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Présentation générale de la Correspondance de Gustave Flaubert

2 . LA CORRESPONDANCE: LECTURE ET INTERPRÉTATION

2.2. Présentation générale de la Correspondance de Gustave Flaubert

Après avoir dépouillé les quatre volumes de la Correspondance

flaubertienne dans l’édition de la Pléiade (en ce qui concerne le cinquième - et le dernier -, sa parution est prévue après l’année 2000 ), nous avons consulté

l’édition Conrad, pour lire les lettres couvrant les quatre dernières années de la vie de l’écrivain. Nous avons pu se former ainsi une image globale sur les destinataires des lettres écrites par Flaubert. Durant sa vie, il a multiplié progressivement le nombre de ses destinataires (qui avaient, en plus, les préoccupations les plus diverses), chose tout à fait explicable si nous pensons à l’entourage de Flaubert aux différentes époques de sa vie – l’adolescence, la jeunesse, la maturité, la vieillesse. Il faut remarquer, en outre, que c’est justement grâce à la correspondance qu’il a formé, maintenu et diversifié son entourage, autrement restreint du point de vue mondain. En effet, l’écrivain refusait de participer aux réunions sociales, aux salons littéraires qui étaient à la mode dans les milieux parisiens, etc. (une exception était faite pour les rencontres des gens de lettres, organisées par la princesse Mathilde, amphitryon que Flaubert tenait vraiment en très grande estime).

Avant de continuer nos observations en marge de la Correspondance

flaubertienne, nous jugeons bien significative l’appréciation de Jean Bruneau sur l’importance de cette littérature épistolaire:

Document sur son temps, riche de jugements personnels et souvent profonds sur les penseurs et les artistes du passé et du présent, la correspondance de Flaubert est surtout une <<voie royale>> pour pénétrer sa personnalité et comprendre son oeuvre.

Gustave Flaubert demeure, en fin de compte, un être assez mystérieux, surtout après la grande crise des années 1842-1845, où la spontanéité du romantique fait place à une réflexion sur sa vie qui devient à la fois spectacle et matière d’art. C’est dans les lettres à Alfred Le Poittevin et à Louise Colet, ainsi que

dans la première Éducation sentimentale (1843-1845), que se trouvent les passages les plus significatifs concernant la conception de la vie et de l’art de Flaubert, avant les synthèses plus tardives des lettres à George Sand et de la Préface aux Dernières Chansons de Louis Bouilhet: à la fois refus de vivre, et reconnaissance de la condition humaine comme seul fondement de l’art. Nulle meilleure introduction à Madame Bovary que les lettres à Louise Colet de 1851-1854, et l’on regrette que Flaubert n’ait pas eu de maîtresse aussi intelligente et aussi dévouée quand il a écrit ses autres romans. Il faut réhabiliter Louise: les documents que je publie en appendice donneront, je crois, une image plus vraie de cette femme passionnée, cultivée et belle, qui avait de la vie une conception totalement différente de celle de Flaubert, pour le grand malheur de tous les deux. (1)

Dès le début, nous pouvons constater un véritable plaisir d’écrire, de communiquer par l’écrit, plaisir qui caractérise d’un bout à l’autre l’existence de Gustave Flaubert. La première lettre, qui ouvre le premier volume de la

Correspondance, est adresée à sa grand-mère et ne contient que quelques lignes, rédigées dans un style simple, familier. (2) D’ailleurs, ce style sera caractéristique pour cette période de la vie de l’écrivain (janvier 1830 – juin 1851) et les lettres ciblent plutôt l’univers quotidien du jeune Gustave, c’est-à-dire ses meilleurs amis, Ernest Chevalier, Alfred Le Poittevin, Louis Bouilhet, Maxime Du Camp. Il y a dans ce volume beaucoup de lettres adressées à sa soeur, Caroline, et à sa mère, mais surtout à sa “Muse”, Louise Colet.

Parmi les 22 destinataires réunis dans ce premier tome de la

Correspondance flaubertienne, nous retrouvons peu de ses futurs confrères. L’exception serait Théophile Gautier: c’est une lettre fort intéressante, envoyée de Jérusalem, lundi,13 août 1850, où Flaubert essaie de transmettre à son “cher maître” l’enthousiasme du voyage oriental, son amour du désert, de la végétation et des chameaux. Certes, le goût du voyage est un leitmotif de cette étape de la vie de l’écrivain et caractérise pleinement son tempérament fougueux, romantique, attiré par l’inconnu, l’exotique, les espaces éloignés, légendaires. Citons un fragment de cette lettre à Gautier: (3)

/…/ Quittez donc Paris, volez n’importe qui ou n’importe quoi, - si les fonds sont bas - , et venez avec nous. Quel soleil! Quel ciel, quels terrains, quel tout! Si vous saviez! Il est temps de se dépêcher. D’ici à peu l’Orient n’existera plus. Nous sommes peut-être les derniers contemplateurs /…/

Si vous tenez à savoir ma passion secrète et incessante, je vais vous la dire: ce sont les chameaux. Rien n’est beau comme ces grandes bêtes mélancoliques avec leur col d’autruche et leur démarche lente, surtout lorsqu’on les voit dans le désert s’avancer devant vous alignés sur un seul rang. De Beyrouthe à Jaffa il y a des bois de lauriers-roses poussés tout au bord de la mer /…/

Demain matin au soleil levant nous partons pour Jériche et la mer Morte. Nous allons donc voir la place où fut Sodome. Quelles idées ça va faire naître en nous!?

Nous pourrions affirmer à juste titre que ce premier tome de la

Correspondance est comme une fenêtre, largement ouverte vers le monde, où Gustave Flaubert, le jeune enthousiaste qui veut faire uniquement de grandes choses, ne cesse d’admirer, de vouloir apprendre et aussi de partager ce qu’il a appris. Lectures, voyages, impressions diverses foisonnent dans ses lettres, où les mots et les expressions importants pour Flaubert sont soulignés dans le texte par lui-même (procédé que nous respectons tel quel, en écrivant ces séquences en caractères gras).

Le ton est souvent exclamatif, comme si l’auteur de ces épistoles y donnait la mesure de sa sincérité foncière, sans être amère, comme ell le sera plus tard, mais plutôt constructive, animée par les meilleures intentions. Il y a déjà, dès cette période, une véritable volonté de formuler sa propre théorie sur l’art, sa poétique (surtout dans les lettres à Louise Colet). Ses grands principes y figurent déjà: l’amour passionné de l’Idée, la révolte acharnée contre la Bêtise et le Bourgeois, le refus véhément du banal et de la médiocrité, la recherche de la beauté du style. Les assertions flaubertiennes gagnent en suggestivité par le pouvoir de la comparaison surtout, et, quelquefois, par la métaphore:

La félicité est un manteau de couleur rouge qui a une doublure en lambeaux. Quand on veut s’en recouvrir, tout part au vent, et l’on reste empêtré dans ces guenilles froides que l’on avait jugées si chaudes. (4)

Dans le deuxième volume nous constatons que le nombre des destinataires des lettres flaubertiennes est plus que double par rapport au premier volume présenté ci-dessus (53/22); parmi les gens avec qui il communique il y a déjà des noms illustres, tels que Charles Baudelaire (4 lettres), Victor Hugo (2 lettres), Sainte-Beuve (1 lettre), Théophile Gautier (1 lettre).

Le volume vise une période de 7 ans, lorsque l’écrivain était en pleine jeunesse et élan créateur (de l’âge de 30 ans à celui de 38 ans); les lettres y amassées sont encore plus profondes en ce qui concerne l’effort du romancier rouennais de cristalliser sa propre vision sur l’art, sa poétique innovatrice, qui a choqué ses contemporains. Les lettres écrites à Mademoiselle Leroyer de Chantepie en sont un précieux témoignage, dont l’importance est soulignée par l’éditeur Jean Bruneau, dans la préface du volume:

Après la rupture avec Louise Colet, et avant la rencontre de George Sand, l’échange de lettres entre Flaubert et Melle de Chantepie présente un intêret tout particulier pour la connaissance du romancier. (5)

Par exemple, l’une des phrases les plus citées de la Correspondance

de Flaubert, visant la conception sur l’art de l’écrivain, y est présente: L’artiste doit être dans son oeuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout-puissant; qu’on le sente partout, mais qu’on ne le voie pas. ( 6 )

D’ailleurs, quand il parle de la condition de l’artiste, Flaubert a une plume magique, tant son expression devient puissante et suggestive: Il faut que l’esprit de l’artiste soit comme la mer, assez vaste pour qu’on n’en voit pas les bords, assez pur pour que les étoiles du ciel s’y mirent jusqu’au fond.(7)

Mais au-delà des réflexions, très nombreuses, sur l’art et l’écrivain, sur la prose notamment, il y a surtout la voix de l’homme Flaubert, avec ses espoirs et ses déceptions, qui se dévoile dans les lettres adressées à ses correspondants les plus fidèles. C’est alors que l’expression épistolaire acquiert le ton de l’aveu parfaitement sincère, sans aucune dissimulation ou pose gratuite. Le “spleen”

nous semble une notion théorique à l’égard des sentiments ressentis par l’ermite de Croisset. Les lignes que nous citons ci-dessous rappellent le livre de sa vie – La Tentation de Saint Antoine - et surtout son final, où le personnage veut se confondre avec l’univers, être la matière. Dans les deux cas, il s’agit d’une ambition de démiurge surhumaine, qui était vouée à l’échec:

J’avais des enthousiasmes que je ne retrouve plus, hélas! des amis qui sont morts ou métamorphosés. Une grande confiance en moi, des bonds d’âme superbes, quelque chose d’impétueux dans toute la personne. Je rêvais l’amour, la gloire, le Beau. J’avais le coeur large comme le monde et j’aspirais tous les vents du ciel. Et puis, peu à peu, je me suis racorni, usé, flétri. Ah! je n’accuse personne que moi-même! Je me suis abîmé dans des gymnastiques sentimentales insensées. J’ai pris plaisir à combattre mes sens et à me torturer le coeur. J’ai repoussé les ivresses humaines qui s’offraient. Acharné contre moi-même, je déracinais l’homme à deux mains, deux mains pleines de force et d’orgueil. De cet arbre au feuillage verdoyant je voulais faire une colonne toute nue pour y poser tout en haut, comme sur un autel, je ne sais quelle flamme céleste… Voilà pourquoi je me trouve à trente-six ans si vide et parfois si fatigué. Cette mienne histoire que je vous conte, n’est-elle pas un peu la vôtre?

Écrivez-moi de très longues lettres. Elles sont toutes charmantes, au sens le plus intime du mot. Je ne m’étonne pas que vous ayez obtenu un prix de style épistolaire. Mais le public ne connaît pas ce que vous m’écrivez. Que dirait-il? (8)

Nous avons tenu à citer ce fragment, pour mettre en lumière le fait que Flaubert appréciait beaucoup l’art épistolaire et s’enthousiasmait lorsqu’il découvrait parmi ses correspondants quelqu’un de passionné, comme c’était le cas de Mademoiselle Leroyer de Chantepie, la destinatrice de la lettre citée ci-dessus. Mais Flaubert lui-même a apporté des nouveautés dans l’art épistolaire, très intéressantes pour celui qui se déciderait de contempler le long chemin des épistoliers, à partir de Madame de Sévigné jusqu’à Flaubert, en allant même plus loin, vers la correspondance de Proust ou de Sartre…

En effet, quelles ont été les impulsions intimes qui ont déterminé le taciturne écrivain, le légendaire ermite de Croisset, à entretenir une si riche

correspondance? L’écrivain, si parcimonieux dans l’élaboration de ses oeuvres, et tellement soucieux de ne pas tomber dans des effusions sentimentales (notamment d’ordre stylistique), devient très spontané, voire familier, le cas extrême étant celui où Flaubert épistolier semble parler à lui-même, et la correspondance a l’air d’un journal intime, carrefour de l’expérience quotidienne, du souvenir et de l’espoir. Bref, le cachet particulier d’intimité des pensées de l’écrivain ne se retrouve que dans cet espace de la

Correspondance, et jamais dans son oeuvre de fiction.

En outre, pour Flaubert, la correspondance est aussi une excellente occasion de cultiver les amitiés littéraires, dont l’une nous apparaît comme tout à fait spéciale, car elle reste pratiquement à ce niveau: même si Baudelaire promet maintes fois de visiter Flaubert à Croisset, il n’arrive jamais à le faire, et l’intimité du dialogue est assurée uniquement par l’échange de lettres. Donnons un exemple illustratif:

Vous avez trouvé le moyen de rajeunir le romantisme. Vous ne ressemblez à personne (ce qui est la première de toutes les qualités). L’originalité du style découle de la conception. La phrase est toute bourrée par l’idée, à en craquer.

J’aime votre âpreté, avec ses délicatesses de langage qui la font valoir, comme des damasquinures sur une lame fine /…/

En résumé, ce qui me plaît avant tout dans votre livre, c’est que l’art y prédomine. Et puis vous chantez la chair sans l’aimer, d’une façon triste et détachée qui m’est sympathique. Vous êtes résistant comme le marbre et pénétrant comme un brouillard d’Angleterre. (9)

C’est vraiment étrange comme Flaubert, le prosateur par exellence, admire chez le poète des Fleurs du Mal une sorte de double, un créateur dont l’art ressemble au sien – originalité, style accroché à l’idée, âpreté et délicatesse de langage, manière de se détacher à l’égard du message poétique. C’est Flaubert parmi les premiers à remarquer la résistance de Baudelaire dans la littérature, à un moment où cet auteur faisait figure de personnage bizarre et éphémère dans le paysage de la poésie de l’époque. D’ailleurs, à son tour, Baudelaire aura la même confiance en la pérennité de

l’oeuvre flaubertienne, et cette certitude était affirmée en dépit du jugement des critiques littéraires consacrés, comme celui de Sainte-Beuve, par exemple. (10)

Ainsi, la Correspondance flaubertienne s’impose-t-elle aussi comme un document qui offre une image inédite des tendences appréciatives concernant des auteurs considérés classiques au XXe siècle, dont la valeur est indubitable à présent, mais qui ont été nettement contestés ou méprisés à l’époque de Gustave Flaubert. Dans ses lettres, l’ermite de Croisset défie les préjugés, les mentalités des lecteurs ou des critiques, en saluant une nouvelle poétique qui va séduire notre siècle…

Pour ce qui est du troisième volume (couvrant une période de 9 ans, entre janvier 1859 et décembre 1868), nous pouvons affirmer qu’il est très dense du point de vue des relations épistolaires. Dans ce paysage assez éclectique, Flaubert fait une grande place aux amis (Jules Duplan, les frères Goncourt, Louis Bouilhet, Maxime Du Camp, Ivan Tourgueneff, Edmond Laporte – l’ami le plus intime peut-être, après la mort de Louis Bouilhet et de Jules Duplan - , aux confrères (Théophile Gautier, Charles Baudelaire, Jules Michelet, Hippolyte Taine, Sainte-Beuve, George Sand), de même qu’aux divers collaborateurs (par exemple, Charles-Ernest Beulé, membre de l’école d’Athènes, avec lequel Flaubert a fait des fouilles à Carthage).

C’est une période où Flaubert s’arrête de temps en temps pour dresser le bilan de sa vie, ou bien pour formuler un projet d’avenir, tel que le suivant:

Quand je serai vieux, je ferai de la critique; ça me soulagera. - Car souvent j’étouffe d’opinions rentrées. Personne, mieux que moi, ne comprend les indignations de ce brave Boileau contre le mauvais goût: <<Les bêtises que j’entends dire à l’Académie hâtent ma fin.>> (11)

Cette période représente également la collaboraton avec son éditeur Michel Lévy, avant la brouille qui va lui produire une grande déception, apaisée seulement par le travail avec son nouvel éditeur, Georges Charpentier. Il faut remarquer le détail suivant: Flaubert manifestait un vrai recul devant la “typographie”, chose qui explique son apparent désintérêt de faire paraître ses livres:

Ma haine pour la typographie est telle que je n’aime pas à entrer dans une imprimerie et que j’ignore la manière de corriger les épreuves. Je vous réponds donc brutalement: laissez-moi tranquille, ou autrement je n’en finirai jamais (12)

Loin de ces soucis quotidiens se déroule, de plus en plus étroite, l’amitié de Flaubert et de George Sand, leur relation dépassant le cadre de la causerie littéraire, mais témoignant d’une vraie complémentarité tempéramentale et structurelle, en général: lui – isolé, célibataire, triste, sévère, pessimiste; elle – entourée de la famille, optimiste, tolérante, confiante en l’avenir, altruiste.

Dans une lettre, le “vieux troubadour”, comme se désignait Flaubert lui-même, avoue à George Sand:

Je me demande, moi aussi, pourquoi je vous aime. Est-ce parce que vous êtes un grand homme ou un être-charmant ? Je n’en sais rien. Ce qu’il y a de sûr, c’est que j’éprouve pour vous un sentiment particulier et que je ne peux pas définir. (13)

Certes, il s’agit pour tous les deux d’une relation unique: personne ne ressemble à George Sand et ne compte comme elle pour Flaubert, de même que “la bonne dame de Nohant” ne trouve parmi les hommes de sa vie aucun qui puisse remplacer son “vieux troubadour”, qui est un peu son fils, son disciple, son confident. À son tour, même s’il n’est pas toujours l’admirateur de G. Sand-l’écrivain, Flaubert tient à lui rendre hommage, en composant les Trois Contes, effectivement pour lui faire le plaisir d’écrire sur les gens simples; malheureusement, ce geste sera tardif, car G. Sand, mourra une année avant la parution du recueil.

Le troisième volume de la Correspondance est aussi celui où la fameuse théorie sur l’impersonnalité se détache clairement de toutes les théories flaubertiennes, comme la priorité absolue, sine qua non:

Et puis j’éprouve une répulsion invincible à mettre sur le papier quelque chose de mon coeur. – Je trouve même qu’un romancier n’a pas le droit d’exprimer son opinion, sur quoi que ce soit. Est-ce que le bon Dieu l’a jamais dite, son opinion? (14)

Son attitude de révolte contre la bêtise universelle connaîtra des accents terribles durant sa vie. Dans une lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie (15), Flaubert affirme qu’il y a un fond de bêtise dans l’humanité qui est aussi éternel que l’humanité elle-même. Pour lui, la seule solution acceptable, comme il le dit dans cette épistole, est de vivre dans une tour d’ivoire, même si cela n’est pas gai, mais c’est ainsi qu’on n’est ni dupe ni charlatan.

Pourtant, l’écrivain ne peut pas se retirer devant les événements, et le pouvoir des masses, la Commune l’effraient, tout comme la guerre franco-prussienne. Selon Gustave Flaubert, chacun est libre de regarder l’histoire à sa façon, puisque l’histoire n’est que la réflexion du présent sur le passé. C’est pourquoi elle est toujours à refaire, conclut Flaubert dans la lettre adressée à Edma Roger des Genettes (16), point de vue qui nous semble vraiment très moderne, qu’on véhicule couramment aujourd’hui au sujet de la nouvelle histoire pluridisciplinaire, celle des mentalités, faisant attention surtout aux différences.

Ailleurs, Gustave Flaubert avoue son but, son utopique ambition: Je veux faire l’histoire morale des hommes de ma génération; <<sentimentale>> serait plus vrai. (17)

Évidemment, cet aspect pourrait attirer par-dessus tout l’intérêt des historiens des mentalités; à leur tour, les exégètes de l’oeuvre flaubertienne recherchent dans la Correspondance les indices qui conduisent à la compréhension de ces romans, tous les détails de ce travail souterrain, l’atelier de l’écrivain étant invisible ailleurs. Il n’y a pas d’autres occasions où l’on puisse voir quel est le “déclic” de la création, et c’est Flaubert qui affirme:

Un bon sujet de roman est celui qui vient tout d’une pièce, d’un seul jet. C’est une idée mère d’où toutes les autres découlent. On n’est pas du tout libre d’écrire telle ou telle chose. On ne choisit pas son sujet. Voilà ce que le public, les critiques ne comprennent point. Le secret des chefs-d’oeuvre est là: dans la