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Le politique : questions sur la légitimité du pouvoir de l’État

Chapitre 5 CRISES DE LA DÉMOCRATIE ET LIMITES DE LA RAISON

1. UNE CRISE PRATIQUE

1.2 Le politique : questions sur la légitimité du pouvoir de l’État

Sur le plan politique également différents symptômes de crise sont évidents. • L’État social ayant multiplié les interventions dans tous les domaines, de

nombreux citoyens y voient les symptômes de l’État envahissant et totalitaire, faisant ingérence dans la vie privée des citoyens pour :

o dicter comment élever les enfants, au nom de l’égalité des chances; o dire comment s’alimenter ou interdire la consommation de tabac, au nom

de la santé publique et de la saine gestion des sommes qui y sont allouées; o contrôler la liberté d’expression, au nom des limites à imposer à la

propagande haineuse;

o contrôler les entreprises qui reçoivent des subsides, au nom de la saine utilisation de l’argent collectif;

o autoriser des enquêtes sur les employés ayant à travailler auprès des enfants, au nom de leur sécurité; etc.

• Comme le souligne Lenoble, depuis les années 80, les critiques adressées à l’interventionnisme proviennent aussi du milieu des affaires qui considère les interventions de l’État comme autant de brimades à la liberté d’entreprendre [Lenoble et Berten 1992, p. 86]. On peut donner de nombreux exemples de ces contraintes exercées au nom de la protection de l’emploi, de l’environnement, de la sécurité des travailleurs, de la protection de la langue ou des minorités, etc. • Le même courant de libéralisme économique a aussi sonné l’alarme sur l’ampleur

des dettes accumulées par les États et sur la part de plus en plus grande qu’ils doivent consacrer aux missions sociales et aux intérêts sur la dette, ne laissant que peu d’argent pour les autres missions de l’État. Sur toute cette difficile question, un excellent dossier présente les dilemmes éthiques et économiques que

rencontrent les États [Chung, Boisvert 2003].

• Paradoxalement, on se plaint du fait que l’État n’intervienne pas assez pour limiter les bénéfices des grandes corporations qui semblent ne poursuivre que des objectifs de compétitivité et de profit. On exige aussi toujours plus d’allocations aux soins de santé.

• On se plaint également de la lenteur de l’État à trancher des débats à caractère moral comme l’avortement, le suicide assisté, le mariage de conjoints de même sexe.

• On note une faible participation des citoyens aux divers scrutins et des critiques s’élèvent à l’égard de la représentativité des parlements dans une société de plus en plus divisée entre courants politiques multiples. Les chercheurs du CPD parlent de « la dévaluation grandissante du capital symbolique accumulé par l’État

républicain classique » [Lenoble et Berten 1992, p. 84].

• L’administration publique fait également l’objet de critiques comme en fait foi l’administrateur du service de la gestion publique à la division gouvernance et rôle de l’État de l’OCDE dans les récents travaux effectués par son organisation pour moderniser la gestion et la rendre plus crédible aux yeux des citoyens [Bertok 2002].

Ici aussi, l’équipe du CPD nous aide à identifier certains enjeux majeurs, révélant le caractère structurel des problèmes de nos démocraties. Nous avons formulé, comme pour les questions juridiques, un certain nombre de questions qui polarisent les débats.

« Comment assurer l’équilibre entre liberté et égalité? », serait sans doute le première de ces questions. Dès le début de la démarche en 1990, les chercheurs du CPD posent clairement cette question comme centrale dans la crise politique.

La crise politique (question du rapport liberté-égalité) et la crise juridique (crise du juge) qui sous-tendent la crise de l’État-providence constituent autant d’indices d’une insuffisance du cadre philosophique sur la base duquel les fondements de notre modernité démocratique ont été pensés [Lenoble et Berten 1996, p. 9].

Un deuxième problème structurel peut être abordé en nous demandant : « ne faut-il pas revoir la stricte séparation entre société civile et État? » Le désinvestissement des

citoyens et la décentralisation de la fabrication des normes vers différents acteurs sociaux ne sont-ils pas en train de questionner la légitimité de notre délégation des pouvoirs? Présentant les exigences d’un nouveau paradigme de la démocratie, les chercheurs affirment l’importance de repenser les mécanismes étatiques et privés de décision :

I1 est d’abord indispensable de chercher par tous les moyens à développer l’espace public au sein de la société civile, car la redéfinition nécessaire de la démocratie implique que soient accentuées les exigences de l’éthique

communicationnelle dans le champ de la rationalité politique et juridique. Cet acquis nous paraît fondamental. Il importe cependant de ne pas limiter au seul monde vécu le domaine où s’imposent les exigences de l’éthique

communicationnelle. C’est en prenant appui sur ce dernier concept qu’il nous faut repenser les processus de décision qui ont lieu tant dans la sphère de l’État – et donc de l’administration et du droit – que dans celle du marché [Lenoble et Berten 1992, p. 99].

Comme l’indique cette dernière citation, le CPD étendra son questionnement à l’ensemble des processus de décisions privés et étatiques. On pourrait d’ailleurs interpréter les demandes des citoyens de contrôler plus sévèrement l’entreprise privée comme un symptôme de ce besoin de revoir les modes de décision dans le secteur privé.

Finalement, le dernier débat porte sur une autre question au cœur de la structure de nos institutions, que nous formulerons ainsi, « faut-il questionner la pertinence de la

rigoureuse séparation entre le juste et le bien dans l’élaboration des normes? ». Ici encore, dès 1994, Lenoble nous invite à prendre en considération la critique communautarienne de la démocratie « N’oblige-t-elle pas à mettre en évidence le ‘brouillage’ systématique de la distinction du bien et du juste… » [Lenoble1994, p. 15].