• Aucun résultat trouvé

Partie Empirique

4.2 Présentation du groupe Aéro

Nous avons eu l’opportunité de réaliser un contrat CIFRE à la direction des ressources humaines du groupe Aéro86, un des leaders hélicoptéristes au monde, dont le siège social se trouve en PACA. Cette opportunité de contrat portant sur la fonction RH et les TIC n’est pas simplement le fruit du hasard87. Elle s’explique, avant tout, par l’évolution du contexte

86 Nous avons choisi de renommer le groupe Aéro pour des raisons de confidentialité et d’anonymat.

87Nous découvrons l’existence de l’opportunité de convention CIFRE accessible aux diplômés de 3ième cycle en octobre 2000. Séduite par l’idée d’alternance au niveau du doctorat, nous construisons une ébauche de sujet axé au départ sur le télétravail et recherchons simultanément un laboratoire d’étude et une entreprise susceptibles

Caractéristiques Design de la recherche

Construction de l’objet de recherche

Une approche interprétative

« la définition de l’objet de recherche suppose dès lors une immersion dans le phénomène étudié et son observation plus ou moins participante. Cette immersion et cette observation permettront de développer une compréhension de l’intérieur de la réalité sociale et d’appréhender les problématiques, les motivations et les significations que les différents acteurs y attachent » (Thietart, 2007 : 43)

Mode de raisonnementAbduction

Type de rechercheAnalyse processuelle Famille de méthodologie

retenue

Etude de cas unique - monographie

Outils de recueil de données

économique et technologique que connaît le groupe Aéro depuis la fin des années 1990 et par extension sa direction des Ressources Humaines.

En effet, à partir de 1999, les entreprises du secteur de l’Aéronautique et de l’Espace, à l’origine publiques sont progressivement privatisées. De ce fait, elles sont confrontées à un environnement de plus en plus concurrentiel, où les clients comme les actionnaires ont des exigences de plus en plus fortes en termes de nouveautés, de profitabilité et de réduction de coûts structurels (Guiderdoni, 2005a). Autant d’éléments qui conduisent ces mêmes entreprises à faire évoluer leur modèle productif et leur métier (Boyer, Freyssenet, 2000 ; Iribarne, 2005).

Après avoir resitué la création d’Aéro dans l’histoire de l’industrie de production d’hélicoptères en France (4.2.1), nous verrons que ce groupe n’échappe pas à ces évolutions de stratégie de profit, d’organisation productive et de relation salariale. Ceci pousse à qualifier Aéro de groupe en mutation (4.2.2). La traduction interne des nouvelles contraintes qui pèsent sur l’entreprise se répercute sur l’ensemble de ses composantes, dont la direction des Ressources Humaines. Celle-ci doit convaincre à son tour la direction générale de ses capacités d’innovation, d’adaptabilité et de flexibilité. A travers le récit des conditions de notre recherche empirique, nous verrons que c’est précisément dans ce contexte que la DRH d’Aéro investit dans les TIC en général et dans la technologie Intranet en particulier (4.2.3).

Avant d’aborder l’histoire d’Aéro, quelques caractéristiques générales s’imposent :

• Aéro est un groupe international du secteur de l’Aéronautique et de l’Espace, spécialisé dans la construction d’hélicoptères.

• Il a une place de leader dans son domaine d’activités. En 2001, Aéro a une part de marché mondiale de 40%. Sa part de marché mondiale sur le marché civil et parapublic est de 52%, ce qui le place loin devant ses premiers concurrents88. En 2005,

d’être intéressés par notre profil et d’être désireux de rentrer dans la logique du CIFRE. Suivant cette idée, nous soumettons ce projet conjointement au groupe Aéro et au LEST. Un an après, septembre 2001, nous franchissons les portes d’Aéro en tant qu’intérimaire pour commencer notre travail de recherche portant sur l’intranet RH. C’est également le début de DEA délivré par le LEST, passable obligé pour valider des acquis scientifiques manquants, puisque nous sommes alors diplômés en Histoire et en Sciences de l’information. La convention CIFRE est officielle signée en décembre 2001 et nous sommes embauchés en janvier 2002 en CDD pour trois ans sous le statut CIFRE.

88 Ses principaux concurrents hélicoptéristes dans le monde sont les entreprises américaines (Bell, Boeing et Sikorsky), et le constructeur italo-britannique (Agusta-Westland).

son chiffre d'affaires est de 3,5 milliards d'euros et de 3,8 en 2006. En 2008, il annonce un chiffre d’affaires de plus de 4,5 milliards d'euros.

• Aéro représente une population pour l’Europe de plus de 12 000 salariés. Ses principaux sites sont répartis sur le territoire européen (en France ; en Allemagne ; en Espagne). Dix-huit filiales sont réparties dans le monde, à quoi s’ajoutent quelques participations89.

• La multiplicité des domaines d’activités composant ce groupe est telle qu’on trouve toutes les étapes de processus allant de la phase de recherche et développement d’un hélicoptère à l’élaboration de séances de formation spécifique en fonction des appareils, en passant par la fabrication des pièces (usinage, ateliers et chaînes de montages), par la vente, la livraison et le service après vente.

Ces caractéristiques montrent à la fois le poids économique et l’importance stratégique d’un tel groupe. Celui-ci s’est construit au fil du temps. C’est pourquoi il est important de revenir, même brièvement, sur les grandes étapes de l’histoire de l’industrie de la production d’hélicoptères en France et de la création progressive de ce semi-géant de l’Aéronautique et de l’Espace.

4.2.1

L’histoire de l’industrie de la production d’hélicoptères en France.

A partir des années 1950, l’hélicoptère90 n’est plus considéré comme un objet d’innovation technologique, mais comme une véritable arme à la fois rare et stratégique. C’est sur ce constat que naît l’industrie de production d’hélicoptères en France. Son ambition est, alors, fournir cet outil de haute technologie à l’ensemble des armées occidentales plongées, pour la plupart, en pleine guerre froide.

89 Une filiale signifie qu’Aéro détient 100% des parts, alors que pour une participation la part du capital d’Aéro peut varier.

90 Nous ne rentrerons pas dans le détail des différentes gammes d’hélicoptères composant le marché militaire ou civil.

Le premier hélicoptériste s’appelle Sud-Aviation91 en 1957. Après plusieurs fusions successives92, le groupe Aérospatiale naît en 1984, sous le contrôle exclusif de son unique actionnaire : l’Etat Français. Suivant cette optique, on assigne à l’hélicoptère un rôle essentiellement militaire. C’est, avant tout, une plate forme de tir. Son utilisation dans la sphère para-public comme dans la sphère privée constitue une source de profit et un intérêt relativement secondaires.

A partir de la seconde moitié des années 1980, le marché militaire des hélicoptères est marqué par une récession. Afin de pouvoir lancer des appareils nouveaux plus en phase avec les nouvelles formes de combat et pour en partager les coûts de développement, des partenariats européens s’imposent. C’est en réponse à ce contexte que le groupe Aéro est formé en 1992 à partir de la fusion des divisions hélicoptères du français Aérospatiale Matra et de l’allemand Daimler Chrysler Aerospace AG (DASA). La société Aéro Holding serait détenue à 60 % par Aérospatiale et à 40 % par DASA. Cette holding détiendrait 75% de la société Aéro SA, les 25% restant resteraient dans les mains de l’Aérospatiale.

Pour continuer à nouer des partenariats européens internationaux avec les entreprises privées, l’état français affiche son intention de privatiser Aérospatiale. Suivant cette optique, il met en vente la moitié du capital d’Aérospatiale (52%), dont Aéro fait partie. Le Groupe Lagardère, propriétaire de Matra Hautes Technologies en rachète 33%. C’est la création d’Aérospatiale Matra en 1999, qui marque le retrait de l’acteur public comme actionnaire principal et qui conduit les entreprises de ce groupe à être privatisées.

Cette logique à la fois de privatisation et d’alliances européennes se poursuit puisqu’un an après un groupe européen encore plus important est créé en 2000, fondé la fusion entre l’allemand DASA, le français Aérospatiale Matra (incluant le groupe Lagardère) et l’espagnol CASA, dont Aéro devient une filiale à 100%.

Au printemps 2003, Aéro voit arriver une nouvelle génération de dirigeants : nouveau PDG et nouveau DRH. Leur objectif est de faire évoluer ce groupe pour qu’il devienne le numéro 1 mondial en matière d’hélicoptères, en adoptant de nouveaux principes, que nous allons

91 Sud-Aviation est issu de la fusion entre la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Ouest (SNCASO) et de la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est (SNCASE).

92 En 1970, Sud-Aviation fusionne avec Nord-Aviation et la SEREB (Société d’étude et réalisation d’engins balistiques) et bâtit la Société Nationale Industrielle Aérospatiale (SNIAS) qui devient définitivement l’Aérospatiale en 1984.

développer. Tous deux ont des points communs évidents : leur age -tout juste la quarantaine- et leur profil -issu du privé- diffèrent singulièrement de leurs prédécesseurs93.

D’une façon générale, la création du géant européen de l’Aéronautique et de l’Espace englobant Aérospatiale Matra, qui inclut lui-même Aéro, a d’importantes répercussions sur la stratégie, l’organisation d’Aéro et contribuent à marquer son histoire.

La question suivante est de tenter de comprendre pourquoi certains auteurs qualifient Aéro de groupe en mutation (Iribarne, 2002, 2005, Massot, 2008, Courault et Alii, 2008) et quelles sont les conséquences de cette mutation sur la fonction RH.

4.2.2

Aéro : un groupe en mutation

Nous appuierons notre réflexion sur les travaux de Massot (2008). En se référant à la grille de lecture de Boyer et Freyssenet (2000)94, Massot met en exergue les mutations que l’industrie de l’hélicoptère a connu et il se focalise sur le cas d’Aéro. Il base son analyse sur le modèle productif à partir de l’étude de la stratégie de profit, de l’organisation productive et de la relation salariale. Il montre que le modèle productif servant de référence du milieu des années 1960 jusqu’à la fin des années 1990 (4.2.2.1) a été progressivement déstabilisé depuis le début des années 2000 (4.2.2.2) et conduit le groupe Aéro à adopter de nouveaux principes (4.2.2.3).

93Pour exemple, le nouveau DRH âgé de 38 ans, diplômé d’une école de management, prend ses fonctions chez Aéro après plus de 10 ans d’expérience dans des entreprises internationales de même secteur industriel comme Alcatel Space, où il a déjà mené des restructurations. Alors que son prédécesseur part à la retraite avec plus de 30 ans d’ancienneté dans la même entreprise, son ascension étant le fruit d’une longue évolution interne.

94Pour Boyer et Freyssenet (2000), le modèle productif d’une entreprise « se constitue au terme d’un processus, largement intentionnel, de mise en cohérence de la politique-produit, de l’organisation productive et de la relation salariale avec la stratégie de profit poursuivie » (Boyer, Freyssenet, 2000 : 23).

4.2.2.1 Modèle productif de départ basé l’artisanat.

Le modèle productif de référence chez Aéro se définit par son caractère presque artisanal : une production de petite taille, basée sur l’excellence technologique, réalisée par des corps de professionnels au sein d’une organisation avant tout séquentielle. Suivant cette logique, les délais de développement et de production restent longs. La relation avec le client est marquée par la prédominance de l’offre technologique sur la demande commerciale.

Suivant ce modèle, Massot précise que la rentabilité des appareils militaires repose sur l’allongement de leur durée de vie, par les réparations et révisions (production de pièces de rechange) et par leur utilisation sur des marchés secondaires, destinés à des pays en développement (Inde, Roumanie, Afrique du Sud, Malaisie…)95.

Suivant cette logique, deux sources de profil sont privilégiées par le groupe Aéro : la première se définit par la qualité technologique du produit pour le marché domestique et militaire (de premier rang) ; la seconde répond à une logique de diversité, basée sur la redéfinition d’appareils au fur et à mesure de leur obsolescence.

Des années 1960 au milieu des années 1980, les ventes d‘hélicoptères pour le marché civil complètent celles du marché militaire. L’objectif est, surtout, de pouvoir fabriquer des hélicoptères civils à moindre frais, basés sur la reprise de l’innovation technologique des appareils militaires. Suivant cette démarche, les ventes sur le marché civil permettent de compenser les fluctuations des marchés militaires.

D’une façon générale, entre les années 1960 jusqu’à la fin des années 1990, le modèle productif de référence chez Aéro est basé sur une organisation productive de petite taille gérée par des corps de métier au sein d’une organisation avant tout séquentielle et très hiérarchisée.

A partir de la fin des années 1970, le système productif se modernise à travers l’usage d’innovations informatiques96. Ce modèle, comme le souligne Massot, vient s’inscrire dans des relations sociales de subordination très encadrées, appuyant et reprenant la culture

95 Massot souligne que le marché de l’hélicoptère est structuré sur cette période en deux pôles où se placent les armées des pays. On note, alors, deux types de pays émergent : les premiers sont des alliés stratégique de l’OTAN ou appartenant à des zones d’influence française, ils ont accès à de nouvelles gammes. Alors que les pays de la seconde ligne ont accès aux gammes déclassés, c’est-à-dire aux appareils de génération technologique considérée comme dépassée.

96 Dès la fin des années 1970, on note l’arrivée progressive des machines à commandes numériques, les premiers logiciels de dessin (en 3D) assistés par ordinateurs, ou encore les logiciels de gestion de production. Ces innovations technologiques induisent des évolutions professionnelles.

professionnelle des ouvriers et des techniciens qualifiés. Cette discipline professionnelle permet également de contrôler la main d’œuvre dans un climat de conflictualité97.

D’une façon générale, l’organisation productive doit s’assurer de la qualité du produit dans un registre de faibles volumes. Elle est marquée par une forte différenciation des modèles et des technologies. La culture du prototype associée à la séquentialité des tâches et au cloisonnement entre directions, rendant difficile les échanges d’information, font que la rationalisation de l’organisation productive reste faible. Par conséquent, les délais de développement et de production restent longs.

En parallèle, Massot souligne que, sur cette période, la complexité physique de l’hélicoptère n’est pas maîtrisée. La compréhension des phénomènes physiques au cœur du fonctionnement de l’hélicoptère est essentiellement empirique. De fait, elle apparaît comme incomplète.

Aussi, la standardisation de la production demeure difficile. En charge de la définition des cahiers des charges destinés aux unités de production, le bureau d’étude est centralisé. Les outils de calculs et de conceptuels, dont les ingénieurs disposent pour modéliser le comportement d’un hélicoptère, n’en sont qu’à leur début.

La difficulté de formaliser les connaissances en un savoir général donne à l’ingénieur une certaine autonomie dans la définition de ses choix techniques et dans les recherches à mener.

En somme, l’organisation de la conception semble marquée par un esprit d’invention, où le concepteur-créateur est, par moment, le premier surpris des performances inédites de sa machine. Ceci pousse certains ingénieurs à parler d’époque héroïque, où finalement l’offre technologique prédomine la demande commerciale.

Quant à la relation salariale, elle découle d’un paternalisme protecteur, garant d’une protection totale, en contre partie d’une paix sociale, héritière de la période du management musclé de Carillon. Le recrutement familiale et l’ascension sociale grâce à une évolution interne sont possibles98.

A partir de la seconde moitié des années 1980, un certain nombre d’éléments vont percuter ce modèle productif et vont commencer à le déstabiliser.

97 La fin des années 1960 est marquée par un climat conflictuel chez Aéro entre la direction et la CGT, syndicat majoritaire à 70%.

98 Le DRH en charge du département RH jusqu’en 2003, est rentré chez Aéro en tant qu’ingénieur.

Outline

Documents relatifs