• Aucun résultat trouvé

§ 1 Les conditions divergentes d’accès à la gestation pour autru

A. LES EFFETS DANS UN MODÈLE LIBÉRAL

Le paysage juridique aux États-Unis est ambigu. Le fait que, même dans des juridictions interdisant la gestation pour autrui, les parents d’intention ont des chances de se voir attribués une ordonnance de parenté témoigne cette ambiguïté187. Nous examinerons ci-

après le lien de filiation qui peut être établi suite à une gestation pour autrui ainsi que les bases juridiques invoquées à l’appui de la filiation des enfants nés. Nous débuterons cet aperçu général des États des États-Unis n’ayant pas des dispositions explicites relatives à la filiation suite à une gestation pour autrui. Dans ces États, ce sont les dispositions du droit de la filiation antérieures à l’avènement de l’assistance médicale à la procréation qui servent d’appui pour l’établissement de la filiation.

Le fondement juridique sur lequel repose la création du lien de filiation varie selon que les forces génétiques des parents d’intention ont été, ou non, utilisés pour concevoir l’enfant. Ainsi, lorsque, par exemple, une insémination des ovules de la mère porteuse avec le sperme du père d’intention a eu lieu, l’existence du lien génétique permet d’invoquer des dispositions relatives à la paternité, conçues avant l’avènement de l’assistance médicale à la procréation, pour créer la filiation avec le père d’intention. Dans ce cas, l’épouse ou la compagne du père génétique doit, pour sa part, demander l’adoption de l’enfant pour créer un lien de filiation. En l’absence de lien génétique entre l’enfant et le père d’intention, la voie de l’adoption est la seule alternative disponible aux parents d’intention. Cette voie est celle empruntée dans les cas de gestation pour autrui traditionnelle. Par ailleurs, la gestation pour autrui traditionnelle implique beaucoup d’incertitudes quant aux liens de filiation, puisque la mère porteuse a, dans la plupart des

187 La Cour suprême de l’État de New York dans l’affaire Arredondo c. Nodelman [622 N.Y.S.2d 181 (Sup.

Ct. 1994)] en appel a décidé de reconnaître la mère intentionnelle, génétiquement liée à l’enfant, comme sa mère légale malgré les stipulations contraires de la loi. Le tribunal s’est prononcé plus en termes d’équité qu’en s’appuyant sur une stricte analyse du droit positif. Il paraît que cette analyse a été facilitée par le fait que ni la ville de New York, ni la mère porteuse n’ont contesté la requête de la mère intentionnelle. V. aussi Andres A. c. Judith N., 591 N.Y.S.2d 946 (N.Y. Fam. Ct. 1992) ; SNYDER H. Steven, BYRN Mary Patricia, ι The Use of Prebirth Parentage Orders in Surrogacy Proceedings κ, Fam. L.Q., 2005-2006, pp. 633-662 et spéc. pp. 657-658; SNYDER Steven, ι United States κ, in Paul BEAUMONT, op.cit., p. 391.

95 cas le droit de renoncer à sa participation au projet parental et garder l’enfant188. En

revanche, lorsque la gestation n’implique pas l’apport génétique de la mère porteuse, les fondements sur lesquels elle peut reposer pour revendiquer une filiation avec l’enfant né, sont plus ténus. Toutefois, même si la gestation s’effectue avec les ovules d’une tierce donneuse, la mère porteuse est présumée mère en raison de l’accouchement. La mère d’intention peut toutefois demander l’adoption, ses modalités dépendant du lien biologique du père d’intention avec l’enfant né189. Par contre, lorsque l’enfant est conçu

avec le matériel génétique des deux membres du couple des parents d’intention, ceux-ci ont, grâce au lien génétique, une base juridique solide pour parvenir à établir leur filiation. Ainsi, lorsque toutes les parties prenantes sont d’accord sur la question de la filiation, les parents d’intention sont reconnus comme les seuls parents en droit. Or, même en cas de désaccord entre eux, les tribunaux les reconnaissent, le plus souvent, en tant que parents, soit grâce à leur lien génétique, soit en se fondant sur l’intention de fonder une famille, sans laquelle le projet parental n’aurait jamais été entamé190. Toutefois, il a été fait

remarquer, à juste titre, que l’établissement de la filiation après la naissance de l’enfant est source d’incertitude. C’est pour cette raison que des procédures d’établissement de la filiation avant la naissance de l’enfant, appelées communément prebirth parentage orders, sont souvent utilisées191. Cette voie procédurale, qui n’a pas été conçue expressément

pour la gestation pour autrui, n’est pas pour autant obligatoire. Le parental order est également la voie suivie en Californie.

Le cadre juridique californien en matière de gestation pour autrui est parmi les plus permissifs192. Dans cet État, la question de la parenté a été résolue par l’apport

progressif de la jurisprudence et notamment de deux affaires, à savoir l’affaire Johnson c.

188 SNYDER H. Steven, BYRN Mary Patricia, ι The Use of Prebirth Parentage Orders in Surrogacy

Proceedings κ, Fam. L.Q., 2005-2006, pp. 633-662 et spéc. p. 639.

189 SNYDER H. Steven, BYRN Mary Patricia, ι The Use of Prebirth Parentageλκ, op.cit., pp. 640-641. 190 SNYDER H. Steven, BYRN Mary Patricia, ι The Use of Prebirth Parentageλκ, op.cit., noteλ, pp. 641-

642; Smith c. Brown, 718 N.E.2d 844 (Mass. 1999); Belsito c. Clark, 644 N.E. 2d 760 (Ohio Ct. C.P. 1994); Johnson c. Calvert, op.cit. , infra.

191 SNYDER H. Steven, BYRN Mary Patricia, op.cit., noteλ, pp.

192 Contrairement à d’autres États l’État d’Illinois a légiféré en 2004 en permettant la gestation pour autrui

en prévoyant explicitement une indemnisation (750 Ill Comp. Stat. ΕΕ 47/1-47/75 (2004). Le processus instauré ne nécessite aucune intervention étatique. Les parents intentionnels sont censés d’être les parents légaux de l’enfant dès sa naissance à condition que le contrat conclu par les parties remplisse les conditions requises par la loi (750 Ill Comp. Stat. ΕΕ 47/25). Le couple des parents d’intention établit un lien de filiation avec l’enfant si les avocats qui représentent eux et la mère porteuse certifient que les parties contractantes ont eu l’intention de satisfaire les conditions prévues par la section 25 de la loi d’Illinois à l’égard de l’enfant. L’avantage de cette procédure qui permet l’établissement d’avance la filiation consiste en ce qu’il n’implique pas le coût financier et le temps requis que des procédures analogues dans d’autres États occasionnent. D’ailleurs, l’État d’Illinois fait de l’intention le critère déterminant pour l’établissement de la filiation dans le contexte d’une gestation pour autrui. Au final, ce cadre juridique facilite uniquement l’établissement des actes de naissance pour des gestations pour autrui conformes aux restrictions posées par la loi. : (SNYDER Steven, BYRN Mary Patricia, op. cit., noteλ, pp. 654-655).

96 Calvert193 et l’affaire Buzzanca c. Buzzanca194. Dans l’affaire Johnson c. Calvert les parents

d’intention étaient tous les deux génétiquement liés avec l’enfant accouché par la mère porteuse. Le tribunal a reconnu, en ce qui concerne la question de la filiation maternelle, que les deux femmes, à savoir la mère porteuse et la mère génétique, avaient toutes les deux des titres juridiques à valeur égale pour établir le lien juridique de la filiation. Devant l’impasse, les juges ont fait prévaloir comme critère pour la détermination de la mère légale l’intention du couple des parents d’intention, paramètre privilégiant l’établissement de la filiation avec la mère d’intention195. Ce critère a été étendu par la suite dans l’affaire

Buzzanca. Cette jurisprudence a cristallisé la pratique libérale existante en Californie. Il faut toutefois éviter de conclure que la détermination des liens de parenté, suite à une gestation pour autrui, est entièrement laissée à la libre disposition des parties. La teneur des stipulations incluses dans une convention portant sur une gestation pour autrui et les conditions dans lesquelles elle est effectuée sont déterminantes pour la résolution de la question de la parenté, comme en atteste la décision Moschetta196. En l’espèce, la mère

intentionnelle n’ayant pas de lien génétique lui permettant d’établir sa filiation sur la base des présomptions de la législation californienne, seule l’adoption était possible pour elle. Pour autant, le contrat de gestation pour autrui signé, laissait présumer que le lien de filiation aurait pu être créé grâce à une ordonnance parentale. La différence de moyen nécessaire pour la construction du lien de filiation emporte des conséquences, étant donné que dans des cas où seule l’adoption est possible, celle-ci ne peut avoir lieu qu’après la naissance de l’enfant, tandis que lorsqu’ un lien génétique avec le couple d’accueil existe, une ordonnance parentale avant la naissance est a priori envisageable. Enfin, le fait que les liens de filiation tissés suite à une gestation pour autrui ne dépendent pas de manière absolue de la volonté des individus, est démontré par la dernière modification du droit californien, qui encadre de manière précise ce processus.

Ainsi, la section 7962 (c) C. fam. Cal. apporte des précisions quant à la procédure de l’ordonnance parentale, laquelle peut aussi bien être initiée avant qu’après la naissance. Ladite disposition prévoit que les parties dans une convention de gestation pour autrui certifient que l’accord a eu lieu en conformité avec les conditions requises par la loi. Le contrat soumis aux juges doit inclure l’expression claire de la volonté des parents

193Johnson v. Calvert, 5 Cal 4th 84, 19 Cal Rptr 2d 494, 851, P.2d 776 (cert. denied 510 US 874, 114 S Ct 206,

126 L Ed 2d 163) (Cal. 1993).

194 Buzzanca v. Buzzanca, 61 Cal App 4th 1410, 72 Cal Rptr 2d 280 (Cal Ct App 1998) ; v. SNYDER Steven,

ι United States κ, in Paul BEAUMONT, Katarina TRIMMINGS, op.cit., p. 389.

195 SNYDER H. Steven, BYRN Mary Patricia, ι The Use of Prebirth Parentage Ordersλ κ, op.cit., p. 644. 196 In re Marriage of Moschetta, 30 Cal Rptr. 2d 893 (Ct. App. 1994).

97 d’intention de devenir les parents en droit de l’enfant qui sera né, et celle de la gestatrice, de ne pas être responsable juridiquement de cet enfant. Selon la section 7962 (f) (2) C. fam. Cal., l’ordonnance parentale rendue établit le lien de parenté avec les parents d’intention, et met fin aux droits de parenté de la gestatrice. Cette procédure est obligatoire afin que la gestatrice ne soit plus considérée en tant que parent, et pour qu’un certificat de naissance soit établi conformément à l’ordonnance rendue. L’ordonnance parentale sera attribuée même si, parfois, certaines conditions ne sont pas remplies. Il faudra dans ce dernier cas que l’avocat du couple prouve que l’essentiel des conditions requises par la loi sont réunies. Tel peut être le cas lorsque le contrat n’a pas été pas signé devant un notaire. Enfin, l’ordonnance relative à la parenté est définitive. En théorie, une telle décision peut dans des circonstances exceptionnelles, faire l’objet d’un recours comme lorsqu’une erreur ou une fraude a eu lieu. Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, aucun recours de ce type n’a été exercé sur un tel fondement197

.