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Les incidences de la barémisation

A. Les dates clés de l’évaluation du préjudice

B. Les méthodes d’évaluation du préjudice

2. Les incidences de la barémisation

188. En droit français, l’idée se développe de plus en plus de recourir à des barèmes d’indemnisation. L’utilisation de tels outils ne va pas encore de soi, notamment dans l’indemnisation des dommages corporels. Quand bien même le dommage corporel n’est pas le

570 Arbitraire qui a pu être décrié, R.SAVATIER, op. cit., n° 613, p. 189.

163 seul domaine où il est possible de recourir aux barèmes572, c’est néanmoins celui où l’usage de barème semble le plus controversé. Malgré l’avantage offert de faciliter l’évaluation des préjudices et de respecter la volonté d’une uniformisation des indemnisations qui se dégage de cette pratique, le recours aux barèmes se voit massivement opposer l’inconvénient de désincarner la réparation, de la rendre stérile à toute adaptation de l’évaluation en fonction de la situation personnelle de chaque victime. Déjà bien enracinée, cette polémique ne fait que s’intensifier lorsque l’intégration des évolutions du préjudice dans l’indemnisation des victimes est envisagée. C’est pourquoi, le recours aux barèmes d’indemnisation est indésirable en droit de la responsabilité civile (a). En revanche, il est possible d’envisager l’utilisation d’un outil moins rigide : le référentiel (b).

a. Le recours indésirable aux barèmes d’indemnisation

189.L’existence d’une pluralité de barèmes. – Il convient tout d’abord de mentionner

qu’il existe deux catégories de barèmes, les barèmes médicaux et les barèmes d’indemnisation573. Les deux ne relèvent pas des mêmes compétences. Le barème médical est le premier barème à laquelle la victime va être confrontée. Il s’agit du barème appliqué par le médecin expert afin de déterminer médicalement l’étendue des séquelles. C’est celui qui,

« étalonné en pourcentage de taux d’incapacité fonctionnelle […] permet de donner une

mesure chiffrée des atteintes à la personne médicalement constatables »574. Le barème d’indemnisation, quant à lui, intervient après. C’est le barème qui, cette fois, va être mis en œuvre par le juge pour convertir le pourcentage du taux d’incapacité déterminé par le médecin expert en valeur monétaire575. Le recours aux barèmes médicaux ne suscite guère de

572 Ils pourraient également être utilisés dans l’indemnisation des préjudices découlant d’un dommage environnemental ou d’un dommage moral pur. En ce sens, CH. COUTANT-LAPALUS, op. cit., n° 365 et 367, p. 322 et 324.

573 Les barèmes de capitalisation sont à exclure ici. Leur utilisation n’intervient pas au stade de l’évaluation du préjudice, mais une fois les modalités de l’indemnisation fixée. Cf infra n° 429.

574Rapport sur l’indemnisation du dommage corporel, sous la direction de Y. Lambert-Faivre, juin 2003, p. 10.

164 désapprobation, sauf à rappeler que pour être efficace il est nécessaire de recourir à un barème unique et non à une multitude de barèmes qui risqueraient de conduire à des appréciations divergentes du taux d’incapacité de la victime et, par conséquent, à ruiner l’effort d’harmonisation576. C’est surtout sur les barèmes d’indemnisation que se concentrent les obstacles. En effet, ce type de barèmes peut se concevoir de trois manières. Il peut être judiciaire, légal ou mathématique. Le barème judiciaire détermine des grilles d’évaluation en fonction des jurisprudences antérieures et suppose une application par analogie aux situations similaires qui pourraient se présenter au juge. Le barème légal suppose que le législateur ait fixé, par avance, les éléments dont le juge devra tenir compte lors de l’évaluation du préjudice. Enfin, le barème mathématique consiste « à fixer un montant de réparation

identique pour tout dommage similaire », tout en tenant compte d’autres éléments comme

l’âge, la situation socioprofessionnelle ou encore le sexe de la victime577. Malgré les approfondissements menés sur les barèmes, ceux-ci reçoivent pourtant un accueil défavorable.

190.Causes explicatives de l’accueil défavorable réservé aux barèmes

d’indemnisation. – La Cour de cassation s’oppose à ce que les juridictions du fond utilisent

des barèmes pour procéder à l’évaluation des préjudices d’une victime578. La doctrine ne semble pas non plus favorable à l’accueil de ces barèmes en droit de la responsabilité

576 Or, pour l’instant, tel n’est pas le cas car plusieurs barèmes médicaux coexistent : Barème du concours médical 2001 élaboré par La société Française de Médecine Légale (SFML) ou Barème d’évaluation médico-légale de l’Association des Médecins Experts en Dommage Corporel (AMEDOC). Au droit commun s’ajoute le barème appliqué pour les accidents du travail : le barème indicatif d’invalidité. À ce propos, M. LE ROY, op. cit., n° 48, p. 45 ; Y. LAMBERT-FAIVRE et S.PORCHY-SIMON, Droit du dommage corporel, 8ème éd., Paris : Dalloz, 2015, n° 122 et s., p. 112 et s.

577 CH. COUTANT-LAPALUS, op. cit., n° 345, p. 305, l’auteur utilise le terme de dommage car elle ne distingue pas entre dommage et préjudice. Soulignons toutefois que c’est plutôt la notion de préjudice, et non celle de dommage, qui devrait être utilisée.

578 V. notamment, Cass. Crim. 3 nov. 1955, n° , D. 1956, 557, note R. SAVATIER ;RTD Civ. 1956, p. 763 obs. P. HEBRAUD et P. RAYNAUD ; Cass. Civ. 2ème, 10 nov. 1965, Bull. civ. II, n° 868 ; Cass. Crim., 4 fév. 1970, D. 1970, p. 333 ; Cass. Civ. 2ème, 12 mai 2010, n° 09-67.789, Gaz. Pal. 2010, n° 222, p. 37, note C. BERNFELD ; Cass. Civ. 2ème, 7 avr. 2011, n° 10-15.918, RCA 2011, n° 7, p. 21-22 ; Cass. Civ. 2ème, 22 nov. 2012, n° 11-25.988, Gaz. Pal. 2013, n° 47, note C. BERNFELD ; RCA 2013, n° 2, p. 21-22.

165 civile579. L’objectif d’un barème d’indemnisation est de faciliter l’évaluation du préjudice et ainsi de favoriser une uniformisation des pratiques judiciaires afin d’éviter les disparités dans le montant de l’évaluation d’un même préjudice d’une juridiction à l’autre580. Pourtant, derrière ces aspirations louables, le recours au barème est « générateur d’une tension entre

l’individualisation et la standardisation des décisions judiciaires de réparation »581. L’usage

de barèmes d’indemnisation est contraire à nos principes juridiques. Outre que cela représenterait un travail titanesque pour déterminer toutes les atteintes qui peuvent découler d’un dommage582, le barème d’indemnisation s’appuie sur la présomption selon laquelle un même dommage cause des préjudices identiques chez toutes les victimes583. Or, la pratique démontre que tel n’est pas le cas. La nécessité de standardisation masque alors l’importance d’une indemnisation spécifique et personnelle. Déjà difficilement acceptable, cette nouvelle conception de l’évaluation du préjudice rendrait toute prise en compte de l’évolution du préjudice de la victime impossible. L’appréciation in concreto ainsi que la liberté accordée au juge du fond pour la mettre en application sont absolument primordiales. Ce sont elles qui permettent une véritable analyse de l’évolution propre à la situation de chaque victime, et les barèmes en constituent une sérieuse limite.

De plus, il existe un lien de dépendance entre le barème d’indemnisation et le barème médical et donc le taux d’incapacité. L’indemnisation étant fonction d’un taux d’incapacité, il

579 En ce sens, Y.LAMBERT-FAIVRE etS.PORCHY SIMON, op. cit., n° 37, p. 27 ; J.- B. PREVOST, « L’homme moyen ou l’étalon vide », Gaz. Pal. 2012, n° 315, p. 7.

580 Notamment s’agissant de l’évaluation des préjudices extrapatrimoniaux. V. Rapport sur l’indemnisation du dommage corporel, sous la direction de Y. Lambert-Faivre, juin 2003, p. 296 ; S. PORCHY-SIMON, « L’utilisation des barèmes en droit du dommage corporel au regard des principes fondamentaux du droit de la responsabilité civile », in Le droit mis en barèmes, Paris : Dalloz, 2014, p. 201 et s. ; O. GOUT, « L’émergence de nomenclature relatives au dommage corporel », in Le droit mis en barèmes, Paris : Dalloz, 2014, p. 227 et s. ; CH. COUTANT -LAPALUS, op. cit., n° 365 et s. spé. n° 375, p. 320 et s. ; C. COUSIN, « Le débat sur le référentiel indicatif de l’indemnisation du préjudice corporel des cours d’appel à l’heure des bases de données », JCP G. 2017, Doctr. 483.

581 L. CADIET, « Introduction », in Le droit mis en barèmes, Paris : Dalloz, 2014, p. 185 et s.

582 B.STARCK, op. cit., p. 406 ; CH. COUTANT-LAPALUS, op. cit., n° 426, p. 364.

583 S. PORCHY-SIMON, « L’utilisation des barèmes en droit du dommage corporel au regard des principes fondamentaux du droit de la responsabilité civile », op. cit., p. 201 et s. ; F. MARISCAL, G. GONZALEZ, « Les systèmes d’indemnisation des dommages corporels », Gaz. Pal. 2012, n° 315, p. 25.

166 n’y a alors qu’une prise en compte incomplète des évolutions. Avec une indemnisation barémisée, l’évolution du préjudice ne se conçoit qu’à travers les évolutions séquellaires, sans qu’aucune attention ne soit portée aux évolutions situationnelles. Plusieurs fois fustigée, la barémisation de l’indemnisation doit être condamnée. Principalement réclamée par les assureurs584, elle ne servirait en définitive qu’à alléger la tâche des juges585. La mise en application des barèmes dans l’évaluation des préjudices ne serait que le reflet d’une « dérive

gestionnaire »586, de « machinisme indemnitaire » 587 sans plus aucune intervention de la

pensée humaine. Le recours à des barèmes supprimerait l’application d’une appréciation in

concreto588 et, par la même, porterait un coup de grâce au principe de réparation intégrale589,

fondement du droit à réparation. Pire encore, l’utilisation de barèmes dissimule le développement d’un effet pervers. Sous couvert de l’exigence de prévisibilité, les barèmes induisent le risque qu’un dommage soit sciemment causé car le profit réalisé sera supérieur au montant de la condamnation encourue590. Avec une indemnisation systématisée, l’auteur potentiel d’un dommage sait effectivement à quoi il s’expose en causant le dommage, il peut dès lors décider si le jeu en vaut la chandelle. La responsabilité civile joue un rôle dissuasif dans la réalisation de comportements dommageables que la barémisation pourrait lui enlever. Au contraire, la barémisation pourrait devenir incitative. Les objectifs que le recours aux barèmes d’indemnisation entend satisfaire sont tout à fait louables. Cependant, la méthode de

584Rapport sur l’indemnisation du dommage corporel, sous la direction de Y. Lambert-Faivre, juin 2003, p. 31 ; B. MORNET, « Le référentiel indicatif régional d’indemnisation du préjudice corporel », in Le droit mis en barèmes, Paris : Dalloz, 2014, p. 213 et s.

585 PH.LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, 11ème éd., Paris : Dalloz, 2017, n° 2321-61, p. 1076 ; J.- B. PREVOST, « L’évaluation du préjudice en droit du dommage corporel : entre décision et calcul »,

in Le droit mis en barèmes, Paris : Dalloz, 2014, p. 189 et s. L’auteur dénonce que « la tentation […] est forte pour le juge de soulager son jugement par le recours à ces dispositifs étincelant d’objectivité et parés de vertus parfois trompeuses de neutralité techniques ».

586 J.- B. PRÉVOST, art. préc.

587Ibid.

588 Cf supra n° 182.

589 PH.PIERRE et F. LEDUC, Le principe de réparation intégrale en Europe, Bruxelles : Larcier, 2012, p. 55 ; S. PORCHY-SIMON, « L’utilisation des barèmes en droit du dommage corporel au regard des principes fondamentaux du droit de la responsabilité civile », op. cit. ; E. SERVERIN, « Le principe de réparation intégrale des préjudices corporels, au risque des nomenclatures et des barèmes », in Le droit mis en barèmes,

Paris : Dalloz, 2014, p. 245 et s. V. également CH. COUTANT-LAPALUS, op. cit., n° 385, p. 338 et s.

167 la barémisation se révèle décevante. La recherche de solutions alternatives à la mise en place de barèmes d’indemnisation est alors souhaitable.

b. Les propositions alternatives

191.L’important de l’instauration d’un outil moins contraignant. – Au vu des carences

du système de barèmes, d’autres solutions ont été envisagées, notamment une méthode qui permettrait au juge, à titre indicatif et sans aucune forme d’impérativité, d’être assisté dans sa confrontation avec l’évaluation du préjudice. Pour cela deux propositions ont été formulées : l’instauration d’un référentiel indicatif national591 et la mise en place de base de données permettant de consulter l’indemnisation moyenne pour chaque poste de préjudice592. Les propositions en lien avec un référentiel indicatif national ou une base de données offrent au juge un modèle de référence permettant de déterminer ce qui a été ou pourrait être appliqué dans une situation similaire. De par leur caractère indicatif, ces procédés ne nuisent pas à l’appréciation in concreto du juge593. Par conséquent, la victime qui subirait une évolution de son préjudice pourrait saisir de nouveau le juge qui serait en mesure de comparer la situation avec d’autres cas similaires pour apprécier l’indemnisation complémentaire à laquelle elle a droit tout en continuant de lui faire bénéficier de la personnalisation nécessaire jusque dans l’évaluation de l’évolution de son préjudice. En l’absence de contrainte, ces outils allient parfaitement l’appréciation in concreto et l’importance du rôle d’arbitre du juge dans la détermination de ce qui est juste. C’est ce qui les rend valorisables au sein des méthodes d’évaluation du préjudice et a fortiori de son évolution. Reste alors à savoir si l’un de ces mécanismes doit être privilégié.

591 Il existe actuellement un référentiel indicatif régional élaboré sous l’égide de M. le Conseiller B. Mornet et adopté par plusieurs cours d’appel, dont la dernière version date de 2018. À ce propos voir B. MORNET, « Le référentiel indicatif régional d’indemnisation du préjudice corporel », in Le droit mis en barèmes, Paris : Dalloz, 2014, p. 213 et s.

592 Y. LAMBERT-FAIVRE et S.PORCHY-SIMON, Droit du dommage corporel, 8ème éd., Paris : Dalloz, 2015, n° 37, p. 29.

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192.Défauts communs de ces outils – La proposition d’instauration d’un référentiel

indicatif n’est pas vierge de toutes expériences pratiques. Depuis plusieurs années, les cours d’appel utilisent des référentiels indicatifs régionaux594. Faisons remarquer d’ores et déjà qu’il existe actuellement une pluralité de référentiels appliqués par des juridictions différentes. Ces référentiels sont en effet le fruit de différentes pratiques judiciaires et ne suppriment en aucun cas le risque de disparités dans l’évaluation des préjudices de la victime595. Afin d’éviter cet écueil, le projet de réforme de la responsabilité civile proposé en 2017 consacre l’utilisation d’un référentiel indicatif unique dans son article 1271. Mais cette proposition n’enlève rien au défaut que l’on peut invoquer de manière générale à l’égard de l’utilisation de ces outils alternatifs596. Parfois, tenus pour synonymes597, ils se distinguent en réalité du barème d’indemnisation. Ce dernier présente un caractère obligatoire alors que le référentiel n’a qu’un caractère indicatif598. Il en résulte que le barème attribue un montant déterminé et fixe à un taux de déficit donné alors que le référentiel propose seulement « une fourchette

d’évaluation reposant sur des données statistiques»599. Ces différences ne nous semblent pas

concluantes. Concernant le caractère obligatoire, deux auteurs soulignent, à propos des pratiques actuelles en droit espagnol, que même si cet outil n’est pas obligatoire, il est généralement possible de constater que son application est quasi systématiquement demandée600. Sans pour autant affirmer leur synonymie, il faut néanmoins reconnaître que leurs effets sont au final similaires et qu’il n’existe pas véritablement de différence dans la mise en œuvre de ces outils. Sur l’aspect contraignant, la création d’une base de données n’est pas plus convaincante, elle présente les mêmes inconvénients que le référentiel.

594 V. Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation. L’article 26 faisait déjà référence à l’esprit du référentiel et de la base de données.

595 En ce sens, PH.LE TOURNEAU, op. cit., n° 2321-61, p. 1076.

596 J.- B. PREVOST, op. cit., p. 41 et s.

597 S. PORCHY-SIMON, « L’utilisation des barèmes en droit du dommage corporel au regard des principes fondamentaux du droit de la responsabilité civile », op. cit.

598Rapport sur l’indemnisation du dommage corporel, sous la direction de Y. Lambert-Faivre, juin 2003, p. 297.

599 S. PORCHY-SIMON, op. cit.

169 Un second défaut commun peut être trouvé au référentiel et à la base de données. Pour être efficaces, les deux outils nécessitent une mise à jour régulière601. Or, une telle exigence demanderait la mobilisation de moyens humains et financiers considérables. De sorte que l’on peut douter du réalisme de ces propositions. Malgré leur diversité aucune n’est réellement satisfaisante602. Par ailleurs, Monsieur Mornet met en garde. Sur quelles indemnisations ces outils seront basés ? Les indemnisations judiciaires ou transactionnelles ? Il existe une grande différence entre les deux. D’après lui, et nous ne pouvons qu’acquiescer, l’indemnisation transactionnelle ne reflète pas une indemnisation conforme au principe de réparation intégrale. Il déplore que ce type de recours ne serve pour les assurances qu’à profiter de la faiblesse d’une victime ignorante pour faire des économies603.

193.Bilan des propositions alternatives. – Afin d’éviter le sentiment d’injustice pour les

victimes, il est impératif de trouver des solutions pour guider les juges dans leur appréciation des préjudices, notamment s’agissant des préjudices extrapatrimoniaux dont le caractère personnel et non évaluable en argent complique leur évaluation. L’utilisation d’un référentiel indicatif ou d’une base de données présente l’avantage de contribuer à une harmonisation des indemnisations tout en conservant la place que doit occuper le juge pour procéder à une appréciation individualisée de la situation de chaque victime. Peu importe l’outil utilisé, celui-ci doit être unique et rester indicatif. Il faut également avoir à l’esprit que l’efficacelui-cité de tels outils a un prix : ils doivent être mis régulièrement à jour. Ainsi proposés, ils pourraient correspondre à des alternatives acceptables.

194.Conclusion de section. – L’analyse des pratiques juridiques menées dans l’hypothèse

d’une évolution du préjudice manifeste plusieurs paradoxes. Le premier réside dans l’absence

601 S. PORCHY-SIMON, op. cit.. ; C. COUSIN, art. préc.

602 Le projet de réforme de la responsabilité civile de 2017 fait le choix de consacrer un barème médical unique (art. 1270) et un référentiel indicatif d’indemnisation (art. 1271)

http://www.justice.gouv.fr/publication/Projet_de_reforme_de_la_responsabilite_civile_13032017.pdf.

603 B. MORNET, « Le référentiel indicatif d’indemnisation du dommage corporel des cours d’appel » in Des spécificités de l’indemnisation du dommage corporel, Bruxelles : Bruylant, 2017, p. 250.

170 d’uniformisation des solutions. Lors d’une procédure initiale d’indemnisation, le jugement ou la transaction vont pouvoir tenir compte à la fois des aggravations et des atténuations que le préjudice aura pu subir. En revanche, dès lors que le préjudice a déjà bénéficié d’une première indemnisation, une distinction de traitement est constatée selon que la situation de la victime s’aggrave ou s’améliore. Et la tendance se révèle très nettement en faveur d’un accueil des aggravations, mais d’un rejet des diminutions.

À cela s’ajoute une seconde distinction qui doit être opérée entre l’indemnisation judiciaire et l’indemnisation transactionnelle. La position des juges reste inflexible alors que finalement la transaction pourrait se montrer redoutable. Déjà, parce qu’une appréciation stricte des conditions de nullité du contrat restreindrait drastiquement les possibilités d’obtenir une indemnisation complémentaire. Ensuite, parce que c’est un contrat. Même si en apparence elle est aussi plus favorable aux aggravations, l’insertion de clauses de révision demeure admissible. Elle pourrait alors autoriser le responsable à se prévaloir d’une amélioration. L’indemnisation des évolutions du préjudice est alors hétérogène en fonction de la voie d’indemnisation choisie.

Enfin, le dernier paradoxe provient de ce que ces différences de traitements ne se justifient pas au regard des méthodes habituelles d’évaluation du préjudice. Au contraire, la date d’évaluation ainsi que l’appréciation in concreto du préjudice encourage une intégration homogène des évolutions du préjudice dans l’indemnisation de la victime. C’est pourquoi ces méthodes doivent être préservées. Les barèmes et autres alternatives ne garantissent pas toujours l’adaptation exigée par le principe de réparation intégrale.

171

195.Conclusion du chapitre 2. – Malgré son absence de consécration législative ou

constitutionnelle, la reconnaissance du principe de réparation intégrale est pourtant unanime. Une indemnisation sans perte ni profit est une indemnisation juste au regard des conséquences que le dommage a eues pour elle. Cela relève de l’évidence nous semble-t-il que d’admettre que la réparation ne doit pas être source de pertes pour la victime. A l’inverse, une application équilibrée du principe de réparation intégrale doit conduire à ce qu’aucune des parties ne tire profit de cette indemnisation. Il se dégage alors des solutions appliquées en matière d’évolution du préjudice, le sentiment d’un désaveu du principe de réparation intégrale. L’absence d’analogie entre le traitement des aggravations et des améliorations est discordante. Bien que « la réparation intégrale ne demeure qu’un idéal à poursuivre sans

jamais pouvoir être effectivement atteinte »604, il doit être le fil conducteur de l’indemnisation.

C’est son respect qui doit inspirer toute aspiration à une réparation satisfaisante. Dénué de toute commisération à l’égard des victimes, son application justifie une homogénéisation des réponses apportées aux évolutions du préjudice.

604 D. TAPINOS, « Le principe de libre disposition des indemnités », in Réparation du dommage corporel et dette de valeur, Gaz. Pal. 2016, n° 11, p. 66.

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196.Conclusion du titre 1. – L’étude de la caractérisation de l’évolution du préjudice a

mis en évidence que le phénomène est loin d’être anecdotique. Au contraire, le phénomène est