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Les difficultés d’une indemnisation par transaction

Section 2 : Les manifestations de l’évolution du préjudice

B. L’indemnisation par voie de transaction

1. Les difficultés d’une indemnisation par transaction

157.L’ancien régime des transactions. – Dans son ancienne rédaction, l’article 2052 du

Code civil disposait que « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée

en dernier ressort ». L’indemnisation de la victime prononcée par voie de transaction était

insusceptible d’appel. Elle ne pouvait pas faire l’objet d’un réexamen sur le fond, seule la voie du pourvoi en cassation était ouverte. Le résultat de la transaction étant intangible, l’indemnisation, par le biais de ce procédé, supposait alors d’être en mesure de procéder à une évaluation précise du préjudice. En effet, la transaction « apporte [à toutes les parties engagées dans la procédure] une sécurité indispensable à leurs engagements, par la certitude

que ces derniers sont bien destinés à mettre fin aux questions relatives à l’indemnisation »497.

La question se posait pourtant de savoir comment la victime, après avoir transigé, pouvait remettre en cause l’acte dans l’hypothèse d’une évolution de son préjudice.

La jurisprudence s’était emparée de la question et avait procédé à un assouplissement498. Elle précisait que, à moins que la victime n’ait accepté une clause dite de forfait par laquelle elle renonce à formuler toute demande ultérieure même en cas d’apparition d’un nouveau préjudice499 ou que les parties aient entendu transiger sur les conséquences indemnisations versées alors que le jugement correspond à 5% des recours, mais à 45 % des indemnisations versées.

496 De manière non exhaustive, L. 211-9 du Code des assurances s’agissant des accidents de la circulation, L. 422-2 du Code des assurances pour les victimes des actes de terrorisme et autres infractions ou encore L. 1142-14 du Code de la santé publique pour les accidents médicaux.

497 A. GUEGAN-LECUYER, Dommages de masse et responsabilité civile, Paris : Dalloz, 2006, n° 337, p. 397.

498 Cass. Civ. 1ère, 17 janv. 1973, n° 71-10.339, Bull. civ. I, n° 26, p. 24.

499 H. LALOU, op. cit., n° 243, p. 189 ; PH. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, 11ème éd., Paris : Dalloz, 2017, n° 4161.81, p. 2171 ; G.VINEY, P.JOURDAIN, S. CARVAL, Les effets de la responsabilité,

140 globales du dommage, l’autorité de la chose jugée n’emportait un effet extinctif que sur les points précis qui avaient été tranchés500. Dès lors, tous les éléments qui étaient restés « en

dehors du champ de la transaction », c’est-à-dire tous les préjudices qui n’avaient pas fait

l’objet de la transaction, demeuraient indemnisables de manière complémentaire sans que la validité de la transaction ne soit jamais discutée501. Si cette exception n’était pas applicable, il fallait alors raisonner d’après les causes de nullités de la transaction. L’ancien article 2052 du Code civil disposait que la transaction ne pouvait pas être annulée « pour cause d’erreur de

droit ni pour cause de lésion ». D’après l’article 2053 du même Code, les seules causes de

nullité de la transaction étaient l’erreur sur la personne ou bien sur l’objet de la contestation. La seule possibilité pour la victime de voir indemniser l’aggravation de son préjudice était de démontrer l’existence de l’erreur sur l’objet de la contestation. À cet égard, les juges de la Cour de cassation avaient précisé à plusieurs reprises que l’erreur ne concernait que la nature du préjudice et non l’étendue de la lésion502. En définitive, la victime pouvait invoquer la nullité de la transaction uniquement lorsque son erreur portait sur la nature, voire sur l’existence même, des séquelles et non lorsqu’elle portait sur la gravité des lésions503. Une difficulté surgissait. Elle provenait de ce que l’aggravation du préjudice modifie son étendue. Il était alors possible de considérer que cette modification avait trait à la gravité du préjudice et qu’il s’agissait, par conséquent, plus d’une lésion que d’une erreur sur l’objet.

op. cit., n° 244, p. 610 ; Y. CHARTIER, La réparation du préjudice, Paris : Dalloz, 1996, p. 121; J.CORDIER, op. cit., n° 135, p. 148.

500 J.CORDIER, ibid., n° 140, p. 157 ; Y. CHARTIER, La réparation du préjudice dans la responsabilité civile,

Paris : Dalloz, 1983, n° 589, p. 723.

501 Y. CHARTIER, op. cit., n° 589 et s., p. 722 et s.

502 Cass. Civ. 2ème, 12 déc. 1963, Bull. civ. I, n° 824, D. 1964, p. 467, note BOULANGER ; Cass. Civ. 1ère, 10 juin 1968, Bull. civ. I, n° 164 ; Cass. Civ. 3ème, 24 mai 1978, n° 77-10.286, Bull. civ. III, n° 221, p. 168 ; Cass. Civ. 1ère, 24 oct. 1978, n° 77-13.316, Bull. civ. I, n° 320, p. 247 ; Cass. Civ. 1ère, 21 fév. 1979, n° 77-.11.108, Bull. civ. I, n° 72, p. 58 ; Cass. Civ. 3ème, 13 juill. 1993, n° 91-17.659.

503 G.VINEY, P.JOURDAIN, S.CARVAL Traité de droit civil : les effets de la responsabilité civile, 4ème éd., Paris : LGDJ, 2017, n° 463, p. 633 et s. ; PH. LE TOURNEAU, op. cit., n° 4161.61 et 4161.62, p. 2170 et s. ; Y. CHARTIER, La réparation du préjudice dans la responsabilité civile, Paris : Dalloz, 1983, n° 740, p. 878 et s. ;H. LALOU, Traité pratique de la responsabilité civile, 6ème éd., Paris : Dalloz, 1962, n° 245, p. 191 ; J.CORDIER, op. cit., n° 137, p.149.

141 Toutefois, afin de ne pas laisser la victime dans l’impossibilité d’obtenir une indemnisation complémentaire dans l’hypothèse d’une aggravation du préjudice, une distinction avait été proposée entre la variation d’intensité d’un préjudice déjà existant et l’apparition d’un nouveau préjudice. Cette distinction ne convainquait pas. L’évolution du préjudice de la victime concerne dans tous les cas l’étendue de celui-ci. Si le préjudice peut évoluer du fait de l’apparition d’un nouveau préjudice, il le peut aussi du fait de l’augmentation d’intensité d’un préjudice déjà connu. Cette distinction n’offrait qu’une prise en compte partielle des évolutions du préjudice que la victime peut souffrir. Seul le préjudice qui présentait un caractère de nouveauté pouvait être invoqué. Les aggravations de préjudice déjà existants ne le pouvaient pas. L’introduction de cette distinction ne contribuait guère à la clarté des solutions. De plus, il apparaissait parfois difficile de distinguer, avec certitude, entre l’apparition d’un nouveau préjudice et l’aggravation d’un préjudice existant504.

Une autre proposition avait été formulée. Elle consistait à différencier l’hypothèse de la modification du préjudice qui avait commencé à se manifester avant la signature de la transaction, de celle qui s’était manifestée après. Dès lors que la victime savait avant la signature du contrat que le préjudice allait évoluer et qu’elle avait quand même fait le choix d’une indemnisation rapide et simplifiée en signant la transaction, elle ne pouvait plus se prévaloir des évolutions postérieures à la signature. En revanche, l’évolution qui se manifestait après la signature autorisait la victime à remettre en cause la transaction. Cette distinction, bien qu’intéressante, soulevait encore des difficultés. Elle réintroduisait les notions de nouveauté du préjudice et d’aggravation d’un préjudice existant. Le sort des victimes était alors laissé à l’abandon de l’appréciation des juges. À l’époque, la Cour de cassation n’avait, par exemple, pas censuré les juges du fond lorsque ceux-ci avaient qualifié de lésion nouvelle l’augmentation de l’incapacité permanente d’une victime de 15% à 30%505. La transaction n’offrait donc pas les garanties nécessaires à la protection des victimes506. La

504 G. VINEY,P.JOURDAIN et S. CARVAL, op. cit., n° 463, p. 634.

505 Cass. Civ. 1ère, 30 mai 1985, Bull. civ. I, n° 170, p. 154.

142 transaction a récemment fait l’objet de modifications qui invitent à s’interroger pour déterminer si celles-ci apportent des réponses satisfaisantes aux difficultés qui viennent d’être soulignées.

158.La modification de la rédaction de l’article 2052. – Suite à la loi de modernisation

de la justice du XXIe siècle intervenue en 2016, la rédaction de l’article 2052 du Code civil a été modifiée507. Il dispose désormais que « la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la

poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet ». Malgré cette

apparente simplification, l’autorité de la chose jugée est toujours attachée à la transaction avec les conséquences précédemment envisagées. C’est, en revanche, les modifications apportées aux causes de nullité de la transaction qui attirent l’attention. En effet, la réforme de 2016 a emporté la disparition des causes de nullité de la transaction énoncées dans l’ancienne rédaction de l’article 2052. Conformément à l’article 2044 du Code civil, la transaction est un contrat, sa nullité obéit donc aux dispositions de droit commun des contrats508. Si les conséquences de cette formulation restent encore difficiles à cerner, l’abandon du sort de la transaction au droit commun n’augure toutefois rien de bon. Il est d’ores et déjà possible de redouter qu’aucune réponse ne soit explicitement apportée aux difficultés exposées. Pour être une cause de nullité, l’article 1132 du Code civil requiert que l’erreur porte sur les qualités essentielles de la prestation, c’est-à-dire « celles qui ont été expressément ou tacitement

convenues et en considération desquelles les parties ont contracté ». En matière de

responsabilité civile, cela correspond au versement d’une indemnisation destinée à une réparation intégrale des préjudices soufferts par la victime. Cette interprétation permettrait d’invoquer une nullité à la fois en cas d’aggravation, mais aussi dans l’hypothèse d’une amélioration de la situation de la victime. Mais la réalité est tout autre. L’assureur, en tant qu’acteur économique, va bien souvent chercher à restreindre le montant de l’indemnisation à laquelle la victime aurait pu prétendre devant un juge. Et la situation ne sera guère favorable à

507 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

508 PH. LE TOURNEAU, op. cit., n° 4161.42, p. 2170 ;G.VINEY, P.JOURDAIN, et S. CARVAL, op. cit., n° 459, p. 629.

143 la victime. L’article 1133 alinéa 3 réaffirme que l’aléa chasse l’erreur. Ce maintien emporte comme conséquence que l’évolution du préjudice peut être considérée en elle-même comme un aléa. Le recours à cette notion d’aléa rappelle en substance la clause de forfait. Toute indemnisation implique une part d’aléatoire. En témoigne l’article 12 de la loi de 1985509 qui impose à l’assureur de formuler une proposition à la victime dans un délai de huit mois à compter de l’accident et si le préjudice n’est pas consolidé, autrement dit stabilisé, l’assureur a cinq mois pour faire une proposition à la victime à partir de la date de consolidation510. On peut douter que la victime soit réellement en capacité de décider si la proposition d’indemnisation est suffisante en un laps de temps aussi court. Cependant, pour être admis l’aléa doit avoir été accepté et, partant, au moins être connu511, ce qui encore une fois est discutable s’agissant de la victime, quand bien même l’aléa ignoré rend l’erreur admissible512. Cette voie d’indemnisation est d’autant plus critiquable que l’article 1136 du Code civil prévoit que l’erreur sur la valeur causant une appréciation économique inexacte n’est pas une cause de nullité. Il semblerait que l’exception proposée antérieurement selon laquelle l’erreur ne peut pas être invoquée lorsque l’évolution a déjà commencé à se manifester au moment de la signature signe son retour. Lorsque la victime savait que son préjudice allait évoluer, elle n’aurait pas dû accepter une transaction dont le montant n’était pas le reflet de l’étendue de son préjudice. Les implications de cette disposition se renforcent avec l’article 1132 du même Code. Il conserve l’exigence d’une erreur excusable pour obtenir la nullité d’un contrat. En effet, l’erreur correspond à une représentation inexacte de la réalité, soit qu’elle considérerait comme vrai ce qui est faux, soit qu’elle considère comme faux ce qui est vrai513. Par conséquent, si le préjudice évolue de manière inopinée, la victime pourra toujours demander la nullité de la transaction car elle tenait pour vrai quelque chose qui ne l’était pas. En

509 Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.

510 Cette notion sera développée ultérieurement. Cf infra n° 243 et s.

511 G. CHANTEPIE et M. LATINA, Le nouveau droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2ème éd., Paris : Dalloz, 2018, n° 308, p. 263.

512 Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2008, n° 06-10.715, Bull. civ. I, n° 95, JCP G. 2008, I, 10101, note Y.- M. SÉRINET ;

RDC 2008, p. 727, obs. Y.- M. LAITHIER.

144 revanche, si elle savait que le préjudice n’était pas stabilisé, l’erreur ne deviendrait-elle pas inexcusable ? Un seul élément dans la nouvelle rédaction de ces articles permet une réminiscence de la jurisprudence antérieure. L’article 1136 précise qu’une erreur sur la valeur ne doit pas dissimuler une erreur sur les qualités essentielles de la prestation. Par conséquent, si c’est la valeur d’un préjudice déjà indemnisé qui se modifie, la victime ne pourra pas remettre en cause la transaction. En revanche, s’il s’agit d’un préjudice nouveau, la victime pourra obtenir une indemnisation complémentaire.

159. Finalement, la transaction aboutit à un traitement inégalitaire de la situation des victimes en fonction des stipulations contractuelles de la transaction. Nonobstant les difficultés auxquelles une transaction précipitée peut conduire514, son essence contractuelle est en capacité d’offrir la souplesse indispensable pour remplir les objectifs du principe de réparation intégrale. Une solution permettrait de supprimer les difficultés liées à l’évolution du préjudice lorsque l’indemnisation s’opère par le biais d’une transaction : elle consiste en l’insertion de clause de révision dans le contrat initial.