• Aucun résultat trouvé

3 Appréciation de la gestation pour autru

Le procédé de la gestation pour autrui a fait l’objet d’innombrables critiques.206 Il reste

interdit dans la majorité des pays européens. Les arguments soulevés à son encontre sont, entre autres, le danger de commercialisation de l’enfant et du corps des femmes, le risque d’exploitation de la gestatrice, la violation du droit de l’enfant à la connaissance de ses origines. Il lui est en outre reproché de compromettre de manière démesurée l’autonomie de la femme qui décide de porter un enfant pour le compte d’autrui. Certaines critiques vont jusqu’à faire un parallèle entre la gestation pour autrui et l’esclavage. Il convient, tout d’abord, d’observer que certaines de ces objections font écho à des problèmes et des risques réels. Toutefois, nous pensons que cette pratique, lorsqu’elle est juridiquement encadrée et contrôlée, est juridiquement et moralement acceptable. La pertinence de certains arguments juridiques sera examinée ultérieurement, puisque cet examen doit être mené dans le contexte d’un ordre juridique donné. Nous tenterons de répondre aux arguments qui considèrent cette pratique comme moralement inacceptable207. Il convient

à cette fin de noter que, souvent, la critique contre le processus ne prend pas en considération une série de cas n’impliquant pas la commercialisation du corps humain, comme lorsque celui-ci s’effectue à l’aide de la mère, de la sρur, de la belle-sρur ou d’une amie des parents d’intention. Ensuite, l’argument de la commercialisation du corps n’explique pas en quoi la gestation pour autrui est un service différent d’autres activités rémunérées impliquant l’emploi des forces physiques. Le travail des ouvriers dans des mines, dans des chantiers navals, dans l’industrie nucléaire ou encore le travail des professionnels de l’armée constitue également une mise à disposition du corps humain à des fins économiques. En outre, les activités qui viennent d’être mentionnées ς contrairement à la gestation pour autruiς ont des conséquences directes et dans une certaine mesure inévitables sur la santé des travailleurs et conduisent fréquemment à une espérance de vie réduite208. Cela n’a pas conduit, pour autant, à les interdire. Certains

rétorquent que la gestation pour autrui constitue une vente d’enfant intolérable pour les valeurs de nos sociétés. L’argument ne peut pas être accepté. Le transfert de la

206 Pour une critique très analytique de la gestation pour autrui v. FABRE-MAGNAN Muriel, La gestation

pour autrui. Fictions et réalité, Paris, Fayard, 2013.

207 V. en détail ROKAS Konstantinos, ι National Regulation and Cross-border Surrogacy in European

Union Countries and Possible Solutions for Problematic Situations κ, Yearbook of Pil 2014-2015, pp. 289- 314, spéc. p. 310 et seq.

208 VIDALIS Takis, Surrogacy and Reproductive Tourism, in SYMEONIDOU-KASTANIDOU Elissavet

(sous la dir. de), Assisted Reproduction in Europe: Social, Ethical and Legal Issues, conférence organisée par l’Université Aristote de Thessalonique, 11-13 décembre 2014, Sakkoulas, Thessalonique, 2015, pp. 169-173, spéc. p. 172.

101 responsabilité parentale de l’enfant à la suite d’une gestation pour autrui n’est pas lié à la rémunération versée à la gestatrice, mais au fait que les parents d’intention s’engagent dès le début dans un projet parental impliquant le plus souvent leur matériel génétique. Ceux- ci s’engagent non seulement grâce à l’utilisation de leur matériel génétique, mais aussi psychologiquement et financièrement. De plus, même dans les ordres juridiques les plus libéraux, le transfert de la responsabilité parentale ne dépend pas de la rémunération. Ainsi, dans le cas où les parents d’intention sont dans l’incapacité de rembourser leurs dettes, la gestatrice ne peut pas refuser de leur rendre l’enfant. L’explication réside dans le fait que dans les pays autorisant la gestation pour autrui, le fondement de la création du lien de parenté est l’intention de devenir parents, et non pas la rémunération versée à la gestatrice.

Or l’objection de l’exploitation de la gestatrice mérite également qu’on s’y intéresse. La pratique implique des risques d’exploitation. Toutefois, ces risques sont liés aux conditions de vie existantes dans certains ordres juridiques où le processus est pratiqué. Ainsi, des comportements qui peuvent être considérés comme relevant de l’exploitation existent notamment dans certaines cliniques des pays comme l’Inde ou la Thaïlande, mais il n’existe pas de preuve d’une telle exploitation dans des pays où la pratique est aussi autorisée comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. D’ailleurs, de tels risques existent aussi par rapport à d’autres pratiques comme le don d’organes. Dans certains pays, la vente d’organes est une réalité mais cela n’a pas conduit à l’interdiction du don d’organes entre membres de la même famille dans un grand nombre des sociétés européennes. En ce qui concerne l’accès aux origines, il constitue aussi un argument contre cette pratique. Il n’est pas toutefois à lui seul suffisant pour conduire à une interdiction absolue, puisqu’il est possible de satisfaire l’exercice de ce droit. On reproche aussi à la gestation pour autrui qu’elle promeut l’inégalité entre hommes et femmes. Debra Satz soutient que la gestation pour autrui reproduit les stéréotypes sur les rôles des femmes, augmente le contrôle sur le corps des femmes et transmet une image d’elles assimilable à des machines à bébés209. Il

faut à cet égard noter que les clauses incluses dans les contrats de gestation pour autrui limitant l’autonomie des femmes ne sont pas valables. En outre, la possibilité pour une femme de devenir gestatrice lui permet de contribuer au projet parental d’un couple de

209 V. en ce sens SATZ Debra, Why Some Things Should not Be for Sale, The Moral Limits of Markets, Oxford

University Press, 2012, pp. 117, 127-133 ; par rapport à cet argument v. aussi : TOBIN John, ι Prohibit or Permit: What is the (Human) Rights Response to the Practice of International Commercial Surrogacy?, I.C.L.Q. 2014, pp. 317-352, spec. pp. 346-347.

102 manière beaucoup plus significative qu’un homme. Des recherches conduites relativement aux conditions qu’une gestation pour autrui est effectuée permettent d’ailleurs de briser les clichés d’exploitation féminine210. Il faut aussi ajouter que la

gestation et l’accouchement n’impliquent pas le même degré de danger pour toutes les femmes et que certaines mènent des grossesses dans des conditions beaucoup plus faciles que d’autres femmes. Pour ces femmes qui ont une telle ι capacité κ, participer à une gestation pour autrui et aider un couple ayant un problème de fertilité à avoir un enfant peut être particulièrement gratifiant. Le fait que ce processus implique une indemnisation de nature financière n’exclut pas que d’autres motivations animent aussi la décision des femmes devenant gestatrices211. Enfin, pour ce qui concerne les objections relatives aux

limites à l’autonomie personnelle, il ne faut pas oublier l’existence des limites de l’autonomie dans d’autres domaines. Ainsi, des limitations très importantes existent dans les contrats des sportifs de haut niveau. Ces contrats prévoient fréquemment des contrôles très minutieux du régime, des obligations des tests médicaux périodiques, des limitations de la liberté à circuler la veille des compétitions. Des limitations de l’autonomie très sérieuses sont incluses également dans les contrats des professionnels de l’armée, qui ne peuvent pas, par exemple, démissionner à n’importe quel moment212 .