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De la diversité des utilisateurs des TIC au lien entre usage et projection professionnelle

1.2 La catégorisation des utilisateurs des TIC et de leurs usages

1.2.2 De la diversité des utilisateurs des TIC au lien entre usage et projection professionnelle

Concernant l’analyse des usages des TIC contextualisés, les travaux de (d’)Iribarne et Tchobanian (2001) permettent deux avancées. Le premier (1.2.2.1) élément nouveau réside dans l’analyse détaillée des comportements des utilisateurs de technologies du web en milieu organisationnel, aboutissant à l’émergence de figures de référence. Pour ce faire, les auteurs utilisent une perspective socio-gestionnaire. La seconde (1.2.2.2) avancée porte sur le lien établi entre l’usage que l’individu réserve à une TIC et sa représentation de l’avenir de son métier, ce qui permet l’articulation des niveaux d’analyse macro et micro.

1.2.2.1 Des figures d’utilisateurs des technologies du web en grande entreprise

D’Iribarne et Tchobanian réalisent une étude en 1999-2000 chez France Télécom sur « les effets de la diffusion des outils multimédia en réseaux sur le contenu des activités professionnelles du personnel de France Télécom ».

Leur ambition est de comprendre, à travers l’analyse des usages réels de ces outils, les

« opportunités mais aussi les difficultés que pouvaient rencontrer ces personnels pour s’approprier les divers outils correspondants » (Iribarne (d’), Tchobanian, 2001 : 2). Ils s’intéressent également aux « processus d’hybridation des technologies entre elles, ainsi que les effets de synergie susceptibles d’apparaître autour de la façon dont sont venues se

rencontrer, sur les postes de travail des salariés de France Télécom, les innovations technologiques avec des transformations également générales intéressant l’organisation collective et les activités réalisées » (Iribarne (d’), Tchobanian, 2001 : 2).

Les auteurs observent diverses stratégies ou formes de recherches individuelles d’adaptation.

Celles-ci les conduisent à envisager « quatre grandes figures d’utilisateurs» : utilitariste ou instrumentaliste (i) ; réticent ou résistant (ii) ; innovateur ou web-surfeur (iii) ; stratège ou opportuniste (iv).

(i) L’utilitariste ou l’instrumentaliste :

Face à la diffusion d’un outil multimédia en réseaux, le comportement de cet acteur est neutre.

L’utilitariste considère qu’il faut attendre de voir ce que l’usage de la TIC implique avant de prendre position. De ce fait, il met les discours et les intentions à l’épreuve des faits.

Les auteurs précisent que « pour celui-ci, les TIC ne sont que de simples outils qui doivent être à son service pour lui simplifier la vie et le rendre plus performant par rapport aux contraintes qui lui sont imposées. Il correspond à une logique claire d’intérêt conjoint, trouvant normal que l’entreprise tire profit de ces nouveautés à la condition qu’il y trouve lui aussi son compte ». D’Iribarne et Tchobanian soulignent que la position de l’utilitariste « est donc attentiste, mais pas passive. S’il n’y a pas de répondant, sa neutralité bienveillante risque de se dégrader en résistance. Cette figure correspond à la majorité des personnes rencontrées. » (Iribarne (d’), Tchobanian, 2001: 13).

(ii) Le réticent ou le résistant :

La posture de départ du réticent (ou résistant) face à l’arrivée d’une technologie est marquée par la réserve et la crainte (crainte de ne pas savoir faire ; crainte d’être dépossédé de son travail ; crainte d’une déshumanisation du travail ; crainte de perdre son emploi…). Tous les dysfonctionnements techniques et/ou organisationnels sont des occasions pour ces derniers, puisqu’ils viennent justifier leurs préventions. D’une façon générale, les auteurs soulignent que les « réticents » sont beaucoup moins nombreux qu’on ne le pense, ils servent largement d’alibi aux managers. D’Iribarne et Tchobanian ajoutent que la gestion de ce type de personnel demande « beaucoup d’attention et des systèmes techniques robustes, fiables, les plus simples possibles d’usage ».

(iii) L’innovateur ou web surfeur :

A cause de ses postures et ses pratiques, cette figure d’utilisateur se dessine à l’inverse de la précédente. En effet, l’innovateur est favorable a priori aux technologies et cherche à en explorer les zones de performances. Celui-ci n’est pas « rebuté par les imperfections et les dysfonctionnements, il cherche à les contourner et invente souvent des astuces qui leur permettent de les surmonter. C’est avant tout un innovateur d’usage ».

Néanmoins, d’Iribarne et Tchobanian posent la délicate question du contrôle de ce type de comportement qui passe volontiers « de l’autonomie à l’indépendance [qui] subvertit assez volontiers tous les systèmes de contrôle qui chercheraient à l’enfermer, risquant de constituer une source de bien mauvais exemple pour les individus qui viennent lui demander des conseils d’usage » (Iribarne (d’), Tchobanian, 2001: 14).

Les auteurs précisent que ce type de profil demande une attention organisationnelle et managériale différente du cas du résistant.

(iv) Le stratège ou l’opportuniste :

Les auteurs soulignent que « cette dernière figure n’est apparue que peu à peu, par petites touches, au cours de l’étude ». Les comportements de ce type d’utilisateur reposent sur la notion d’intérêt mutuel, plutôt que sur le partage d’un intérêt commun. « Avec subtilité, le collaborateur de ce profil va montrer qu’il sait faire ce qu’il veut, mais il va en même temps envoyer des signaux à son manager pour qu’il lui dise ce qu’il propose en échange [de son engagement] ».

A la suite de cette stylisation des comportements des utilisateurs des TIC, les auteurs s’interrogent sur le lien entre la diversité des usages et celles des métiers.

1.2.2.2 L’appropriation des TIC à l’articulation entre usages émergents et représentations sur l’avenir des métiers

D’Iribarne et Tchobanian (2001) se posent la question suivante : est-ce que les différents univers professionnels de l’entreprise concernés par l’arrivée des TIC vont se saisir efficacement de ces outils ?

Pour répondre à cette interrogation, les auteurs se focalisent sur quatre familles de métiers (secrétariats ; commerciaux ; techniciens ; métiers de la formation) et observent « une diversité des niveaux d’appropriation des NTIC par les personnels ».

Ils émettent l’hypothèse d’un lien fort entre la façon innovante de l’utilisateur d’utiliser la nouvelle technologie et les représentations qu’il a du rôle qu’elle peut jouer sur l’avenir de son espace professionnel.

D’Iribarne et Tchobanian (2001) schématisent leurs hypothèses à travers la figure ci-dessous (figure 7). On y constate une relation forte entre la représentation de l’usager sur « l’avenir des métiers et de l’entreprise» et son niveau d’appropriation de la technologie proposée16.

figure 7. Perceptions des outils liés aux TIC par les personnels à l’heure de la nouvelle économie (Iribarne (d’) et Tchobanian, 2001 : 26)

Dans un article plus récent, (d’) Iribarne (2005) affine sa pensée en expliquant que depuis le début des années 1990, un nouveau paradigme existe. Il est à la base des représentations de la

« net compagnie ». C’est le modèle de production « néoartisanal de services sur mesure numérisés »17. Même si l’auteur le situe en filiation directe avec le Toyotisme18, il reconnaît son impact sur les rapports au travail (normes d’emploi et de travail), les capacités

16 Nous proposons une formulation des deux hypothèses des auteurs (H1 et H2) : il y a un lien fort entre la façon dont l’utilisateur se représente les évolutions de son métier en lien avec le paradigme productif en cours et la façon dont il se représente les outils technologiques que lui propose l’organisation et leurs enjeux (H1). Les représentations de l’évolution de l’espace professionnel résultent de la rencontre entre les modèles en cours et les singularités nationales ; découlant de (H1), il y a un lien fort entre l’utilisation des outils technologiques et les représentations que l’utilisateur s’est forgé de l’avenir de son métier et de son entreprise (H2).

17 Dans son article, Iribarne (2005) explique le choix des termes « néoartisanal de services sur mesure » pour qualifier ce modèle de production en émergence. L’auteur a choisit le terme « néo-artisanal » parce que « la relation de service singularisée, même si elle est fortement codifiée et médiatisée par des artefacts techniques, exige de donner l’impression au client qu’il est une personne que l’on écoute et à qui on est capable de répondre. On retrouve là selon l’auteur les bases de l’artisanat traditionnel » (avec la réapparition de la logique de métier). Le terme « numérisé » vient de ce que « les générations de TIC sont le support privilégié de ces services soit directement car intégrées au service lui-même, soit indirectement en assistant sa production ».

18 L’auteur définit le Toyotisme comme le modèle production post-industriel de singularité standardisé.

Usages émergents des outils

professionnelles (capacité d’usage, de métier, compétences comportementales…), le système de formation et le lien social (compromis sociaux).

L’auteur précise que la rencontre entre ce paradigme (dont les bases fondatrices sont la

D’Iribarne (2005) mobilise un cadre d’analyse basé sur une double perspective régulationniste et sociétale20 : la première théorie permet de comprendre le changement qui s’opère dans les organisations quand il y a diffusion de technologies nouvelles et évolutions organisationnelles du travail ; la seconde développée et utilisée au départ pour mener à bien des comparaisons internationales, est avant tout systémique. En effet, la perspective sociétale est fondée sur la rencontre de trois systèmes, système éducatif, productif et de relations professionnelles, qui explique les différences nationales.

En somme, la catégorisation des acteurs proposée par les auteurs permet d’affiner l’analyse des usages des technologies du web en se focalisant sur la diversité des comportements des utilisateurs en milieu organisationnel.

Cependant, le rôle intermédiaire de l’acteur « direction » dans la diffusion des représentations associées à la TIC semble omis du raisonnement. (d’) Iribarne et Tchobanian établissent un lien fort entre l’imaginaire technologique inhérent au modèle productif et l’usage de la TIC que lui réserve l’utilisateur lambda de l’entreprise. Ils n’envisagent pas le fait que l’utilisateur, pris dans un contexte d’entreprise puisse être également impacté par les discours de la direction, qui peuvent transcrire, à leur tour, la façon dont la direction projète le rôle de la technologie sur les évolutions professionnelles.

L’approche régulationniste et sociétale permet une articulation entre les niveaux d’analyse macro et micro21. Cet instrument théorique peut s’avérer pertinent quand on compare l’appropriation d’une TIC à travers une méthode d’étude de cas multi-sites, en privilégiant des entreprises de nationalités différentes. Cependant, il est, selon nous, difficile de le transposer à

19Pour l’auteur, les deux injonctions paradoxales sont les couples échange/coopération et concurrence/compétition.

20 L’usage de la théorie de la régulation proposée par Reynaud J.D (1997) et l’analyse sociétale élaborée par Maurice M, Sellier F, Silvestre J.J (1982).

21 Le niveau macro social est appréhendé à travers les perspectives institutionnelles. Quant au niveau micro social, il est abordé à travers l’analyse de l’appropriation des TIC par les acteurs dans un contexte local.

une étude de cas unique, à moins de considérer les différentes composantes de l’entreprise comme autant d’unités culturelles différentes, ce qui suppose une singularité méthodologique, difficilement gérable.

Bien que le recours à la théorie de la régulation induise des interactions entre usage et conception, la question de leur relation comme variable explicative de l’appropriation des TIC n’est pas évoquée en tant que telle dans le cadre d’analyse de (d’) Iribarne.

A ces études socio-gestionnaires débouchant sur la catégorisation des utilisateurs des TIC s’ajoutent d’autres analyses qui suivent une approche structurationniste. Celles-ci offrent, selon nous, des stylisation des utilisateurs et de leurs usages complémentaires.

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