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Présentation de documents conformes à tout le moins authentiques? authentiques?

LE CONTENU DE LA CONDITION SUSPENSIVE GREVANT L'ENGAGEMENT BANCAIRE

4. Présentation de documents conformes à tout le moins authentiques? authentiques?

Enfin, une troisième solution, médiane, est soutenue en doctrine: la condition suspensive serait réalisée par la présentation de documents conformes à tout le moins authentiques (autrement dit ni faux, ni falsifiés )228, correspondant à ce qui a été stipulé dans l'accréditif et non contradictoires entre eux229 . Les partisans de cette solution distinguent, en effet, selon que la fraude commise par le bénéficiaire consiste en la falsification de documents ou l'envoi de

226 ATF 115 II 67, 70-71=JT1989 I 342, 345. Le Tribunal fédéral s'appuie à cet égard sur de nombreux auteurs qui, sans se prononcer sur la question de l'incidence de l'authen-ticité et/ou de la sincérité des documents sur leur conformité et sur la réalisation de la condition suspensive grevant l'engagement bancaire, indiquent tous que la banque ne doit s'en tenir qu'aux seuls documents, sans avoir à examiner leur exactitude maté-rielle (ZAHNIEBERDING/EHRLICH (1986), no. 2/215 ss; SCHÂRRER (1980), pp. 89 ss;

SLONGO (1980), pp. 36 ss; EISEMANNIEBERTH (1979), pp. 148 et 150 ss; J. HART-MANN (1974), pp. 98 ss).

227 Cf. inji-a chapitre IX, 5. et 6.

228 Des documents sont authentiques s'ils émanent bien de leur auteur et s'ils n'ont pas été modifiés par un tiers; cf. à ce sujet supra chapitre VIII, 2.2.1. et 2.2.3.

229 DOHM (1993a), pp. 14-15; TEVINI Du PASQUIER (1990), pp. 97 i.i. et 231.

marchandises sans valeur, ou -pour reprendre la qualification de la doctrine française- selon qu'ils 'agit d'une fraude matérielle ou intellectuelle230 .

Lorsque des documents faux ou falsifiés (fraude matérielle) sont remis, vo-lontairement ou à son insu, par le bénéficiaire à la banque désignée, ceux-ci ne seraient, par définition, pas conformes aux conditions de l'accréditif231 .

En conséquence, la condition suspensive dont dépend l'engagement de la ban-que ne serait pas réalisée. Cela signifie ban-que la banban-que désignée ne serait pas tenue d'accepter les documents et de payer la somme d'accréditif; en refusant de réaliser le crédit, la banque opposerait au bénéficiaire une exception affec-tant sa propre promesse232 . La créance du bénéficiaire- et la dette correspon-dante de la banque - en paiement de la somme d'accréditif ne devenant pas inconditionnelle en cas de présentation de documents non authentiques, il ne saurait être question d'abus de droit. La banque n'invoquerait donc pas l'art.

2 al. 2 CC233 , mais le fait que la condition suspensive grevant son engage-ment ne serait pas réalisée.

Si la banque payait malgré tout le bénéficiaire, alors que la condition suspensive grevant son engagement n'était pas réalisée, elle paierait une dette inexistante234 . Il n'empêche qu'elle aurait droit au remboursement de ses frais si elle ne pouvait, en dépit d'un examen diligent, déceler le défaut d'authenti-cité affectant les documents présentés.

230 Au sujet de ces distinctions, cf. supra chapitre VIII, 2.2.1. à 2.2.3.

231 DOHM (1993a), pp. 14-15; TEVINI Du PASQUIER(l990), pp. 97 i.i. et231. Selon KAWAN (1991), p. 801, "[p]ersonne ne semble contester qu'un document falsifié ne puisse être reconnu, strictement parlant, comme conforme aux termes du crédit"; cf. également les références de jurisprudence anglo-saxonne faites par cet auteur sous n. 46: Old Colony Trust Co. v. Lawyers' Title & Trust Co., 297 F.2d 152 (2d Cir. 1924): "Un document faux ou illégal ne peut être reconnu conforme aux termes de la lettre de crédit malgré sa forme correcte"; Continental Nat'! Bank v. National City Bank, 69 F.2d 312, 316 (9th Cir. 1934): "Un warrant illégal n'est pas un warrant"; Etablisse-ment Esefka International Anstalt v. Central Bank of Nigeria, [1979] 1 Lloyd's Rep.

445 (C.A.), par Lord Denning, p. 447: "Les documents doivent être c01Tects et vali-dés". Cf. également KRAUSS (1990), p. 86, n. 150, qui fait référence aux décisions américaines suivantes pour lesquelles des documents falsifiés sont "no documents at ail": Arbest Constl: Co. v. First Nat 'l Bank & Trust Co. of Oklahoma City, 777 F.2d 581 (lOth Cir. 1985) et First Nat'! Bank of Atlanta v. Wayne, 149 Ga. App. 811; 256 S.E.2d 383 (1979).

232 DOHM (1993a), pp. 14-15; TEVINI Du PASQUIER (1990), pp. 97 i.i. et 231.

233 Dont on rappellera d'ailleurs qu'elle est subsidiaire, cf. BAUMANN (1998), no. 26-27 ad art. 2 CC; BOSSER (1997), pp. 366-367, no. 1205-1206.

234 TEVINI DU PASQUIER (1990), p. 123 if

CHAPITRE IX-LE CONTENU DE LA CONDITION SUSPENSIVE GREVANT L'ENGAGEMENT BANCAIRE

En revanche, lorsque la fraude du bénéficiaire consiste en la présentation de documents authentiques et formellement conformes en apparence aux con-ditions du crédit, alors que n'importe quelle marchandise sans valeur a été livrée en lieu et place de celle convenue (fraude intellectuelle), la condition suspensive de l'engagement bancaire serait réalisée - quand bien même la fraude serait "matérialisée" dans les documents dépourvus de sincérité -, avec pour conséquence que la banque serait en principe tenue d'accepter les documents et de réaliser le crédit235 . Par la seule présentation de documents authentiques et conformes, le bénéficiaire rendrait donc sa créance en paie-ment de la somme d'accréditifinconditionnelle.

Néanmoins, dans un tel cas de figure, pour autant que la banque ait connaissance de la fraude avant de décider si elle accepte ou non les docu-ments236 et que le comportement du bénéficiaire soit constitutif d'un abus de droit manifeste, la banque pourrait et devrait opposer au bénéficiaire l'art. 2 al. 2 CC et donc refuser la réalisation du crédit documentaire. La banque ferait valoir qu'en raison du caractère manifestement abusif de la prétention du bénéficiaire, sa propre dette ne serait qu'apparente, ou plutôt inexistante237;

elle opposerait de la sorte à l'assignataire une objection résultant de ses rap-ports personnels avec ce dernier, conformément à l'art. 468 al. 1 C0238 .

5. Discussion

Quelle solution, des trois envisagées ci-dessus sous ch. 2. à 4., convient-il de retenir? Les commentateurs et les tribunaux ne se sont curieusement guère penchés sur cette question.

Le commentaire officiel des RUU 500 est peu prolixe sur la signification de l'expression "apparence de conformité" et ne définit pas expressément le contenu de la condition grevant l'engagement bancaire; tout au plus indique-t-il qu'il appartient à la banque seule, en se conformant aux pratiques bancai-res internationales telles que reflétées dans les RUU, d'examiner les

docu-235 DOHM (1993a), p. 14; TEVINI Du PASQUIER (1990), pp. 231et232.

236 Il est vrai qu'en pratique, c'est assez exceptionnellement que la banque aura connais-sance avant la réalisation de l'accréditif d'une telle fraude intellectuelle, laquelle sera le plus souvent découverte par le donneur d'ordre à réception de la marchandise.

237 Nous verrons que le droit invoqué de façon manifestement abusive n'est qu'apparent, ou constitue un non-droit; cf. infra chapitre X, 1.

238 TEVINI Du PASQUIER (1990), pp. 94 et 229.

ments pour déterminer s'ils sont conformes avec les termes et conditions du crédit et sont compatibles entre eux239.

Quant à la doctrine, elle aborde à peine cette question qui, d'un point de vue théorique du moins, est pourtant cruciale pour le fonctionnement du mé-canisme du crédit documentaire. Le plus souvent, hormis les auteurs cités comme partisans del 'une des trois solutions susmentionnées240, elle indique sans examen particulier que le bénéficiaire doit remettre à la banque désignée les "documents stipulés", "prescrits", "convenus", ou "conformes", tout en précisant que la banque doit s'en tenir à l'apparence de conformité <lesdits documents, sans avoir à vérifier leur conformité matérielle241 . La probléma-tique des documents falsifiés, mais en apparence tout à fait conformes, est bien abordée en droit allemand par M. Krauss; cependant, cet auteur la con-sidère uniquement du point de vue de l'exclusion de la responsabilité de la banque, en ce sens que cette dernière ne devra répondre vis-à-vis du donneur d'ordre d'une mauvaise exécution de ses obligations que dans l'hypothèse où la falsification était objectivement décelable242.

Enfin, la jurisprudence suisse n'a pas non plus approfondi le sujet, se contentant d'indiquer que l'engagement de la banque est subordonné à la présentation par le bénéficiaire de "documents conformes aux conditions du crédit"243, ou de "titres prévus dans l'accréditif' ou "conformes aux désigna-tions de l'accréditif'244, ou encore-en paraphrasant les RUU de 1951-de

239 CHAMBRE DE COMMERCE INTERNATIONALE (1993a), p. 39: "[ ... ]. NCs [ICC's National Committees] commented on what is meant by the expression "appear on their face''.

Such a statement means that the decision as to whether the documents do or do not comply with the terms and conditions of the Credit and are consistent with one or another is based exclusively upon the banker's examination of the document, and not upon someone else's understanding. In other words, there is a method for examination of documents under the Documentary Credit which is peculiar to bankers. This method attempts to find whether certain statements, terms and conditions appear on the docu-ment. [ ... ]".

240 Cf. supra chapitre IX, 2. à 4.

241 Cf. pour tous VON WESTPHALEN ( 1987), pp. 240-241; ZAHNIEBERDINGIEHRLICH (1986), no. 2/216.

242 KRAuss (1990), pp. 86-87. Dans le même sens, CANARIS (1988), no. 964.

243 Ainsi p. ex. l'ATF 100 II 145, 150 consid. 4 a= JT 1975 I 326, 331 (le texte allemand parle d'"ordnungsgemiisse Dokumente").

244 ATF 114 II 45, 49 consid. 4 b = JT 1988 I 383 = SJ 1988 385, 390.