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PRÉPONDÉRANCE DE LA RÉGLEMENTATION SUBSTANTIELLE DANS LES TENTATIVES DE

COORDINATION

Si les pays adoptant des législations innovantes en matière de statut personnel peuvent, en raison des divergences qui en résultent, exacerber les conflits de lois, ils ont également la possibilité d’adopter des règles ou des mécanismes ayant comme objectif la coordination avec d’autres ordres juridiques. Dans les ordres juridiques de tradition romano-germanique, la présence d’un élément d’extranéité constitue l’indice de ce besoin de coordination. C’est la règle de conflit qui dans ces ordres juridiques est conçue comme le moyen de coordination par excellence. Celle-ci est selon une conception censée désigner l’ordre juridique le plus étroitement lié à la question de droit en cause214. Il existe

toutefois d’autres moyens de coordination comme la délimitation du champ d’application de la législation substantielle.

En matière de l’assistance médicale à la procréation, la règle de conflit intervient rarement au moment de l’accès à la technique en cause ou de la création du lien de filiation. La plupart des législations examinées ci-après, qui prennent en considération dès la formulation de la réglementation substantielle le phénomène du déplacement transfrontalier des couples à des fins procréatives 215, essaient de réaliser cette

coordination, soit en faisant dépendre l’accès au processus d’une condition spatiale, soit en le limitant à leurs nationaux. Des démarches de délimitation de l’accès de ce type ont eu lieu surtout pour la gestation pour autrui et, dans une moindre mesure, pour d’autres procédés de procréation médicalement assistée. Par ailleurs, dans un nombre considérable d’ordres juridiques l’accès aux procédés d’assistance médicale à la procréation entraîne, même en présence d’éléments d’extranéité, l’application du droit du

214 LAGARDE Paul, ι Le principe de proximité en droit international privé κ, RCADI 1986, t. 196. 215 Pour un aperçu récent du phénomène v. SHENFIELD F., de MOUZON J., PENNINGS G., FERRARETTI

A.P., NYBOE ANDERSEN A., de WERT G., et GOOSSENS V., the ESHRE Taskforce on Cross Border Reproductive Care, « Cross border reproductive care in six European countries », Human Reproduction, vol. 25, No.6, 2010, pp. 1361–1368.

106 for non seulement pour ce qui concerne les conditions d’accès mais aussi pour ce qui concerne la réglementation de la filiation. Il ressort donc de cet examen que la construction des nouvelles règles de conflit en matière de filiation n’a pas été une priorité pour le législateur national.

Seront présentés ci-après les ordres juridiques ayant adopté des dispositions de délimitation du champ d’application de leur législation matérielle comme ceux où l’internationalité de la situation ne provoque pas d’interrogation et n’affecte finalement pas le traitement des problèmes de droit qui se posent. Ces derniers procèdent automatiquement à l’application du droit du for. En contrepoint, nous ne manquerons pas de relever l’existence d’un nombre restreint d’ordres juridiques ayant réservé une place aux règles de conflit au moment de la création des liens de filiation tissés suite à une procréation médicalement assistée.

Nous porterons plus précisément notre attention sur les législations ayant ouvert la voie aux procédés controversés, tels la gestation pour autrui, la procréation médicalement assistée aux couples de même sexe accompagnée d’une consécration d’un double lien de filiation monosexué, la procréation médicalement assistée post mortem. Le même questionnement ne peut pas se poser à l’égard d’une législation ne faisant pas de place à ces processus. En analysant les choix des législations novatrices nous serons à même d’enrichir notre compréhension relative à la place des mécanismes du droit international privé au moment de l’accès à une technique d’assistance à la procréation et au moment de l’établissement du lien de filiation. De la sorte nous démontrerons aussi les conditions dans lesquelles des individus peuvent avoir accès à un traitement reproductif transfrontalier tout en bénéficiant d’une reconnaissance juridique des liens qui seront créés avec l’enfant né.

Nous apprécierons ensuite le caractère, l’effet utile et l’opportunité de l’adoption des dispositions de délimitation du champ d’application d’une législation et des règles de conflit. Nous apprécierons également le choix de certains pays de ne pas différencier leurs solutions en présence des éléments d’extranéité (SECTION 2). Les règles de délimitation que l’on propose d’examiner dans ce contexte ne constituent pas l’outil exclusif de droit international privé. Ces règles sont souvent adoptées par un système de droit international privé incluant déjà des règles de conflit. C’est la raison pour laquelle nous examinerons en outre si, et comment celles-ci, s’articulent avec les règles de conflit existantes ou plus généralement avec le système de droit international privé du pays qui les édicte.

107 Pour apprécier ces tentatives de coordination nous étudierons également comment l’accès à d’autres institutions du droit de la famille a été délimité spatialement et quelle place a été réservée à la règle de conflit. ν cette fin, nous prendrons en considération des conditions de délimitation du champ d’application analogues existantes dans d’autres domaines du droit de la famille et leur coexistence avec le système des règles de conflit. Le parallélisme avec d’autres institutions du droit de la famille a permis l’amélioration de nos connaissances concernant les tendances du droit international privé lorsqu’un ordre juridique s’ouvre à une institution novatrice. Il pourrait être suggéré qu’en droit de la famille il existe des raisons militant en faveur de ce que les législations innovantes définissent avec retenue et circonspection leur champ d’application potentielle. Cette ligne directrice est sujette toutefois à certaines réserves. Cette retenue dans la réglementation de l’accès à des institutions innovantes ne peut qu’être considérée comme une consigne de la technique de légiférer et elle ne peut pas être rattachée à une obligation juridique même lorsque ce questionnement se pose au sein d’une communauté d’États comme l’Union européenne.

Nous présenterons, dans un premier temps, les moyens de coordination empruntés le plus souvent par les législateurs nationaux (SECTION 1) pour traiter, dans un second temps, l’opportunité de ces voies différentes (SECTION 2).

SECTION 1