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Livre; lectures formatrices

2 . LA CORRESPONDANCE: LECTURE ET INTERPRÉTATION

5. RÉFLEXIONS ET SENTIMENTS SUR LE MONDE ARTISTIQUE ET PHILOSOPHIQUEET PHILOSOPHIQUE

5.3. Livre; lectures formatrices

Me parler de la dignité de l’espèce humaine c’est une dérision, j’aime Montaigne et Pascal pour cela.

(Souvenirs, notes et pensées intimes)

Pour Flaubert, la relation idée-vérité-illusion a la valeur d’une philisophie personnelle, qu’il s’est efforcé de défendre toute sa vie. L’amour de l’Idée est devenu une sorte de religion, la sienne. Rien ne peut être authentique pour l’écrivain, sans impliquer les vertus de l’Idée.

D’ailleurs, dès qu’on a l’idée, on a aussi la forme de l’exprimer. À George Sand, Flaubert disait que le mot ne lui manque jamais quand il a l’idée . (31) En plus, cet écrivain “total” mène jusqu’au bout l’exposition de l’idée, et seule l’idée lui provoque des tressaillements d’enthousiasme à des coins de phrases, comme il l’avoue à Louise Colet. (32)

La permanente opposition entre lui et les Autres est visible surtout en ce qui concerne la conception, la croyance de Flaubert sur l’Art, sur la Beauté, aspect sur lequel nous avons insisté dans notre étude, ayant la conviction que cela définit non seulement l’écrivain Gustave Flaubert, mais aussi l’homme, sa vision du monde.

Dans une lettre à George Sand (33), l’écrivain de Croisset commente le jugement de Tourgueneff sur Jack, le livre de Daudet. Le point de vue du Russe lui semble bien sévère, de même que bien exagérée son admiration pour l’oeuvre de Zola. Selon l’auteur de Madame Bovary, Daudet a le charme et Zola a la force. Mais, chose essentielle pour Flaubert, aucun des deux n’est préoccupé avant tout par la Beauté, comme premier but de l’Art. Et cette comparaison entre ses confrères pousse Flaubert à réaffirmer sa théorie:

Je me souviens d’avoir eu des battements de coeur, d’avoir ressenti un plaisir violent en contemplant un mur de l’Acropole, un mur tout nu /…/ Eh bien! Je me demande si un livre, indépendamment de ce qu’il dit, ne peut pas produire le même effet. Dans la précision des assemblages, la rareté des éléments, le poli de la surface, l’harmonie de l’ensemble, n’y a-t-il pas une vertu intrinsèque, une espèce de force divine, quelque chose d’éternel comme un

principe? (Je parle en platonicien). Ainsi pourquoi y a-t-il un rapport nécessaire entre le mot juste et le mot musical? Pourquoi arrive-t-on toujours à faire un vers quand on resserre trop sa pensée? La loi des nombres gouverne donc les sentiments et les images, et ce qui paraît être l’extérieur est tout bonnement le dedans. (34)

Le processus déclenché par l’Idée le séduit et le tourmente à la fois. La métaphore, rarement utilisée par Flaubert (chose qu’on lui reprochait d’ailleurs), lui vient naturellement sous la plume, quand il s’agit de parler sur l’Idée:

Une fois qu’on a chaussé une idée il est toujours pénible de s’en défaire. C’est pour cela qu’il vaut mieux peut-être s’habituer à aller pieds nus. – (35)

Si l’idée doit rejoindre la vérité (un idéal flaubertien déclaré), elle arrive parfois à toucher le périmètre délicat des illusions. Gustave Flaubert croit qu’il est né avec une provision médiocre d’illusions. (36) C’est pourquoi il cherche l’illusion optique, des effets de lumière et de perspective, car, en fin de compte, dit-il, rien n’est nécessaire ni utile, il y a seulement des choses plus ou moins agréables. Ainsi, les joies et les malheurs sont-ils perçus en fonction du point de vue de chacun.

Si la vie n’est qu’une “froide plaisanterie”, pour reprendre le mot de Voltaire (comme le fait Flaubert lui-même), la conclusion n’est qu’un éloge de l’Illusion:

Je ne crois seulement qu’à l’éternité d’une chose, c’est à celle de

l’Illusion, qui est la vraie vérité. Toutes les autres ne sont que relatives. (37) Il y a vraiment beaucoup de références concernant le sujet du livre, de la lecture, du goût littéraire. Gustave Flaubert n’est pas seulement un écrivain qui cherche le style parfait, mais aussi un lecteur averti, qui puisse apprécier la minutie de l’écriture, de même que la ténue du détail significatif, voire scientifique. Nous pourrions même affirmer que chez Flaubert, et avec lui, apparaît une nouvelle mentalité de l’écrivain, mais aussi du lecteur. Il s’agit d’une conscience profonde de la nécessité de lire, du sérieux de la lecture, de la responsabilité, par rapport à ce que d’autres ont écrit, ou bien par rapport à ses propres écrits.

Flaubert lit tout d’abord pour son plaisir intellectuel, mais aussi pour se documenter le mieux possible dans le domaine qui l’intéresse. Pour écrire

Bouvard et Pécuchet, il y a eu une longue préparation, signifiant lectures proprement-dites très diverses (1500 volumes environ). Cette documentation suppose un effort énorme de travail, avec une patience et une méticulosité, dont Flaubert était parfaitement conscient:

Moi, je lis du matin au soir, sans désemparer, en prenant des notes pour un formidable bouquin qui va me demander cinq ou six ans. Ce sera une espèce d’encyclopédie de la Bêtise moderne. Vous voyez que le sujet est illimité. (38)

Parfois, il lui arrive de se moquer du contenu de ces livres dits “scientifiques”, tout comme c’est le cas des livres d’hygiène; en réalité, Flaubert est choqué par “l’aplomb” des médecins, par leur “toupet”.

En évoquant l’érudition de Flaubert, Guy de Maupassant affirmait que le romancier était l’héritier de la vieille tradition des anciens lettrés, qui étaient d’abord des savants. Outre son immense bibliothèque de livres, qu’il connaissait comme s’il venait d’achever de les lire, il conservait une bibliothèque de notes prises par lui sur tous les ouvrages imaginables, consultés dans les établissements publics et partout où il avait découvert des oeuvres intéressantes. Il semblait savoir par coeur cette bibliothèque de notes, citait de souvenir les pages et les paragraphes où l’on trouverait le renseignement cherché, inscrit par lui dix ans auparavant, car sa mémoire semblait invraisemblable. Il apportait dans l’exécution de ses livres un tel scrupule d’exactitude qu’il faisait des recherches de huit jours pour justifier à ses propres yeux un petit fait, un mot seulement. (39)

Les lectures préférées de Flaubert sont nombreuses. Il conseille même, comme principe fondamental, de lire un classique tous les jours, par exemple Rabelais, Montaigne ou La Bruyère. De plus, la fréquentation des classiques lui semble une vraie hygiène de l’esprit. Après Rabelais, d’ailleurs, tout semble maigre, dit Flaubert dans une lettre à Louise Colet. (40)

Montaigne c’est son favori et son oeuvre – son livre de chevet. C’est pourquoi il s’accorde le temps de relire Montaigne: à l’âge de 18 ans, Flaubert

n’a lu que Montaigne pendant toute une année! Il explique cette préférence par une sorte d’affinité très profonde:

Mais je suis ébahi, souvent, de trouver l’analyse très déliée de mes moindres sentiments! Nous avons mêmes goûts, mêmes opinions, même manière de vivre, mêmes manies. – Il y a des gens que j’admire plus que lui, mais il n’y en a pas que j’évoquerais plus volontiers, et avec qui je causerais mieux. (41)

Un être qu’il aurait voulu connaître, voilà ce que représente l’auteur des

Essais pour celui de Madame Bovary. Après avoir lu tout Montaigne, Flaubert avoue que cette expérience le fait se sentir plus raide. (42)

Une autre lecture de choix de Gustave Flaubert a été, sans doute, Don Quichotte; la relecture de cette oeuvre lui donne la maladie de l’Espagne. C’est un livre dont la poésie est gaiement mélancolique. (43)

Parmi les écrivains étrangers, Shakespeare lui plaît par-dessus tout: Plus je pense à Shakespeare, plus j’en suis écrasé. (44)

Flaubert, à l’âge de la jeunesse enthousiaste, fait un véritable éloge à Shakespeare, avouant son intention de relire son oeuvre d’un bout à l’autre:

Quand je lis Shakespeare, je deviens plus grand, plus intelligent et plus pur. Parvenu au sommet d’une de ses oeuvres, il me semble que je suis sur une haute montagne. Tout disparaît, et tout apparaît. On n’est plus homme. On est oeil. Des horizons nouveaux surgissent, et les perspectives se prolongent à l’infini; /…/ (45)

À cette époque de sa vie, Flaubert utilise encore les métaphores. Plus tard, il va préférer la comparaison. Il admire la langue pure de certains écrivains français et ne cesse pas de s’y rapporter. Il fait l’école du style, chez La Bruyère, par exemple, dont les phrases, dit-il, devraient être sues par coeur, car elles ont du relief et du nerf!

À son amie, Louise Colet, Flaubert indiquera la poétique de Ronsard, basée sur un curieux précepte, celui de s’instruire dans les arts et les métiers (forgerons, orfèvres, serruriers, etc.) pour y puiser des métaphores. Il faut préciser que Ronsard parle de comparaisons, tandis que Flaubert parle de métaphores. (46)

Flaubert ne se limite pas à citer les préceptes de ses auteurs favoris: il en crée, lui aussi, faisant des distinctions importantes pour la compréhension de la littérature. Selon lui, il y a deux classes de poètes:

Les plus grands, les rares, les vrais maîtres résument l’humanité; sans se préoccuper ni d’eux-mêmes, ni de leurs propres passions, mettant au rebut leur personnalité pour s’absorber dans celle des autres, ils reproduisent l’Univers, qui se reflète dans leurs oeuvres, étincelant, varié, multiple, comme un ciel entier qui se mire dans la mer avec toutes ses étoiles et tout son azur. Il y en a d’autres qui n’ont qu’à crier pour être harmonieux, qu’à pleurer pour attendrir, et qu’à s’occuper d’eux-mêmes pour rester éternels. (47)

Et Flaubert donne un exemple pour chaque catégorie: Shakespeare pour la première, Byron pour l’autre. Par comparaison avec ces “demi-dieux”, Flaubert se sent insignifiant, un peu dilettante – il s’est condamné à écrire pour lui seul, pour sa propre distraction personnelle, comme on fume et comme on monte à cheval. (48) Il est presque sûr, dit-il, que son oeuvre ne sera jamais imprimée. D’ailleurs, croit Flaubert, si quelqu’un aime vraiment la littérature, il faut tout d’abord écrire pour soi-même et lire aussi les classiques. Il faut ensuite écrire les choses senties personnellement, décrire les milieux familiers. Plus que cela, pour le solitaire de Croisset, l’encre est son élément naturel; loin de sa table de travail, il se sent stupide. (49)

Un problème difficile à résoudre pour Flaubert reste le type de livre qu’il doit aborder. Théoriquement, un livre a été toujours pour lui une manière spéciale de vivre, un moyen de se mettre dans un certain milieu. Il écrit comme on joue du violon, dit-il, n’ayant d’autre but que celui de se divertir. La comparaison est suggestive, car elle témoigne du plaisir du style que pratiquait Gustave Flaubert en écrivant ses oeuvres. C’est la situation où il expérimente la littérature. Dans la même lettre, le romancier avoue le mécanisme de son expériment:

/…/ et il m’arrive de faire des morceaux qui ne doivent servir à rien dans l’ensemble de l’oeuvre, et que je supprime ensuite. Avec une pareille méthode, et un sujet difficile, un volume de cent pages peut demander dix ans. Telle est toute la vérité. Elle est déplorable. Je n’ai pas bougé depuis bientôt trois mois.

Mon existence est plate comme ma table de travail, et immobile comme elle. (50)

Nous remarquons le fait que la littérature–jeu tourne facilement vers la littérature-corvée et cela explique l’enthousiasme qui existe seulement à la surface de la personnalité flaubertienne, les profondeurs cachant, au contraire, un pessimisme aigu.

La chose vraiment paradoxale – qui anticipe la conception gidienne sur le livre, sa fameuse disponibilité – est l’attitude que Flaubert manifeste par rapport au livre achevé. Nous pourrions même formuler un principe qui atteste la nature de la relation auteur-oeuvre au cas de Gustave Flaubert: plus est étroite la liaison créateur-oeuvre, plus est détachée l’attitude de l’écrivain envers son oeuvre finie. C’est le romancier lui-même qui l’affirme :

Dès que j’ai fini un livre, il me devient complètement étranger, étant sorti de la sphère d’idées qui me l’a fait entreprendre. Donc, quand Salammbô sera recopiée – et recorrigée, je la fourrerai dans un bas d’armoire et n’y penserai plus, fort heureux de me livrer immédiatement à d’autres exercices. Advienne que pourra! Le succès n’est pas mon affaire. C’est celle du hasard et du vent qui souffle. (51)

L’exemple du roman, tellement controversé, de Salammbô est valable pour tous les autres. C’est intéressant qu’un écrivain si scrupuleux a pu laisser la connaissance publique de son oeuvre au pur hasard (la déception que son premier éditeur, Michel Lévy, lui avait produite pourrait expliquer en quelque sorte ce désintérêt). Par conséquent, la stratégie est celle-ci: lorsqu’une oeuvre est finie, il faut songer à en faire une autre, écrit Flaubert à son ami, Ernest Feydeau (52), pour y ajouter que son indifférence quant à la publication de ses livres n’est pas une pose.

Pour ce qui est de la création de ses oeuvres, il est nécessaire d’évoquer aussi la manière dont Gustave Flaubert choisissait leur sujet (le cas de

Madame Bovary est le plus célèbre). Décidément, ce qu’il ne voulait pas faire, c’était écrire “des choses modernes”, puisqu’il n’avait pas du tout cette vocation.

C’est pourquoi Flaubert est hanté par cette douloureuse question: pourrait-il faire un livre où il se donnerait tout entier? (53) Tout est affaire de circonstance, de hasard. Dans une lettre à Louise Colet (54), l’écrivain explique en détail cette étrange chose – la plume d’un côté et l’individu de l’autre: en dépit de son grand amour de l’antiquité, il est dans ses oeuvres l’un des hommes les moins antiques qu’il y ait jamais eu. En outre, dit-il, à le voir d’aspect, on croirait qu’il doit faire de l’épique, du drame, de la brutalité des faits, et il préfère, au contraire, les sujets d’analyse, d’anatomie, s’il peut dire ainsi.

Bref, les livres qu’il ambitionne le plus de faire sont justement ceux pour lesquels il a le moins de moyens. Madame Bovary, dit Flaubert, a été, en ce sens, un tour de force inouï et dont lui seul a conscience; sujet, personnage, effet, tout a été hors lui. Un tel sujet peut l’ennuyer, le dégoûter même, lui donner la nausée. Ayant la conviction que, malgré ses préférences, tous les sujets sont égaux, Flaubert accepte Madame Bovary comme une provocation.

Il préfère en tout cas les livres de premier ordre: plus épicés, plus en relief, criants de vérité, archidéveloppés et plus abondants de détails intrinsèques au sujet; de ce point de vue, Manon Lescaut lui semble être le premier des livres secondaires. (55)

Flaubert ne se limite pas - à travers sa Correspondance – à préciser ses lectures, mais il fait chaque fois des jugements de valeur, la plupart bien argumentés et valables aussi de nos jours. Pour passer en revue les exemples les plus illustratifs, rappelons son enthousiasme concernant les études sur le brahmanisme, le bouddhisme, qu’il trouve “superbes”. Flaubert apprécie également les oeuvres de Dante (même si L’Enfer manque de plan, selon lui). Il goûte aussi les poètes français – Musset (“charmant poète”), dont le plus grand reste “le père Hugo”. Dans une lettre à George Sand, Flaubert raconte ses impressions sur Ruy Blas, pitoyablement joué, sauf le rôle de la reine, interprété par Sarah Bernhardt. (56) En échange, l’admiration pour Victor Hugo est encore une fois exprimée – Le grand poète lui apparaît charmant, pas du tout pontife. (57)

Quant à Stendhal, Flaubert est bien injuste quand il affirme que Le Rouge et le Noir est mal écrit et incompréhensible. (58) Dumas, lui, a un succès prodigieux, selon Gustave Flaubert, parce que ses romans ont une action amusante, on se distrait donc pendant qu’on les lit, mais une fois le livre fermé, tout cela a passé comme de l’eau claire, on retourne à ses affaires. (59)

Émile de J.J. Rousseau lui semble un “baroque bouquin”. Au contraire, les écrivains auxquels il revient toujours sont Goethe, Spinoza. Goethe lui fournit un principe de vie –Qu’est-ce que ton devoir: l’exigence de chaque jour. - (maxime que Flaubert cite plusieurs fois dans ses lettres, en ajoutant qu’il ne peut sortir de là). Quant aux lectures de Spinoza, Flaubert y revient lorsqu’il se sent troublé, et alors il relit L’Éthique. Avant de finir les commentaires à ce sujet, nous voudrions évoquer une opinion de Flaubert concernant l’existence rare du sens littéraire. Selon lui, la connaissance des langues, l’archéologie, l’histoire, etc., tout cela devrait servir à la création de l’oeuvre. (60) Et pourtant, continue Flaubert, les gens soi-disant éclairés deviennent de plus en plus ineptes en fait d’art, parce que c’est l’art même qui leur échappe:

Les gloses sont pour eux chose plus importante que le texte. Ils font plus de cas des béquilles que des jambes. (61)

Cette constatation explique peut-être “le divorce” qui a existé, en général, entre Flaubert et les critiques ou les éditeurs. Ce que l’écrivain ne supporte pas chez eux c’est leur manie de “corriger” les manuscrits qu’on leur apporte, chose qui finit par donner à toutes les oeuvres, conclut le romancier, quelles qu’elles soient, le même manque d’originalité. L’argument que fournit Flaubert est accompagné d’un exemple suggestif:

Une individualité ne se substitue pas à une autre. Il est certain que Chateaubriand aurait gâté un manuscrit de Voltaire et que Mérimée n’aurait pu corriger Balzac. – Un livre est un organisme. Or, toute amputation, tout changement pratiqué par un tiers le dénature. Il pourra être moins mauvais, n’importe, cela ne sera plus lui. (62)

Dans Le Sottisier il y a même un chapitre intitulé “Stupidités de la critique”, où figure en exergue un fragment d’une lettre de Flaubert adressée à Louise Colet; c’est une idée leitmotif de la Correspondance flaubertienne:

C’est perdre son temps que de lire des critiques . /…/ on fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’art, de même qu’on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat. (63)

L’auteur du Sottisier cite comme une preuve éclatante, parmi tant d’autres recueillies dans le chapitre mentionné ci-dessus, la phrase suivante:

La littérature contemporaine a pour premier caractère de lâcher les rênes à l’imagination et à la sensibilité. Elle pervertit le goût moral parce que c’est une littérature enivrante et que l’enivrement qu’elle donne dégoûte profondément du beau, du vrai, du bien. Dupanloup, De la haute éducation intellectuelle, t.III (64)

Par conséquent, l’auteur de Madame Bovary plaide pour l’authenticité de l’oeuvre et l’indépendance totale de l’écrivain, que la censure des critiques et des éditeurs gâche profondément; un tel exemple est aussi la projetée traduction russe de La Tentation de Saint Antoine, annulée par la censure pour des raisons religieuses!

Ainsi le problème de la vente de ses livres lui semble-t-il parfois insurmontable. Les pourparlers que cette opération exige le dégoûtent et surtout les personnes qui doivent s’en occuper: Lévy m’a dégoûté des éditeurs comme une certaine femme peut écarter de toutes les autres. (65)