niveau du jugement et de l’action, nous avons identifié trois critères permettant de distinguer le jugement déterminant du jugement réfléchissant :

l’ampleur du pouvoir discrétionnaire, la nature des contrôles sur le travail et l’attitude face à la dérogation. Moins il y a de marge pour la réflexion de celui qui applique, plus nous sommes dans un modèle kantien de Raison pratique.

CRITÈRES POUR DISTINGUER

LES CONCEPTIONS DE LA RAISON PRATIQUE Critères généraux Critères spécifiques Conception kantienne Conception pragmatique contextuelle Conception de la vérité

Attitude face aux visions du monde

Binaire vrai ou faux Pluraliste et nuancée

Nature de la relation aux expertises

Sert de fondement Non critique

Laisse place aux savoirs non experts Critique Conception des processus d’apprentissage et de décision

Collectif/individuel Autorité du chef Accent sur collégialité

Consultatif/décisionnel Consulte subalterne Partage le pouvoir

Centralisé/Décentralisé Centralisé Décentralisé

Spécialisation/ interdisciplinarité et résolution de problèmes

Spécialisation Interdisciplinarité et résolution de problèmes

Conception du jugement

Pouvoir discrétionnaire

Nul ou faible Plus grand

Contrôles Nombreux et fréquents

Sur les moyens

Moins nombreux et moins fréquents, sur les buts et résultats

Rapport à la dérogation

Sanction Analyse des motifs

PARTIE 3 : PRAGMATIQUE CONTEXTUELLE ET