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Déroulement de l’enquête et méthodologie

4.1 La préparation de l’enquête

Chapitre IV

Déroulement de l’enquête et méthodologie

Une enquête implique des objectifs explicites, une méthodologie pertinente, un projet bien organisé ainsi qu’un investissement de temps et d’argent sur le terrain. Le sujet du présent travail est de comprendre l’attractivité, la tendance à intégrer ainsi que la capacité d’intégration de la ville de Yiwu. Pour ce faire, des enquêtes sur le terrain étaient obligatoires. Dans cette optique, j’ai donc effectué des enquêtes quantitatives et qualitatives.

4.1 La préparation de l’enquête

Les enquêtes réalisées dans le cadre de cette thèse s’appuient à la fois sur des questionnaires et des entretiens.

4.1.1 La rédaction du questionnaire

Le questionnaire était très important pour l’efficacité de l’enquête, car les données devaient être majoritairement recueillies à travers les réponses aux questionnaires remplis. L’enjeu était d’obtenir des réponses fidèles à la réalité vécue par les enquêtés, permettant de répondre aux questions sur le processus d’intégration. Cela nécessitait une formulation facile à comprendre, pour que les participants adhèrent plus facilement à l’enquête ; de plus, une participation active aux question-naires ainsi qu’une fiabilité suffisante des réponses étaient nécessaires, c’est-à-dire qu’il fallait que les enquêtés répondent à toutes les questions d’une façon cohérente, honnête et interprétable.

La rédaction du questionnaire a été réfléchie dans l’objectif de limiter l’effort des personnes interviewées, afin de ne pas les lasser. Considérant les différents niveaux d’éducation (relativement bas, comme on le verra au chapitre V) et les différentes cultures d’origine des enquêtés potentiels, les questions ont été présentées de la façon la plus simple possible. Les mots, concepts ou termes techniques ont été évités. Des questions filtres ont été employées dans la rédaction. Ces questions, selon la réponse négative ou positive à la question précédente, renvoient à des blocs différents. Ainsi, l’enquêté n’est pas obligé de lire toutes les questions, surtout celles qui ne le concernent pas. La structuration du questionnaire a également été soignée, afin d’alléger le travail des participants.

Les questions sont divisées en cinq parties, avec un total de 58 questions et quatre tableaux dans lesquels les participants sont invités à cocher la réponse qui leur convient le mieux. Ces questions portent sur les informations personnelles, familiales, professionnelles et sociales ainsi que sur le niveau linguistique. Elles ne sont pas toutes utilisées mais elles ont aidé à notre compréhension sur notre terrain et nos enquêtés. Le début du questionnaire propose des questions catégorielles, simples et accrocheuses, dont les réponses sont associées. Cette façon de procéder permet aux enquêtés de se sentir en confiance. Ces questions portent sur des informations basiques comme l’âge, le genre, la croyance religieuse, l’origine, le niveau d’éducation. La fin de la première partie du questionnaire vise à comprendre comment les commerçants étrangers ont connu la ville de Yiwu, pourquoi ils ont décidé d’y venir afin de connaître leur parcours géographique avant d’arriver.

La deuxième partie se concentre sur leur vie professionnelle. Était-il difficile de trouver du travail lors de leur première arrivée ? Combien de temps a-t-il fallu pour le trouver ? Ont-ils beaucoup changé de travail pendant leur séjour ? Dans quel domaine travaillent-ils principalement ? Le travail est-il déclaré, avec un vrai contrat de travail ? Préfèrent-ils travailler avec des personnes de la même origine voire de la même famille ? Où travaillent-ils ? Ont-ils des collègues chinois ? Reçoivent-ils un salaire qu’ils jugent correct ? Quelle est leur attitude concernant leur avenir profes-sionnel ? Toutes ces questions permettent de dessiner un tableau général de leur vie professionnelle.

La partie suivante concerne leur vie familiale : situation familiale, profession du conjoint, nombre d’enfants, âge des enfants et niveau d’éducation. Ces questions visent à comprendre l’état d’intégration des commerçants étrangers à travers les choix qu’ils ont faits pour les membres de leur famille. Ceux qui viennent et restent à Yiwu avec leur conjoint(e) et ont des enfants sur place montrent une motivation plus forte à s’intégrer dans la société locale. Une femme qui travaille et un enfant qui reçoit son éducation dans la ville laissent supposer une envie d’intégration plus profonde.

La quatrième partie se focalise sur les différents aspects de la vie quotidienne des commerçants étrangers. Le caractère d’une personne joue un rôle important dans son adaptation à un environnement inconnu, mais cela reste un élément très subjectif et difficile à mesurer. Nous avons donc décidé de proposer une seule question sur la façon de juger leur propre caractère. Les questions de cette partie touchent d’abord au logement, un élément important de leur vie. Comment trouvent-ils leur logement ? Quel est type de ce logement ? Vivent-ils seuls ou avec leur famille ou amis ? D’autres aspects sont également importants pour la vie quotidienne, comme la restauration, le transport, le coût de la vie, l’accessibilité des services publics et l’efficacité administrative. La liberté de pratiquer des activités religieuses a un sens particulier dans la vie des commerçants étrangers à Yiwu, en majorité musulmans.

Les questions sur leur vie sociale constituent une partie importante du question-naire. Sont-ils au courant de l’existence des associations étrangères à Yiwu ? Ces dernières leur sont-elles utiles ? La fréquentation des résidents locaux ainsi que de leurs compatriotes influence également leur vie sociale. Les enquêtés peuvent expliquer les obstacles qui les empêchent d’approfondir leurs relations avec les

habi-

tants chinois, si tel est le cas. Quels sont leurs problèmes ? À qui demandent-ils de l’aide dans ces situations ? Les trois dernières questions cherchent à connaître leur impression générale sur la vie à Yiwu, et s’ils lui reconnaissent une attractivité et une facilité d’intégration.

Enfin, le dernier groupe de questions porte sur les capacités linguistiques. Cet aspect a été placé à la fin de l’enquête car ces questions sont plus faciles lorsqu’elles sont groupées dans une colonne. Le changement de forme des questions enlève peut-être un peu de stress, et l’éventuelle lassitude des enquêtés vers la fin du questionnaire. Cette partie vise à connaître le niveau de chinois des commerçants étrangers ainsi que des membres de la famille venus à Yiwu avec eux : le niveau avant d’arriver et le niveau actuel. La façon d’apprendre la langue chinoise est également importante pour savoir si la ville a fait des efforts pour faciliter l’intégration linguistique. Les commerçants sont invités à évaluer l’importance de la langue chinoise dans leur vie quotidienne, professionnelle, sociale et familiale.

Dans ce questionnaire, les questions fermées ont été privilégiées. Bien que les enquêtés ne soient pas libres de répondre à leur manière, le recours aux questions fermées permet un recueil plus efficace des résultats. La perte de précision peut être compensée par des entretiens semi-directifs réalisés en même temps ou séparément. De plus, la facilité de cocher les réponses permet d’augmenter le nombre de participants à l’enquête, ceux-ci n’étant déjà pas faciles à trouver. Une liste de réponses est proposée après la question et la personne interviewée doit en choisir une seule, celle qui correspond le mieux à son cas.

Pour les questions où le participant doit qualifier son attitude, une échelle est proposée. Par exemple, l’enquêté peut exprimer son attitude sur les différents aspects de sa vie à Yiwu à travers différentes options : 1. Très utile. 2. Relativement utile. 3.

Pas très utile. 4. Pas utile du tout. 5. Difficile à dire. Cela facilite le travail des

participants et évite qu’ils n’aient pas envie de prendre le temps de donner un jugement précis. De plus, en combinant ces questions sur l’attitude envers l’objet d’étude avec celles sur les caractéristiques des participants, une analyse plus précise peut être réalisée par le croisement des deux.

Par ailleurs, un court message apparaît avant et après le questionnaire. L’objectif du premier message est de présenter le chercheur ainsi que le projet, accompagné de formules de politesse et d’une garantie de leur anonymat. Le but est de rassurer les enquêtés. Ensuite, une indication est donnée afin que les participants répondent correctement et honnêtement. Enfin, ils sont assurés de la confidentialité de leur identité et des réponses fournies. Le message en fin de questionnaire exprime des remerciements, avant de demander les coordonnées de ceux qui seraient ouverts à d’autres échanges. Les coordonnées de l’enquêteur sont également précisées afin de ne pas manquer l’opportunité d’entretiens potentiels.

Le pré-test est un élément indispensable lors de la rédaction d’un questionnaire. Le but de cette démarche est de vérifier la bonne compréhension des questions, la possibilité d’oublis ainsi que le temps nécessaire pour remplir le questionnaire. Le pré-test a été réalisé avec deux personnes étrangères, mes deux premières connaissances sur le terrain. Il a été utile pour l’amélioration du questionnaire. Par exemple, la grande majorité des

commerçants étrangers ont plusieurs enfants, alors que, en Chine, on voit plus souvent des enfants uniques ; cette différence a été négligée au départ, que modifiée dans le questionnaire final. Un échantillon plus large aurait été préférable mais les contraintes d’un réseau personnel limité au début de la recherche l’ont rendu très difficile à atteindre.

Les questionnaires ont été distribués à tous les commerçants étrangers, sans considérer leurs origines. Pour le remplir, outre la version chinoise, il a été traduit en trois langues : français, anglais (par moi-même) et arabe (par un commerçant syrien du terrain). Les questionnaires français ciblaient principalement des Africains franco-phones ; celui en anglais a été utile pendant les échanges avec les Indiens, une population importante de la ville. Enfin, les questionnaires en arabe ont été proposés afin de faciliter le remplissage du questionnaire pour les commerçants des pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Même s’ils parlent un peu l’anglais, ce n’était pas suffisant pour comprendre le questionnaire.

4.1.2 La grille d’entretien

Pour remplir les questionnaires, des entretiens ont également été réalisés, car ils mettent en valeur les nuances qui existent au sein des catégories analytiques. Ils présentent d’une façon directe et vivante le retour de l’interlocuteur et lui laissent du temps libre pour s’exprimer pleinement.

En combinant ces deux procédés, nous pouvons donc connaître non seulement l’état actuel de la vie des commerçants étrangers à Yiwu, mais également les éléments qui l’influencent. Les entretiens ont été effectués principalement avec des Africains francophones pour des raisons de langue. Leur grand pourcentage dans la population étrangère justifie également ce choix d’échantillon.

Avant d’attaquer le terrain, la grille d’entretien a été finalisée. Les entretiens avaient le même objectif : connaître les informations personnelles et familiales, interroger sur la vie quotidienne, professionnelle et sociale, ainsi que sur l’importance de l’apprentissage de la langue chinoise. Par rapport au questionnaire, le nombre de questions était plus réduit et du temps était laissé à l’interviewé pour s’exprimer, mais l’objectif restait identique. Le chercheur suivait l’enquêté dans ses réflexions et lui posait des questions, si nécessaire.

Les questions posées ont été principalement celles qui suivent, avec de légères modifications selon les retours des participants :

§ D’où venez-vous ?

Cette question simple et directe donne la possibilité à l’enquêté de commencer par ses informations anthropologiques (âge, origine, croyance religieuse). Des questions complémentaires peuvent être proposées ultérieurement si les informations fournies ne sont pas suffisamment complètes ou claires. Ces questions ont pour objectif d’obtenir un portrait général de la personne, et permet de déterminer la façon d’effectuer l’entretien selon le caractère de la personne : si elle est plutôt ouverte et bavarde, la parole lui est laissée et le chercheur prend note ; si elle est plutôt timide ou

réservée, le chercheur doit obtenir sa confiance tout en l’amenant dans la direction de l’enquête. Cela aide également la personne à se sentir plus à l’aise.

§ Comment êtes-vous arrivé à Yiwu ?

Après avoir fait connaissance, on s’intéresse à la chaîne migratoire que l’enquêté a suivie avant d’arriver à Yiwu. Pour répondre à cette question, le participant à l’entretien finit généralement par donner un schéma plutôt clair en présentant ses activités professionnelles dans son pays d’origine, les pays dans lesquels il a séjourné, et sa connaissance de la ville de Yiwu avant son arrivée.

§ Dans quel domaine travaillez-vous actuellement ?

Cette question permet à la personne interviewée de parler de sa vie professionnelle. On s’intéresse ici à son parcours entre le jour de son arrivée et le jour où il s’est installé plus durablement dans un travail. À travers ses réponses, un aperçu est offert sur l’environnement, le contenu, les conditions de son travail, ainsi que d’autres éléments qui influencent sa vie professionnelle. Pendant la conversation, des questions supplémentaires, directives, sont toujours prêtes pour les cas où l’enquêté ne donnerait pas assez d’informations ou ne serait pas assez précis dans son discours. § Vivez-vous avec votre famille à Yiwu ?

La vie familiale représente une part importante de la vie d’une personne en provenance d’un pays étranger. Les participants sont invités à présenter brièvement les personnes de leur famille vivant à Yiwu avec eux : parents, partenaire, enfants ou autres membres de la famille. Des informations sur leur situation sont également demandées. Une famille relativement isolée où les femmes et les enfants restent à la maison et une famille mieux intégrée où les femmes travaillent et les enfants vont à l’école ne possèderont pas la même vision sur la ville ni sur leur niveau d’intégration dans la société.

§ Comment cela se passe-t-il au travail ?

Les commerçants formant la plus grande partie de la population étrangère à Yiwu, leur vie professionnelle est l’élément déterminant dans la qualité de leur séjour dans la ville. S’ils veulent gagner de l’argent, pourquoi Yiwu ? Dans quel domaine travaillent-ils ? Quels avantages de Yiwu les ont attirés ? Travaillent-ils en groupe ou seuls ? Gagnent-ils assez pour vivre ? Quelles impressions ont-ils sur leur travail avec des Chinois ? Rencontrent-ils des problèmes ? Comment résolvent-ils les problèmes en situation de conflit ? Vont-ils rester au même poste dans le futur ? Tout en décryptant leur activité commerciale, les réponses à ces questions nous dévoilent certains attraits ignorés de la ville. Cette partie est surtout importante pour comprendre les causes de l’installation des immigrés.

§ La vie quotidienne à Yiwu est-elle assez pratique pour vous ?

La vie quotidienne concerne tout le monde, comportant des aspects comme la restauration, le logement, le transport, les procédures administratives. Cette partie sert

à comprendre si les immigrés parviennent à s’adapter à Yiwu. Sinon, quels sont les aspects les plus difficiles pour eux ? Y a-t-il des différences d’adaptation entre personnes d’une même origine ? Si oui, d’où vient cette différence ? Sont-elles plutôt intégrées dans le quotidien de la société locale, ou vivent-elles plutôt à part ?

§ Comment est votre vie sociale ?

Pour s’intégrer pleinement dans une société étrangère, avoir un réseau social local est une nécessité. Les enquêtés fréquentent-ils plus les Chinois ou leurs compatriotes ? Par quels moyens se font-ils des amis à Yiwu ? Ont-ils de bons amis chinois ? Vers qui se tournent-ils quand ils rencontrent des problèmes, les amis chinois ou les compatriotes ? Ont-ils une vie sociale à Yiwu ? Comment la caractérisent-ils ? Comment trouvent-ils les interactions sociales dans la société locale ?

§ Parlez-vous le chinois ?

Malgré une population jeune devenue de plus en plus anglophone, il est très difficile de vivre en Chine sans parler le chinois, notamment dans les petites villes comme Yiwu. Il est même parfois difficile d’utiliser le mandarin car la population locale emploie davantage son dialecte. Étant le véhicule principal des commu-nications, la capacité linguistique est-elle importante dans la vie des étrangers à Yiwu ? Sont-ils obligés d’utiliser cette langue dans leur vie quotidienne et sociale ? Les membres de leur famille parlent-ils le chinois ? Cette langue est-elle présente dans leur vie familiale ? Parlaient-ils déjà le chinois avant de venir à Yiwu ? S’ils l’ont appris après leur arrivée, par quel moyen ?

§ Comment trouvez-vous votre vie à Yiwu en général ? Comptez-vous rester ?

Enfin, après avoir obtenu les réponses aux questions préparées, on donne la parole aux participants de l’enquête afin qu’ils s’expriment librement concernant leur vie en général : Comment trouvent-ils la ville (attractive ? ouverte ?) ? Sont-ils contents de leur vie à Yiwu ? Comptent-ils y rester plus longtemps ? Qu’est-ce qui les dérange le plus durant leur séjour ? Cette partie peut être considérée comme une discussion ouverte.

Toutes ces questions ne sont pas forcément posées dans le même ordre. Elles jouent surtout le rôle d’une carte mentale, fixant une direction pour l’enquête. L’objectif est de mettre l’enquêté à l’aise et de le faire parler, sans être journaliste, de sa vie à Yiwu. C’est au chercheur de suivre la réflexion de son interlocuteur et de l’orienter vers les sujets pertinents pour sa recherche.