• Aucun résultat trouvé

Le préjudice préexistant non inclus dans la demande initiale

Section 2 : Les manifestations de l’évolution du préjudice

A. L’absence d’évolution en cas d’existence d’un aléa judiciaire

1. Le préjudice préexistant non inclus dans la demande initiale

101.Distinction entre l’évolution du préjudice et le préjudice préexistant non inclus

dans la demande initiale. – Par un principe bien établi, la Cour de cassation considère que le

« dommage est définitivement fixé au jour où le juge rend sa décision »377. Cette position tend

à responsabiliser les victimes dans leur demande et à préserver une certaine stabilité juridique dans les rapports entre les parties378. Cependant, ne pas autoriser la victime à formuler une demande complémentaire pour obtenir l’indemnisation d’un préjudice qui n’avait pas été inclus dans la demande initiale serait une position contraire au principe de réparation intégrale, mais aussi au principe de l’autorité de la chose jugée édicté à l’article 1355 du Code

377 Cass. Civ. 2ème, 28 mai 1968, n° 66-13.460, Bull. civ. II, n° 157 ; Cass. Crim., 24 mars 1969, n° 68-91.047, Bull. crim. n° 128 ; Cass. Civ 2ème, 31 mai 1972, n° 71-10.753, Bull. civ. II, n° 163, p. 133 ; Cass. Civ. 2ème, 20 déc. 1973, n° 72-13.808, Bull. civ. II, n° 343, p. 279 ; Cass. Civ. 2ème, 7 juil. 1993, n° 91-20.681 et 91-21.474, Bull. civ. II, n° 251, p. 138 ; Cass. Civ. 2ème, 12 oct. 2000, n° 98-20.160, Bull. civ. II, n° 141, p. 100.

93 civil379. La solution apparaîtrait injuste pour la victime. Une réflexion s’impose alors pour savoir si le régime accordé aux aggravations ne pourrait pas être transposé aux demandes ultérieures de réparation d’un préjudice préexistant non inclus dans la demande initiale. En effet, la victime se retrouve confrontée à un préjudice qui n’a fait l’objet d’aucune réparation. Cette hypothèse relève du « champ du futur du dommage »380. Cette situation ne correspond cependant pas à une aggravation au sens littéral car, dans le cadre d’une demande complémentaire d’indemnisation d’un chef de préjudice oublié lors de la demande initiale, le préjudice existait déjà et, surtout, il existait « en l’état ». Il ne devrait donc pas être possible de formuler une demande complémentaire, mais la solution serait trop sévère.

102.Application du critère de nouveauté à la demande. – La Cour de cassation rappelle

régulièrement qu’une indemnisation complémentaire peut intervenir lorsqu’un élément inconnu au moment de la demande initiale se révèle381. En effet, si le préjudice préexistait, mais que la victime n’en avait pas connaissance, l’évidence s’impose : il doit demeurer possible de demander la réparation d’un préjudice ignoré ! Le juge ne peut s’affranchir de cette circonstance. Est-il pour autant possible de considérer cela comme une aggravation ? Une réponse négative pourrait l’emporter puisque le préjudice est demeuré inchangé, la condition de nouveauté nécessaire à la qualification d’aggravation ne peut être considérée comme remplie. Si l’on rencontre ici une cause de réévaluation du préjudice, celle-ci ne saurait être assimilée à une évolution intrinsèque du préjudice. Cependant, la demande d’indemnisation complémentaire ne doit avoir pour seul objectif que d’assurer la réparation d’une aggravation effective des préjudices subis par la victime. Dès lors cette hypothèse pourrait être assimilée à une aggravation situationnelle. C’est ce qui peut justifier que la

379 L’article 1355 du Code civil dispose que « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Cf

infra n° 199 et s.

380 O. GOUT, « Le futur du dommage : aggravation et amélioration », Gaz. Pal. 2011, n° 99, p. 21.

381 Cass. Civ. 2ème, 29 mai 1973, n° 72-10.915, Bull. civ. II, n° 185, p. 147 ; Cass. Civ. 2ème, 15 oct. 1975, n° 74-12.117, Bull. civ. II, n° 261, p. 209 ; Cass. Civ. 2ème, 7 avr. 1976, n° 74-13.811, Bull. civ. II, n° 112, p. 86.

94 découverte tardive du préjudice mérite aussi d’être prise en considération. En procédant à un transfert dans l’application du critère de la nouveauté, celle-ci peut être caractérisé. Certes, ce n’est pas le préjudice lui-même qui est nouveau, mais sa manifestation. Cependant, cette dernière va nécessairement emporter des modifications quant à la situation de la victime. La notion d’aggravation situationnelle est donc applicable. En revanche, plusieurs jurisprudences tendent à démontrer une volonté plus libérale permettant à la victime de mener une nouvelle action avec comme seule condition que le préjudice n’ait pas été inclus dans la demande initiale d’indemnisation382. Le critère de nouveauté, ayant initialement trait au préjudice, englobe désormais l’idée d’une nouveauté de la demande. Cet infléchissement jurisprudentiel permet à la victime d’obtenir une indemnisation complémentaire et, ainsi, de satisfaire le principe de réparation intégrale383. Dès lors qu’un préjudice existait mais n’a pas fait l’objet d’une indemnisation, celui-ci doit être considéré comme nouveau dans la demande, même s’il n’est pas nouveau ni dans son existence ni dans sa manifestation. L’admission d’une indemnisation complémentaire dans cette hypothèse permet de pallier une éventuelle négligence d’une des parties ou de son représentant, mais cette solution permissive ne doit pas, pour autant, être considérée comme une aggravation du préjudice de la victime.

103. Outre l’hypothèse du préjudice préexistant non inclus dans la demande initiale, une seconde hypothèse doit maintenant être envisagée. Elle concerne les conséquences qu’implique le revirement de jurisprudence. Là non plus, il n’est pas question d’une

382 CA Paris, 8 déc. 1949, JCP 1952, II, 6914, note RODIÈRE ; Cass. ass. plén., 9 juin 1978, n° 76-10.591, Bull. ass. plén. n° 3, p. 3 ; Cass. Civ. 2ème, 24 janv. 1979, n° 76-15.019, Bull. civ. II, n° 29, p. 21 ; Cass. Civ. 2ème, 1er déc. 1982, n° 81-13.705, Bull. civ. II, n°153 ; Cass. Soc., 26 mai 1987, n° 84-17.044 ; Cass. Civ. 2ème, 24 janv. 1979, n° 76-15.019, Bull. civ. II, n° 29, p. 21 ; Cass. Civ. 2ème, 6 janv. 1993, n° 91-15.391, Bull. civ. II, n° 6, p. 3 ; Cass. Civ. 2ème, 5 janv. 1994, n° 92-12.185, Bull. civ. II, n° 15, p. 8, RTD Civ. 1994, p. 619, obs. P. JOURDAIN ; Cass. Soc., 27 juin 2002, n° 00-14.146 ; Cass. Civ. 2ème, 19 fév. 2004, n° 02-17.954, RTD Civ. 2005, p. 147, obs. P. JOURDAIN ; Cass. Civ. 2ème, 30 juin 2005, n° 03-19.817 ; Cass. Civ. 2ème, 7 mai 2009, n° 08-12.066 ; Cass. Civ. 2ème, 21 nov. 2013, n° 12-19.000, Gaz. Pal. 2014, n° 56, p. 30, note C. BERNFELD et F. BIBAL ; Cass. Civ. 3ème, 12 janv. 2010, n° 08-20.575.

383 Infléchissement d’ailleurs suivi par le projet de réforme en matière de dommage corporel, V. Projet de réforme de la responsabilité civile, présenté par J. J. Urvoas, garde des sceaux et ministre de la justice, 13 mars 2017, art. 1262,

95 aggravation du préjudice. Par conséquent, la consécration d’un nouveau préjudice suite à un revirement de jurisprudence ne devrait pas remettre en cause la situation antérieurement jugée.