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Correspondance des autres écrivains

2 . LA CORRESPONDANCE: LECTURE ET INTERPRÉTATION

5. RÉFLEXIONS ET SENTIMENTS SUR LE MONDE ARTISTIQUE ET PHILOSOPHIQUEET PHILOSOPHIQUE

5.2. Correspondance des autres écrivains

/…/ sa Correspondance donne sans cesse l’impression d’un homme qui ne s’exprime qu’en se cherchant au-dessus ou au-dessous de lui-même. (Albert Thibaudet)

Sans aucun doute, Gustave Flaubert, l’auteur de l’une des plus belles correspondances de la littérature française (Edmond de Goncourt la considérait plus captivante qu’un roman, un “volume d’imagination”) savait-il apprécier celles des autres écrivains. En plus, il aimait faire de ses lettres le moyen de communiquer ses pensées; en effet, la correspondance était la voie la plus naturelle pour épanouir sa personnalité. Il arrive à écrire cinq ou six lettres tous les jours, jusqu’à se sentir tanné. (20)

Dans son essai, Flaubert ou le désert en abîme, Jacques Chessex explique la valeur de la correspondance aux yeux de Flaubert lui-même: dans ses lettres, le romancier est à la recherche de sa pensée, de l’organisation de son travail, de son entité. La lettre, observe J. Chessex, n’est pas un jeu pour Gustave Flaubert, elle n’est pas un délassement mondain, cela non plus, mais une nécessité existentielle:

Flaubert y est en quête, et en portrait polémique de lui-même. Polémique? Contre lui-même, s’affirmant lui-même. Quêtant, enquêtant, s’expliquant, se justifiant, précisant les traits profonds de sa nature, sa position

quant au monde, sa distance, sa présence dense, opaque, coléreuse, lyrique et pour deux de ses correspondantes très particulièrement, les états de son esprit dans le chantier, les progrès du chantier lui-même (Louise Colet) et ses innombrables – quoique constantes – humeurs politiques, esthétiques, philosophiques et morales (George Sand). (21)

De l’autre côté, Flaubert a un grand besoin de recevoir les lettres de ses amis. Par exemple, celles de Tourgueneff sont pour lui la goutte d’eau dans le désert. (22)

Pourtant, quand il connaît des états de détresse, l’ermite de Croisset n’a pas la force d’écrire, ni même à des amis très chers, tels que George Sand. Il ne veut pas attrister les autres et péfère s’isoler davantage, supporter les coups du destin en solitude.

Gustave Flaubert a une prédilection pour les lectures du type “correspondance”. Lorsque les lettres de Balzac sont publiées, Flaubert veut les lire avec impatience, comme quelque chose d’amusant. Il se révolte contre les injustices vécues par Balzac qui avait été traité en immoral, en infâme. Et la défense de Balzac trouve une explication très pertinente, valable aussi pour le cas de Flaubert: /…/ comme si un observateur pourrait être méchant. (23) Gustave Flaubert désigne la Correspondance de Balzac comme une lecture illustrative, restituant l’image d’une vie de chagrins, de labeur continuel. Pourtant, la limite qu’il constate chez son confrère est la préoccupation pour l’argent, au détriment de l’Art, du Beau:

Il s’occupait trop de ses affaires. Jamais on n’y voit une idée générale, une préoccupation en dehors de ses intérêts. /…/ Comparez ses lettres à celles de Voltaire, par exemple, ou même à celles de Diderot. Balzac ne s’inquiète ni de l’Art, ni de la religion, ni de l’humanité, ni de la science. Lui et toujours lui, ses dettes, ses meubles, son imprimerie! Ce qui n’empêche pas que c’était un très brave homme. (24)

Flaubert critique également le désir de Balzac d’être accepté par l’Académie française et par la société, le fait qu’il cherchait la Gloire, mais non le Beau. Il critique aussi ses orientations religieuses:

Et il était catholique, légitimiste, propriétaire, ambitionnait la députation et l’Académie, avant tout ignorant comme une cruche, provincial jusque dans la moelle des os: le luxe l’épate. Sa plus grande admiration littéraire est pour Walter Scott. Au résumé, c’est pour moi un immense bonhomme, mais de second ordre. (25)

Bref, Flaubert établit, avec exagération, il nous semble, une hiérarchie entre les correspondances de Voltaire et de Balzac, la première étant, selon lui, plus ouverte, plus profonde.

Mais la correspondance qui l’enchante par-dessus tout est celle de Berlioz. Sa lecture lui a donné de nouvelles forces, ainsi qu’il la recommande chaleureusement à sa nièce, Caroline. La chose qui lui plaît surtout - et représente un point commun des deux artistes – c’est la haine de la médiocrité, de la bourgeoisie, de l’opinion plate. Le regret de Flaubert est de ne pas avoir eu la chance de mieux connaître Berlioz, qu’il aurait sans doute adoré. C’est une lecture qui l’a édifié, comme peu de livres l’ont fait, reconnaît Flaubert (26) :

La lecture de la Correspondance inédite de Berlioz m’a remonté. Lis-là, je t’en prie. Voilà un homme! Et un vrai artiste! Quelle haine de la médiocrité! Quelles belles colères contre l’infâme bourgeois! Quel mépris de on ! Cela vous enfonce les lettres de Balzac de 3600 coudées! Je ne m’étonne plus de la sympathie que nous avions l’un pour l’autre. Que ne l’ai-je mieux connu! Je l’aurais adoré! (27)

En tout cas, à une époque où la télévision, la radio, le téléphone n’existaient pas, la correspondance a eu un rôle très important dans la vie privée des gens simples, de même que dans celles des grandes personnalités – politiciens, historiens, artistes et, surtout, écrivains. Les derniers seront également ceux qui nous intéressent davantage, pour essayer de prouver la qualité maîtresse de toute correspondance: témoignage précieux sur les idées de l’auteur concernant sa vie privée, mais aussi l’époque qu’il traverse. Une telle approche engendre une histoire des idées sur la vie de l’homme et sur son oeuvre (le cas de Flaubert ou de Balzac), à laquelle s’ajoutent les idées formulées au sujet des contemporains, des moeurs, des événements, etc.

La correspondance a, en plus, le mérite d’être souvent plus spontanée que l’oeuvre du même écrivain, rédigée dans un style naturel, vivant, sans la censure de la poétique. C’est aussi le cas de Gustave Flaubert, qui a poussé à la limite extrême le souci du style dans ses oeuvres, dont l’étude est vraiment une expérience inédite, une sorte de révélation.

Si au XIXe siècle la correspondance atteint un certain volume et un certain niveau des idées, au XVIIe et au XVIIIe siècles, la littérature a connu même un épanouissement du genre “roman par lettres”.

Certes, en matière de correspondance, le XVIIe siècle est celui de Madame de Sévigné, dont la correspondance est adressée surtout à sa fille, Madame de Grignan (établie, après son mariage, en Provence), avec qui sa mère a un échange permanent de lettres. On dirait que cette chose convenait à toutes les deux, car Madame de Grignan n’aimait trop sa mère et préférait vivre à distance, tandis que Madame de Sévigné, ayant un tempérament froid, trouvait dans la correspondance le terrain propice et la meilleure occasion pour figurer ses sentiments. Elle écrit, en plus, d’une manière naturelle, en se montrant gaie, spirituelle, amoureuse de la nature. Passionnée de la lecture, Madame de Sévigné possède aussi une qualité essentielle, qui fait la beauté de sa correspondance: une imagination très vive. Ainsi les nouveautés de la civilisation bénéficient-elles de descriptions minutieuses, dont une est restée fameuse, c’est-à-dire celle où Madame de Sévigné présente avec enthousiasme les avantages de la douche, habitude récente pour cette époque-là.

Pour ce qui est de sa relation avec sa fille, celle-ci s’avère plus chaleureuse qu’elle l’aurait été au-delà des lettres, c’est-à-dire si les femmes vivaient l’une auprès de l’autre (cette chose était valable aussi pour Flaubert et Louise Colet ou George Sand). Quant à la correspondance de Madame de Sévigné, de ses presque 1400 lettres qui nous sont restées, près de 800 sont adressées à sa fille, Madame de Grignan; il s’agit, en effet, d’une correspondance-spectacle, contenant des anecdotes, des récits d’événements historiques, de véritables “reportages” sur la vie à la Cour. Avec la correspondance de Madame de Sévigné, on voit comment l’écriture peut

devenir le moyen privilégié de l’expression profonde et complexe de soi-même, comment une dame et une mère à la fois se métamorphose en écrivain, à son insu (c’est la postérité qui lui confère ce statut), grâce à sa passion de la correspondance.

Pour jalonner ensuite le XVIIe siècle des épistoliers, il faut rappeler aussi Madame de La Fayette, La Rochefoucauld, Descartes, Corneille, Racine, Pascal ou Boileau. Pourtant, leur correspondance est souvent seulement un reflet de leur oeuvre, n’apportant pas grand-chose au sujet de la vie de l’écrivain, de leur manière de penser, ou bien de leurs sentiments sur les contemporains et sur l’époque où ils ont vécu. Mentionnons que Madame de La Fayette, qui fut très liée avec Madame de Sévigné et La Rochefoucauld, nous procure encore une révélation, car elle se dévoile beaucoup plus naturelle qu’elle l’était dans son roman La Princesse de Clèves. En effet, il y a dans son style épistolaire de la verve, de la gaieté un peu sèche, une malice aiguisée qui pique profondément, sans avoir l’air d’y toucher.

Certes, à notre avis, la figure la plus impressionnante des épistoliers du XVIIIe siècle est Voltaire, dont on possède un nombre très grand de lettres (21000), sa correspondance se déployant largement dans l’espace et dans le temps. Un homme qui travaillait beaucoup car le travail était pour lui un besoin, et qui travaillait vite aussi. Correspondre c’était pour Voltaire également un travail, qu’il accomplissait avec plaisir, ayant toujours un sujet quelconque à la base de chaque lettre, parce que, selon lui, il faut une base aux lettres, sans quoi ce ne sont que des mots.

La diversité des lettres de Voltaire est vraiment exceptionnelle et avait étonné même des esprits érudits, y compris Flaubert. En la comparant avec celle de Balzac, il la préfère, car l’ouverture du compas est autrement large! (28) Ses destinataires – français, anglais, allemands, russes, italiens, suédois – étaient des gens du monde, des souverains, des princes, des ministres, des dignitaires ecclésiastiques, mais aussi des éditeurs, des écrivains, des avocats, des banquiers, des mathématiciens, des négociants, un pape, des comédiens – un défilé étourdissant de toutes les nations, les professions et les langues. Toutes les couches sociales y semblent représentées, et Voltaire sait varier le

ton de ses lettres, en fonction de chaque correspondant, c’est-à-dire il l’adapte selon le caractère ou l’humeur du destinataire, le degré d’intimité de leur relation, ou bien les circonstances de la rédaction.

Ainsi, le lecteur de cette riche correspondance (Voltaire écrivait tous les jours, même 3-5 lettres pendant la même journée) y trouve-t-il toute la vie de l’écrivain. Pourtant, la correspondance voltairienne n’a pas seulement un intérêt biographique, mais fournit aussi des détails significatifs sur la vie quotidienne, ayant donc également un intérêt du point de vue de l’histoire des mentalités, documentaire, humain et stylistique. On voit se dérouler le film, ou plutôt le feuilleton de sa vie extérieure et intérieure, toujours animée par la passion. (29)

Voltaire a une curiosité infatigable, une intelligence universelle, en sachant utiliser pour chaque personne le langage de son état et de sa condition. Son sujet favori a été toujours le théâtre, dont il avait un vrai instinct et une authentique passion (cela étant un autre point d’intérêt pour Flaubert, lecteur de la correspondance voltairienne). Ses idées sont abondantes, fines, modernes, son intelligence alerte, souple, ouverte. Ce spectacle effervescent d’idées a dû, sûrement, séduire Flaubert.

À part le théâtre, Voltaire s’intéressait aux affaires – politiques, militaires, religieuses, diplomatiques, judiciaires -, à la science, à l’art. Il n’y a pas de partie de la vie sociale et intellectuelle du XVIIIe siècle sur laquelle la correspondance voltairienne soit tout à fait muette.

Dans la correspondance de Voltaire on trouve des idées de l’écrivain sur les genres dramatiques (le théoricien), sur l’histoire, qui, selon lui, n’est pas purement événementielle (en ce cas, il nous semble, l’historien Voltaire avance un point de vue très moderne, qui sera celui de l’histoire des mentalités, au début du XXe siècle). Voltaire indique même aux avocats la méthode à suivre pour faire un mémoire efficace, s’intéressant aussi à la linguistique comparée.

C’est une personnalité pleine de contrastes. Il demandait à l’Église de faire travailler les paysans le dimanche, car il trouvait naturelle la séparation des classes et leur hiérarchie. D’ailleurs, en dépit de sa formation de philosophe, Voltaire avait le sens des réalités, en ne méprisant pas les biens de ce monde. À la différence de Flaubert, Voltaire était fier de sa richesse, du luxe

qui l’entourait. En plus, il considérait l’argent une condition de la liberté d’agir et d’écrire. Cette condition est valable aussi pour Gustave Flaubert, mais ce dernier ne fera aucun effort pour amasser des fortunes. Voltaire, lui, comme Balzac, n’hésite pas à devenir homme d’affaires. Et il le réussit, par rapport à Balzac, en créant une manufacture de bas de soie et en patronnant des manufactures de montres. Lorsqu’il avait déjà 80 ans il faisait encore la lecture à table pour ne pas perdre le temps seulement avec le repas! Quelle complexité en un seul être, pourrions-nous conclure: Voltaire était non seulement séduisant par son intelligence, mais aussi vaniteux, vindicatif, avare, menteur, sensible, bon - bref, un être fascinant.

Quant à Montaigne, il y a 150 lettres dans l’édition de M. Laboulaye. C’est peu par rapport aux correspondances de Voltaire, de Diderot ou de Rousseau. Même les lettres de Vauvenargues, peu nombreuses, intéressent davantage par rapport à celles de Montaigne, qui ne nous apprennent pas grand-chose. Pourtant, remarque M. Laboulaye, elles sont écrites agréablement et nous y retouvons la bonne humeur et la gaieté gasconne, un esprit facile, un coeur ouvert, autrement dit - l’homme heureux de vivre… Donc, les lettres de Montaigne nous peignent son humeur et non son génie, chose tout à fait importante pour connaître d’abord l’homme et ensuite l’écrivain.

Pour conclure à ce sujet, il faut ajouter que Flaubert retient dans son

Sottisier des opinions plates concernant les femmes correspondantes. La malice de Flaubert est d’autant plus grande que les opinions citées appartiennent à un prêtre:

Les lettres nuisibles aux femmes.

Les lettres ne sont pas faites pour les femmes. Cela gâte leur esprit, le rend léger, frivole, dissipé, volage.

Le père Debreyne, Moechialogie, traité des péchés contre le sixième et neuvième commandements du décalogue, et de toutes les questions matrimoniales, qui s’y rattachent, suivi d’un Abrégé pratique d’embryologie sacrée, p.183 (30)