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Nous avons étudié la manière par laquelle des législations permissives délimitent le champ d’application de leurs dispositions concernant la gestation pour autrui et d’autres techniques de procréation médicalement assistée. Les efforts de délimitation conduisent en plusieurs occasions à une forme d’autolimitation de la législation du for. L’effet positif de cette autolimitation tient à ce qu’il contribue dans une certaine mesure à une coordination indirecte des ordres juridiques par la réduction de la survenance de

fonctions essentielles de l’Etat, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale…κ.

359 JÄNTERÄ-JAREBORG Maarit, ι Parenthood for Same-Sex Couples: Challenges of Private

International Law from a Scandinavian Perspective κ, in J. Erauw, P. Volken and V. Tomljenovic (sous la dir. de), Liber Memorialis Petar Šarčević Universalism, Tradition and the individual, Munich, Selier European Law Publishers, 2006, pp. 75 et seq., spéc. p. 90, où elle argumente contre la limitation de la parenté commune des couples des lesbiennes ayant eu recours à une procréation médicalement assistée dans des affaires confinées en Suède. Selon l’auteur adopter des telles limites reviendrait à accepter que les développements en droit soient dictés par les États adoptant des positions plus restrictives.

159 situations boiteuses. Cette délimitation spatiale de l’accès à la procréation médicalement assistée est opportune notamment en matière de gestation pour autrui transfrontalière. Il convient toutefois d’observer qu’une telle autolimitation n’est choisie que par une minorité des pays. Et même lorsque celle-ci a lieu, elle n’exclue pas toujours le recours aux techniques d’assistance médicale pour les personnes venant d’ordres juridiques aux positions restrictives. D’ailleurs, il arrive aussi qu’un législateur qui autorise l’accès aux nouveaux processus d’assistance médicale à la procréation, assure un champ extraterritorial aux effets de la réglementation substantielle, s’agissant des techniques effectuées en dehors des frontières du pays. C’est le cas du législateur anglais qui prend en considération, dès la construction des certaines règles substantielles, l’internationalité de la situation. En outre, on constate une application systématique du droit du for non seulement au sein des pays de common law mais aussi au sein des pays de tradition romano-germanique. L’application du droit du for au Royaume-Uni permet au juge, dans les cas de la gestation pour autrui, de prendre en considération dans ses solutions la législation étrangère ayant un lien avec le rapport qui est en cause. Au soutien de l’application du droit du for est souvent invoqué le caractère innovant de la législation promulguée. Les approches décrites ne permettent pas de remédier à tous les problèmes susceptibles de surgir.

Cependant, il est constaté que la règle de conflit est, dans une large mesure, absente au moment de l’accès aux procédés et de la création du lien de filiation qui en résulte. ν l’exception des Pays-Bas, la méthode conflictuelle n’intervient pas au moment de l’accès aux procédés ou de l’établissement du lien de filiation. La majorité des pays ayant une législation libérale ne conditionne pas l’accès à un procédé d’assistance médicale à la procréation à la règle de conflit. En outre, le rôle de la règle de conflit reste incertain et confus au sein des ordres juridiques où son intervention est théoriquement concevable, comme c’est le cas en Grèce. Cette observation peut être rapprochée à ce qui a été qualifié d’éclipse de la bilatéralité, constatée s’agissant de l’accès à d’autres institutions du droit familial. Dans un nombre de pays considérable l’accès à l’adoption, au partenariat civil des couples de personnes de même sexe, ou au mariage, est beaucoup plus aisé qu’on aurait pu le penser, même en présence d’un élément d’extranéité. Le rôle de la règle de conflit rétrécit et les éléments d’extranéité existants ne mettent pas en question l’application du droit du for. Le fait que l’accès aux institutions du droit de la famille soit étayé par la protection des droits de l’homme fait que la discontinuité des rapports de droit privé passe au second plan des considérations des États au moment où

160 ils définissent le champ d’application de leurs législations ou lorsqu’ils doivent décider des termes de l’intervention d’une règle de conflit. Le système du droit de l’Union européenne pousse également dans cette direction, en particulier pour les rapports privés noués entre personnes ayant un lien avec un ou plusieurs États membres. Ce recul de la règle de conflit, l’application systématique du droit du for, et l’influence des droits de l’Homme attestent la prépondérance de la réglementation substantielle dans les tentatives de coordination au moment de l’accès à l’assistance médicale à la procréation et de la création d’un lien de filiation.

Ces données prouvent, en conséquence, un changement des principes qui régissent les démarches de coordination assumées par le droit international privé au moment de l’accès à une institution du droit de la famille. La délimitation par le biais des règles de conflit ne constitue pas une pratique incontournable au moment de la création d’une institution du droit de la famille. L’examen des règles prenant en considération le déplacement transfrontalier à des fins procréatives démontre la pluralité des procédés dans la résolution des problèmes de droit international privé. Il atteste donc du pluralisme méthodologique existant en matière de droit international privé d’une part, et du fait que la règle de conflit bilatérale perd en pertinence d’autre part. En même temps, il fait ressortir la nécessité pour le spécialiste de droit international privé de ne pas limiter son regard au système des règles de conflit de lois mais de l’étendre à ces dispositions, en principe de droit matériel qui délimitent elles-mêmes le champ d’application de la solution. Ce pluralisme, souvent perçu comme une source de richesse du droit international privé, est aussi facteur de complexité. Cette complexité est liée à une difficulté de coordination entre les différentes méthodes utilisées pour la réglementation les relations privées internationales.

Les constats qui précèdent ne conduisent néanmoins pas à exclure tout rôle à la règle de conflit. Le besoin de sa prise en considération persiste même au moment de la création du lien de filiation. Cette affirmation peut paraître paradoxale, mais elle ne l’est pas. Nous reviendrons là-dessus ultérieurement360, mais il suffit pour l’instant de dire que

les intérêts propres aux personnes qui s’engagent dans une relation familiale ne sont pas figés au moment de la création de celle-ci, mais peuvent évoluer à un stade ultérieur de la vie familiale. Ainsi, tandis qu’au moment de la constitution du lien familial ces intérêts sont en principe concordants, ils peuvent, à une autre phase, devenir antagonistes. Au moment de la célébration d’un mariage, de l’adoption, de l’accès à la gestation pour

161 autrui, les parties impliquées avancent dans leurs démarches tout en se mettant d’accord au moins quant à l’objectif poursuivi par l’institution en cause. En conséquence, ils font le plus souvent tout ce qu’il est possible pour atteindre le résultat juridique voulu, à savoir créer un lien de famille reconnu juridiquement. Toutefois, lorsqu’un désaccord intervient, celui-ci est de nature à ranimer le débat sur le droit applicable. Il est possible, dans de telles circonstances, que la question du droit applicable, n’ayant pas préoccupé le juge ou l’autorité au moment de la création du lien, fasse pour la première fois son apparition. L’existence des dispositions examinées ci-dessus et l’absence de la règle de conflit au stade de la création du rapport n’excluent pas l’intervention de cette dernière dans des contextes autres que celui de l’accès à une technique d’assistance médicale à la procréation et de l’enregistrement du lien de filiation. Les critères de délimitation et d’application du droit du for ne répondent pas à tous les problèmes de droit international privé pouvant surgir et imposent de réfléchir aux règles de conflit ou plus généralement aux mécanismes d’identification du droit applicable. Il est d’ailleurs nécessaire d’examiner si certains problèmes propres au droit international privé ainsi qu’aux techniques d’assistance médicale à la procréation se posant au stade de l’accès au processus peuvent être résolus par d’autres moyens que la règle de conflit de lois.

TITRE II

RÔLE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ AU STADE