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d’archétypes technologiques suivant une approche structurationniste

2.1 Appréhender le processus de conception : de la conception collective à celle d’une TIC

2.1.2 La définition du processus de conception à partir du rapport de prescriptions entre acteurs

2.1.2.1 Les bases de la théorie de la conception collective

L’ambition d’Hatchuel (1996) est de s’interroger sur ce qui est nécessaire aux processus de conception.

Selon l’auteur, la complexité à comprendre ces processus est visible rien qu’à la multiplication des métaphores suscitées, que se soit l’image du tourbillon, ou encore celle de l’hélice ou du tire-bouchon. Toutes ces images renvoient à la « difficulté à rendre compte des processus [de conception] par un cadre théorique adéquat » (Hatchuel, 1996 :116).

Dans un premier temps, l’auteur affirme que les principes de conception collective ne peuvent se comprendre sans imaginer un lien avec la coopération entre les individus. Concevoir à plusieurs repose sur un principe de coordination singulier qu’Hatchuel nomme « prescription-réciproque », et qu’il considère à la base d’une théorie de la conception collective plus générale.

Hatchuel fait reposer sa théorie sur trois éléments clefs : « l’évolution des prescriptions et des modes de coopération ; la structuration du processus de conception par les modes de validation et la réversibilité des rapports de prescription » (Hatchuel, 1996 :119).

Plus précisément, il répond à la question posée à travers deux propositions théoriques, complétées par l’énoncé de caractéristiques principales des processus de conception (Ibid, 1996 : 116-117).

Les deux propositions théoriques sont énoncées pour qualifier le processus de conception.

• La première concerne la dynamique de coopération. A ce sujet, l’auteur affirme que la forme de coopération entre les individus, inclus dans un processus de conception, se démarque des autres formes de coopérations possibles et se nomme « rapport de prescriptions réciproques ». Hatchuel pose, ainsi, cette notion comme le principe de base du processus de conception.

• La seconde hypothèse de l’auteur est la prise en compte de la variabilité du processus de conception dans le temps. Celle-ci induit une transformation de la nature et du contenu des rapports de prescription. On est dans une dynamique où par définition rien n’est figé.

A ces principes, s’ajoute l’énoncé des quatre principales caractéristiques des processus de conception :

1. La présence à l’origine du processus de conception d’un acteur ou d’un groupe d’acteurs, adossant le rôle de « prescripteur initial » ;

2. La mobilisation des acteurs disposant de savoirs différents ;

3. Les transformations des prescriptions faibles en prescriptions de plus en plus fortes38.

4. La difficulté de prédire exactement ad hoc les savoirs nécessaires et la liste des acteurs à mobiliser au cours du processus de conception.

Hatchuel défend l’idée que les modèles de coopération doivent changer en fonction des différentes phases du processus de conception. En effet, il est certain que « le passage progressif de prescriptions faibles à des prescriptions de plus en plus fortes modifie

38 Hatchuel se réfère, ici, de façon implicite au graphe proposé par Midler concernant la spécificité des activités de conception et de la logique de projet. Il s’agit des courbes inversées entre le degré de liberté et le degré de connaissance (Midler, 1993).

complètement l’autonomie des acteurs, leurs relations, et les acteurs eux-mêmes » (Hatchuel, 1996 :117).

Force est de constater que la notion de rapport de « prescription réciproque » est l’élément central de la pensée de l’auteur. Reste à répondre aux questions suivantes : comment Hatchuel parvient-il à construire cette notion ? Et comment parvient-il à introduire l’idée de variabilité du processus de conception au cours du temps ?

2.1.2.2 La définition de la notion du « rapport de prescription réciproque ».

Pour comprendre la notion de « rapport de prescription réciproque », il faut s’interroger en premier lieu sur la signification du « rapport de prescription ».

Les origines de la notion de « rapport de prescription » : le lien fort avec la notion d’ « apprentissages croisés »

Avant de poser les bases d’une théorie de la conception collective, Hatchuel s’est dans un premier temps intéressé aux interactions entre concepteurs et opérateurs et à la question de l’apprentissage (Hatchuel, 1994).

D’une façon générale, l’auteur remet en cause la courbe d’apprentissage traditionnelle, basée sur la relation entre mémorisation-assimilation-routinisation des prescriptions. Il juge ce schéma de pensée « simple » car deux grandes réalités y sont absentes. La première concerne l’absence de prise en compte de la créativité de l’opérateur de l’objet créé. En effet, celui-ci construit un savoir nouveau, à travers son usage. Le second élément absent du raisonnement est « l’existence d’un double apprentissage » entre les concepteurs et les opérateurs, qui débouche sur la notion d’ « apprentissages croisés ».

Cette notion signifie que le concepteur apprend de l’opérateur et inversement. Cette dynamique d’interaction est supposée efficiente. Ces apprentissages répondent à des prescriptions. Plus précisément, Hatchuel définit la prescription comme l’hypothèse faite par le concepteur sur la méthode d’exécution que l’opérateur va adopter pour apprendre à manipuler l’objet. Suivant cette pensée, si l’hypothèse du concepteur est validée, alors l’opérateur a acquis un nouveau savoir. Par conséquent, l’opérateur aura appris du concepteur.

De même, le concepteur aura été obligé d’apprendre de l’opérateur pour être capable de formuler une prescription qui ait des chances de conduire à un « apprentissage réussi ».

Hatchuel souligne les difficultés inhérentes à ce double apprentissage. Dans le cas où l’apprentissage n’est pas au rendez-vous, il y a crise du système : celle-ci peut venir soit du concepteur, soit de l’utilisateur. D’une façon générale, la crise de l’un impacte l’autre et aboutit au même résultat : l’échec de l’apprentissage de l’objet proposé.

Dans le cas d’une crise de l’opérateur, Hatchuel explique que l’issue va dépendre de la façon dont le concepteur va analyser l’apprentissage de l’opérateur et reconnaître les obstacles de celui-ci par rapport à sa propre prescription. Dans ce cas-là, Hatchuel souligne que ce sont les capacités des concepteurs à reconnaître leurs propres erreurs de prescription qui sont en jeu.

Dans le cas d’une crise du concepteur, Hatchuel explique que celle-ci est perceptive à travers la crise de l’opérateur. L’utilisateur ne s’est pas approprié l’objet, car la prescription du concepteur ne correspondait pas à son mode d’apprentissage. Par ailleurs, l’auteur souligne que la crise du concepteur peut être parfois plus délicate à saisir car l’opérateur, dans une logique de performance, peut réajuster tout seul les difficultés de prescription.

Ces crises sont à la base de la récursivité des interactions entre ces deux acteurs. Hatchuel continue sa démonstration et défend l’idée que la force de la prescription a un impact sur les formes d’apprentissage.

Le lien entre la force de la prescription et l’apprentissage.

Hatchuel s’attache à montrer que lorsque le cadre de rapport de prescription s’amenuise c’est-à-dire quand la prescription du concepteur est faible, alors l’opérateur va avoir plus de marge de manœuvre. L’apprentissage s’oriente plus en fonction de la stratégie de l’opérateur qu’en fonction de la prescription initiale du concepteur.

Le regard nouveau que pose Hatchuel sur « le concept d’apprentissage collectif permet de retrouver des perspectives parfois oubliées en gestion et d’éclairer les évolutions actuelles des rapports de prescription et des activités de conception » (Hatchuel, 1994 : 109).

En résumé, l’auteur propose d’appréhender le concept d’apprentissage à partir de deux dimensions : la première concerne le « régime de coordination entre acteurs » ; la seconde porte sur « le processus de formation des acteurs ». Celui-ci prend différentes formes en fonction de la variété des savoirs produits dans l’entreprise et de la construction des acteurs (Hatchuel, 1994 : 109).

Hatchuel conclut en envisageant deux grandes rationalisations contemporaines, porteuses de progrès qui s’appuient sur des formes d’apprentissages collectifs : la reconstruction d’une

ingénierie de la conception ; la mise en place d’autonomies qui favorisent les apprentissages croisés.

Derrière la première rationalisation, se cachent les évolutions de la gestion de la conception et des liens entre concepteur et utilisateur. Hatchuel écrit, à ce propos, que « les activités de conception sont des lieux de l’innovation et de la codification des activités de la firme ; elles sont au cœur des processus d’apprentissage collectif et sont elle-mêmes fortement dépendantes des apprentissages possibles des autres acteurs (utilisateurs, producteurs). Il y a l’émergence d’une ingénierie capable de concevoir des produits ou des systèmes techniques respectant et favorisant les apprentissages propres à chaque utilisateur » (Hatchuel, 1994 : 119). Suivant cette idée, il faut s’intéresser à « la formation des concepteurs, à leurs savoirs et à leurs interactions ». Et derrière la seconde rationalisation, se dessine peu à peu le concept de « prescription réciproque ».

L’émergence d’une nouvelle « ingénierie de la conception » conduit l’auteur à se détourner du rapport entre concepteur/opérateur pour se centrer sur l’univers des « concepteurs ».

Pour Hatchuel, la présence de différents concepteurs en scène peut avoir un effet sur le cadre de rapport de prescription et par extension sur le processus de conception. La question du relâchement du cadre de rapport de prescription (prescription faible) incite le chercheur à s’intéresser aux dynamiques internes de coopération au sein des concepteurs et de leur impact sur le processus de conception.

La notion de « prescriptions réciproques » comme un rapport d’équilibre entre concepteurs.

Quand il y a différents concepteurs, le rapport de prescription s’amenuise. Chaque acteur-concepteur a « un espace de prescription qui lui est propre dont il a défini les modalités » (Hatchuel, 1994). Sauf qu’entre ces différents acteurs-concepteurs, se définit un rapport de prescriptions réciproques. Le maître mot pour garantir le bon déroulement créatif est, alors, le respect de ces prescriptions.

En d’autres termes, la notion de « prescriptions réciproques » s’apparente à un état d’équilibre entre les différents concepteurs, qui favorise les interactions entre eux, les encadre tout en évitant les crises. Hatchuel met l’accent sur le double apprentissage perceptible à travers cette coopération par l’interaction. Plus précisément, il définit la notion de

« prescriptions réciproques » en expliquant que chaque concepteur s’efforce « de produire les connaissances qui lui permettent d’atteindre ses propres objectifs tout en respectant les prescriptions » des autres concepteurs (Hatchuel, 1994 : 115).

La notion de « prescriptions réciproques » se résume par les deux éléments suivants : le fait de créer du savoir (lequel dépend du type d’acteur39) et le fait que la création de ce savoir s’imbrique dans un collectif pour y prendre son sens.

L’auteur ne nie pas la fragilité de ce principe de coopération. En effet, il souligne que celui-ci repose sur le «pari implicite » d’une « compatibilité et [d’une] efficience croisées » entre les différents acteurs-concepteurs en scène.

Il insiste sur le fait que « les modalités d’interaction entre concepteurs vont de ce fait jouer un rôle crucial dans le processus [de conception] puisqu’elles vont permettre de vérifier l’existence de dérives ou l’obsolescence de certaines prescriptions » (Hatchuel, 1994 : 115).

Comme le processus de conception peut mobiliser toute « la palette des rapports de prescription », des crises de la coopération (venant du concepteur ou de l’utilisateur) se produisent.

Pour limiter leurs apparitions, Hatchuel préconise « la mise en oeuvre d’un processus de validation ». Il juge celui-ci comme « stratégique [car il est] le meilleur moyen pour fonder les savoirs disponibles, analyser les rapports de prescription et le garant de la survie de la coopération au cours du processus » (Hatchuel, 1996 :117).

Il est clair que ces validations permettent le maintien des apprentissages croisés entre les acteurs et contrôlent le passage progressif des prescriptions faibles aux prescriptions fortes.

Cette évolution conduit Hatchuel à noter « la réversibilité du rapport de prescription comme un élément véritablement spécifique au processus de conception » (Hatchuel, 1996 :118). Elle est le signe de l’intensité et de la difficulté des apprentissages croisés qui s’effectuent au cours du processus.

Dans les premières phases du projet, chaque acteur peut encore tenter d’infléchir les apprentissages de ses partenaires. Mais après un certain nombre de décisions-clefs, les inflexions sont plus difficiles40.

39 Nous ne développerons pas cet aspect du travail de l’auteur. Nous invitons le lecteur à se rapporter aux travaux réalisés avec Weil dans l’ouvrage l’expert et le système (Hatchuel et Weil, 1992). Hatchuel y définit trois formes de savoir : le savoir–faire basé sur une logique d’accumulation et de foisonnement ; le savoir-comprendre basé sur des efforts de mémoire et une logique de l’énigme dans l’incertain ; le savoir-combiner qui repose sur l’art du compromis et de la négociation.

Ces dernières années, certains chercheurs opèrent un glissement théorique en reprenant l’approche d’Hatchuel pour éclairer le phénomène d’appropriation des outils de gestion (de Vaujany, 2005 ; 2006). Ces auteurs défendent l’idée que la théorie de la conception collective replace l’action prise dans son contexte organisationnel au cœur du phénomène de conception et d’appropriation.

2.1.2.3 De la théorie de la « conception collective » à la théorie de la « mise en acte » : un glissement théorique de l’apprentissage à l’appropriation

Hatchuel parle de l’appropriation, comme du parent pauvre de l’apprentissage, car privée de la question du savoir. Il nous semble que ces dernières générations de recherche structurationniste ont avancées sur ce point41.

De Vaujany (2005, 2006) reprendra le cadre théorique d’Hatchuel qu’il place dans les théories de « mise en acte » pour comprendre le phénomène de l’appropriation42 d’outils de gestion.

Ainsi, il opère un glissement théorique du concept d’apprentissage, dont traite Hatchuel, au concept d’appropriation. De même, on note un second glissement implicite : de l’opérateur, on passe à l’utilisateur.

De Vaujany a proposé d’appréhender le phénomène d’appropriation en adoptant en même temps trois perspectives : une perspective rationnelle, socio-politique et cognitive. La prise en compte de la dimension cognitive est une réponse à la faiblesse qu’Hatchuel attribuait au concept d’appropriation et permet par conséquent un glissement théorique d’un terme à l’autre.

Par ailleurs, de Vaujany semble faire un second glissement en ne limitant pas l’application du principe de « prescriptions réciproques » au rapport entre concepteurs, mais également aux rapports entre l’utilisateur et l’outil ou entre les utilisateurs : « Dans la perspective de la théorie de la mise en acte, l’outil de gestion retrouve une certaine extériorité…il précède l’action et peut engager une spirale de prescriptions réciproques entre utilisateurs et l’outil ou bien les utilisateurs au temps (t) et ceux au temps (t+n) » (De Vaujany, 2006 : 121).

40Plus précisément, Hatchuel note que le début d’une processus de conception est marqué « par un mode de coopération spécifique, celui de coopération horizontale entre métiers distincts (et niveaux hiérarchiques) ; par la multiplicité des prescriptions faibles ; le caractère provisoire des questions et des réponses ; la multiplicité des savoirs à mobiliser » (Hatchuel, 1996 : 118). L’auteur est en accord avec la pensée de Midler, développée précédemment.

41 Renvoi à la fin du chapitre 1.

42 Nous renvoyons le lecteur au passage consacré aux travaux de ‘de) Vaujany dans le chapitre 1.

De même, nous sommes passés de « l’opérateur » à « l’utilisateur ». Ceci renvoi, selon nous, à l’évolution épistémologique du champ IHM43, où de l’opérateur centré sur sa tâche, on est passé à l’utilisateur comme « un acteur situé et incarné » (Bobillier-Chaumon et Alii, 2001).

Cependant, de Vaujany, comme Hatchuel, n’a pas proposé de modélisation de la dynamique de conception suivant le principe de « prescription réciproque » même si les bases ont été posées. Un effort de schématisation pourrait rendre ce cadre d’analyse plus facilement mobilisable. C’est ce que nous proposons de faire.

2.1.2.4 Proposition de schématisation de la dynamique de coopération entre

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