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L’évolution du préjudice après indemnisation

Section 2 : Les manifestations de l’évolution du préjudice

A. L’indemnisation par voie de jugement

2. L’évolution du préjudice après indemnisation

149. L’évolution du préjudice de la victime dans ce cadre-là est souvent envisagée sous l’angle d’une aggravation, rarement sous celui d’une atténuation, ce qui aboutit à une distinction de traitement entre les deux (a), il existe également des situations ambiguës où aggravation et diminution du préjudice se mêlent sans qu’aucune compensation ne puisse être envisagée (b).

a. Distinction de traitement entre aggravation et atténuation du préjudice

150.Existence d’une possibilité d’indemnisation complémentaire en cas

d’aggravation. – L’hypothèse d’une aggravation du préjudice n’appelle que peu de

développements, elle est admise de longue date. Il nous semble surtout opportun de souligner qu’il aurait pu être envisagé que l’aggravation du préjudice puisse faire l’objet d’une demande

474 Cass. Crim. 9 déc. 1937, RTD Civ. 1943, p. 119, note H. et L.MAZEAUD.Par ailleurs, le Conseil d’État adopte la même position, CE Mouret, 17 juill. 1950, D. 1950, 221, note J.- G.

133 complémentaire à condition que cette hypothèse ait été expressément réservée dans le jugement ayant procédé à la liquidation de l’indemnisation initiale. Cette idée n’a pas été retenue. La victime peut toujours demander une indemnisation complémentaire en cas d’aggravation de son préjudice, même si celle-ci n’avait pas été envisagée475. Cette possibilité s’entend de la nécessité impérieuse de procéder à une réparation intégrale des préjudices de la victime. Si ceux-ci ont évolué dans le sens d’une aggravation, il convient de compléter l’indemnisation initiale.

151.Rejet d’une diminution de l’indemnisation dans l’hypothèse d’une amélioration

de la situation de la victime. – Une réciprocité équitable avec la solution inverse admise en

cas d’aggravation du préjudice supposerait une prise en compte des diminutions que le préjudice de la victime pourrait connaître. Dès 1870, un auteur soulignait à propos d’un arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence que « s’il est de principe que la fixation de l’indemnisation n’est pas irrévocable, ne serait-il pas logique que le bénéfice de cette règle pût-être invoqué aussi bien par le débiteur que par le créancier de l’indemnité ? Et alors, si l’estimation de la réparation civile, faite par les juges ou par les parties, se trouve par la suite d’une guérison prématurée, supérieure au préjudice causé, il faudrait accorder à l’auteur de l’accident le

droit de répéter contre la victime une partie de l’indemnité »476. Cette solution a toutefois été

rejetée477. Outre l’application du principe de l’autorité de la chose jugée478, cette solution se justifie par le fait que la considération portée à cet événement positif pour la victime risquerait

475 Cass. Req., 10 déc. 1861, D.P. 1862, I, 123 ; Cass. Req., 19 mai 1868, D.P. 1868, I, 486 ; Cass. Civ. 2ème, 18 nov. 1960, Bull. civ. II, n° 694, p. 475 ; Cass. Civ. 1ème, 14 janv. 1975, n° 73-11.544, Bull. civ. I, n° 19, p. 18 ; Cass. Civ. 2ème, 9 déc. 1999, n° 98-10.416, Bull. civ. II, n° 188, p. 129 ; Cass. ass. plén., 9 juin 1978, Bull. ass. plén. n° 3, p. 3. V. également PH. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité et des contrats, 11ème éd., Paris : Dalloz, 2017, n° 2324.71, p. 1107 ; CH. COUTANT-LAPALUS, op. cit., n° 237, p. 229 et s.

476 CA Aix-en-Provence, 2 avr. 1870, D.P. 1871, II, 241, note non signée. L’hypothèse d’une action fondée sur la répétition de l’indu n’est pas envisageable car elle est conditionnée par l’existence d’un indu. Or, l’indemnisation de la victime ayant été fixée par jugement, celle-ci n’a pas reçu d’indu.

477 Cass. Civ. 7 mars 1911, D.P. 1918, I, 57.

134 de la placer dans une situation d’insécurité juridique479. Il serait intolérable que l’on puisse demander à la victime la restitution d’une part de l’indemnisation qu’elle avait obtenue480. Pourtant, le Professeur Malaurie soulignait à juste titre que la « distinction entre l’aggravation et l’amélioration paraît contraire au bon sens et qu’il est choquant de voir une victime définitivement guérie continuer à profiter d’une rente qui avait pour objet un préjudice

ultérieurement disparu »481. D’ailleurs, contrairement à l’aggravation du préjudice qui ne

nécessite plus l’existence d’une réserve insérée dans le jugement, la jurisprudence a maintenu cette condition pour les cas d’amélioration482. Il en résulte que l’aggravation peut toujours être prise en considération justifiant une indemnisation complémentaire483. En revanche, dans l’hypothèse où surviendrait une amélioration de la situation de la victime, aucune révision à la baisse de l’indemnisation ne serait possible fait l’objet d’un ferme rejet, dès lors que l’hypothèse n’a pas été réservée dans le jugement.

152. Cette solution s’avère pour le moins critiquable. La réduction du préjudice de la victime consiste en une variation de l’intensité d’un préjudice dans un sens favorable et constitue donc l’exact pendant de l’aggravation entendue, non pas comme l’apparition d’un nouveau préjudice, mais comme la variation de l’intensité d’un préjudice déjà existant, cette fois dans un sens défavorable pour la victime. Il n’existe alors aucune logique à ne prendre en considération que les aggravations du préjudice de la victime, sans tenir compte des améliorations. De plus, cette distinction de traitement se fait en faveur de la victime. Elle emporte comme conséquence un enrichissement de la victime qui n’est pas compatible avec le principe de réparation intégrale. L’évolution du préjudice de la victime fait actuellement

479 G.VINEY,P.JOURDAIN,S.CARVAL,Traité de droit civil : les effets de la responsabilité civile, 4ème éd., Paris : LGDJ, 2017,n° 155, p. 217.

480 CH. COUTANT-LAPALUS, op. cit., n° 236, p. 228.

481 PH.MALAURIE,note sous Cass. Civ. 2ème, 12 oct. 1972,D.1974,p. 536.

482 F.TERRE,PH.SIMLER,Y.LEQUETTE etF.CHENEDE, Droit civil : les obligations, 12ème éd., Paris : Dalloz, 2018, n° 1133, p. 1208.

483 Cass. Req., 30 déc. 1946 , JCP G. 1947, II, 5300, D. 1947, 178 ; RGAT 1947, p. 181, note BESSON ; Cass. Civ. 2ème, 7 avril 1976, n° 74-13.811, Bull. civ. II, n° 112, p. 86 ; Cass. Civ. 2ème, 15 oct. 1978, n° 74-12.117 ; Cass. Crim., 9 juill. 1996, n° 95-81.143, Bull. crim. n° 286, p. 880.

135 l’objet d’un traitement très tranché entre ses deux variations, il existe toutefois des hypothèses spécifiques conjuguant à la fois amélioration et aggravation du préjudice et rendant ainsi plus complexe le choix dans la solution qui doit l’emporter.

b. L’absence de compensation entre aggravation et atténuation du préjudice

153.Les variations différentes de préjudices distincts. – La première hypothèse où

l’aggravation et l’atténuation du préjudice s’entremêlent survient lorsque, postérieurement à un premier jugement, la victime connaît des variations de chefs de préjudice distincts comme l’aggravation de son préjudice sexuel, mais la réduction de ses pertes de revenus. S’est alors posée la question de savoir s’il était envisageable de procéder à une compensation entre ces aggravations et améliorations. Cela éviterait à la victime une nouvelle demande formulée devant un juge en procédant de son propre chef à une forme de réaffectation des sommes allouées au titre de la réparation. Une réponse positive avait été envisagée par une Cour d’appel484. Elle a néanmoins été condamnée par la Cour de cassation485, position que la doctrine a validé en considérant la compensation comme « contraire au bon sens »486. En effet, l’intervention d’une compensation est discutable. Bien que non dénuée de toute logique, une certaine contradiction apparaît néanmoins avec la morale. La compensation nie la victime en tant que personne pour la réduire à une simple opération financière. Au surplus, cette opération financière ne serait pas conforme aux traitements individuels actuellement accordés à l’aggravation et à l’amélioration du préjudice par la jurisprudence. Par conséquent, lorsque qu’une victime subit des variations inverses de différents préjudices, il convient de distinguer classiquement entre aggravation et amélioration. Conformément aux solutions retenues, la part du préjudice qui aura diminué ne pourra faire l’objet d’une demande de remboursement de la part du responsable. En revanche, pour la part du préjudice qui se serait aggravée, la

484 CA Bastia, 1979, RTD Civ. 1979, p. 617, note DURRY.

485 Cass. Civ. 2ème, 11 janv. 1995, n° 93-14.021, RCA 1995, n° 94.

136 victime pourra demander une indemnisation complémentaire. Aucune compensation ne pouvant être opérée, les deux situations doivent être traitées distinctement.

154.La question de la prise en charge de l’intervention aboutissant à une amélioration

de la situation de la victime. – Le rapport entre aggravation et amélioration s’emmêle aussi

lorsque la victime procède à une intervention chirurgicale, que le progrès technique n’a rendue possible que postérieurement à l’indemnisation, pour améliorer sa situation. Précisons qu’il s’agit là d’une hypothèse spécifique qui ne fait pas référence à la situation de la victime qui aurait refusé de se soumettre à une intervention chirurgicale487. Il s’agit, au contraire, de la situation dans laquelle la victime était dans l’impossibilité de se soumettre à cette intervention parce qu’elle n’existait pas. C’est le progrès technique qui, par la suite, a offert une solution à la victime pour améliorer sa situation. Pour que le respect du principe de réparation intégrale soit assuré, la victime devrait pouvoir, dans ces circonstances, obtenir une indemnisation complémentaire auprès du responsable. Pourtant la solution à apporter en pareille situation a divisé la jurisprudence488. En faveur de l’admission d’une indemnisation complémentaire, il est possible de faire valoir que, même si l’intervention vise à améliorer la situation, il est supporté par la victime une dépense qui vient, ne serait-ce qu’indirectement, aggraver sa situation. La victime n’aurait normalement pas eu à effectuer cette dépense si le dommage n’avait pas eu lieu. Cette intervention apparaît comme une suite directe du dommage ce qui justifierait que les frais soient mis à la charge du responsable489. Et ce, d’autant plus que l’intervention étant antérieurement impossible du fait de l’état de la technique à l’époque de l’indemnisation, aucune négligence ne peut alors être reprochée à la victime. La logique

487 Cf infra n° 502 et s. Cette hypothèse sera traitée plus spécifiquement dans la partie dédiée à l’instauration d’une obligation de minimisation du préjudice.

488 Rejet de l’indemnisation complémentaire de la victime, Cass. Civ. 2ème, 12 oct. 1972, n° 70-13.459, Bull. civ. II, n° 245, p. 200, Gaz. Pal. 1973, I, 69 note H. M ; JCP G. 1974, II, 17609, note S. BROUSSEAU, D. 1974, p. 536, note PH.MALAURIE. ; Cass. Civ. 2ème, 9 déc. 1999, n° 98-10.416. Contra, Cass. Soc., 14 avril 1976, n° 75-12.364.

137 commanderait, conformément au principe de réparation intégrale, d’accepter une indemnisation complémentaire de la victime afin qu’il ne subsiste pour elle aucune charge.

La jurisprudence n’a pas été de cet avis puisqu’elle précise que le seul élément déterminant qui doit être considéré est le résultat de l’intervention. L’intervention tendant uniquement à l’amélioration de la situation de la victime, par conséquent les frais occasionnés par cette intervention n’ont pas à être supportés par le responsable490. En l’absence d’aggravation de l’état de la victime, la Cour de cassation fait prévaloir l’amélioration consécutive à l’opération. Cette rigueur apparaît néanmoins discutable lorsqu’avant toute indemnisation les moyens techniques existants ne permettaient pas d’améliorer la situation de la victime. La solution est injuste pour la victime, car contraire au principe de réparation intégrale491. Au vu des évolutions jurisprudentielles, l’absence de logique de cette solution ne peut qu’être déplorée. Certes, il n’y a pas d’aggravation de l’état physique de la victime. En revanche, refuser la prise en charge de ce type d’intervention révèle nécessairement une aggravation situationnelle pour la victime qui va devoir supporter les frais d’une intervention qui n’a pas été rendue nécessaire par son fait. Dans l’arrêt qui a donné lieu à cette solution de principe492, l’intervention chirurgicale permettait tout de même à la victime de voir son incapacité permanente chuter significativement (de 80% à 40%). Admettre la possibilité que la victime puisse formuler une demande complémentaire au juge pourrait être avantageuse pour la victime. S’agissant du responsable, le bénéfice serait moins notable. Au vu de la politique indemnitaire actuelle à propos de la diminution des préjudices de la victime, le responsable ne pourrait pas se prévaloir de cette amélioration. Il existerait alors déséquilibre entre le préjudice réellement subi in fine et l’indemnisation versée par le responsable qu’il serait difficile de justifier.

490 Cass. Civ. 2ème, 12 oct. 1972, n° 70-13.459.

491 O. GOUT, « Le futur du dommage : aggravation et amélioration », Gaz. Pal. 2011, n° 99, p. 21.

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155. Les pratiques judiciaires démontrent des applications très divergentes de la prise en compte de l’évolution du préjudice d’après la temporalité. La qualification de dette de valeur permet de tenir compte de toutes les évolutions intervenues entre le jour du dommage et le jour de la fixation de l’indemnisation, permettant ainsi un équilibre dans les rapports entre la victime et le responsable. Cet équilibre n’est que précaire. Après qu’un jugement initial soit intervenu, une distinction de traitement est faite en faveur de la victime, celle-ci peut obtenir une indemnisation complémentaire en cas d’aggravation de son préjudice, mais la victime ne subira aucune réduction de son indemnisation en cas d’amélioration de sa situation. Il en résulte un bilan mitigé par rapport au principe de réparation intégrale qui gouverne l’indemnisation de la victime en droit commun, normalement « sans perte ni profit » pour aucune des parties. L’indemnisation de la victime peut intervenir par voie de jugement, elle peut également intervenir par voie de transaction. Il convient maintenant de rechercher si les évolutions du préjudice sont prises en compte de la même manière.