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La précision du péril imminent pour l’intérêt social dans l’article 160-1 de l’AUDSCGIE

Conclusion du chapitre 1

Section 2. Les insuffisances propres à l’administration provisoire

B. La précision du péril imminent pour l’intérêt social dans l’article 160-1 de l’AUDSCGIE

200. L’appréciation implicite du péril imminent. Le fonctionnement normal de la société rendu impossible comme hypothèse de nomination de l’administrateur provisoire ne constitue pas une condition suffisante pour la protection de l’intérêt social. En rattachant l’administration provisoire au dysfonctionnement de la société, le législateur de l’OHADA n’a pas pris en compte tous les critères traditionnels nécessaires à la mise en œuvre de cette procédure. La condition relative au péril imminent menaçant les intérêts de la société n’est pas expressément contenue dans l’article 169-1 de l’AUDSCGIE. Certains auteurs608 justifient l’abstention du législateur par le fait que l’impossibilité de fonctionnement normal de la société implique en elle-même un péril imminent pour l’intérêt social. Cette idée a d’ailleurs été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mai 1994609. Relevant le lien qui existe entre ces deux hypothèses, la Haute Juridiction avait déclaré que « mais attendu qu’après avoir

exactement relevé qu’une mésentente grave entre associés ne permet la désignation d’un administrateur provisoire que si elle fait obstacle au fonctionnement normal de la société, soit parce qu’elle entraîne la paralysie des organes de direction, soit parce qu’elle met en péril la

607 Cass. com., 8 nov. 2016, n°14-21.481, Bull. Joly Sociétés, 2017, p. 117, note Périn (P.-L.) ; JCP E, 2017, p. 1195, note Lecourt (B.).

608 Cf. Fénéon (A.), Droit des sociétés en Afrique OHADA, op. cit., p. 55, n° 127.

société elle-même, c’est sans méconnaître les conséquences légales de ces conditions que l’arrêt qui ne se borne pas à énoncer que la société était in bonis, retient que ces conditions n’étaient pas réalisées en l’état de la situation de la société Loisirs expansion qui fonctionnait normalement et sans anormalités ou irrégularités démontrées, ce dont il résultait qu’elle n’était pas en péril ». Dans cet arrêt, la Cour confirme l’idée selon laquelle le fonctionnement

de la société rendu impossible implique l’idée de péril imminent pour l’intérêt social. Il semble donc, selon cette Haute cour, que la condition liée au péril imminent ne « se détache pas

toujours »610 de celle relative au fonctionnement normal de la société rendu impossible. 201. La notion de péril imminent. Le constat du péril imminent comme condition de mise en œuvre de l’administration provisoire est d’origine purement prétorienne. Cette condition, si chère aux yeux du juge permet de prendre en considération l’intérêt de la société comme fondement de la désignation de l’administrateur provisoire. En effet, une société est considérée être en situation de péril imminent lorsque les organes sociaux à travers leurs actes, décisions et délibérations sociales recherchent leurs intérêts personnels au détriment de l’intérêt social611. Les juges l’ont rappelé dans un arrêt du 18 juin 2013612 qui rejetait le pourvoi formé par les associés majoritaires et donnait raison aux juges du fond. En l’espèce, les associés majoritaires avaient refusé de convoquer les assemblées générales, de communiquer aux associés minoritaires les documents comptables et les contrats d’assurance devant être souscrits par la société. Saisis par les associés minoritaires sur la question, les juges du fond avaient décidé que l’attitude des associés majoritaires faisait naitre un péril imminent et justifiait la nomination d’un administrateur provisoire. Or, les associés majoritaires, sans nier les faits qui leurs étaient reprochés, soutenaient à l’appui de leur pourvoi que ce refus ne pouvait pas être considéré comme un péril imminent. Le rôle de la Haute Juridiction a été d’apporter des éléments de définition à la notion de péril imminent. Alors, la Cour précisa que, « après avoir

relevé que MM. Y… et Z…manifestent une volonté persistante d’ignorer les droits de M. et Mme X…, bien qu’ils soient associés presque majoritaires, qu’ils ont mis en vente des biens immobiliers de la société sans en aviser ces derniers, ni l’administrateur et refusé de leur communiquer des documents comptables et les contrats d’assurance et de convoquer les assemblées générales, l’arrêt retient qu’ils utilisent la société pour en tirer un profit exclusivement personnel au détriment de l’intérêt social ; qu’en l’état de ces constatations et

610 V. Lefeuvre (Cl.), Le référé en droit des sociétés, op. cit., p. 142, n° 177.

611 Martin (D.) et Buge (G.), « L’intérêt social dans le contentieux des ordonnances sur requête, en référé et en la forme des référés », RTD com., 2010, 481, DocumentInterRevues.

appréciations faisant ressortir le péril imminent auquel était exposée la société, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision (…) ». De cette décision, on retient qu’il y’a péril

imminent chaque fois que la politique sociale menée par les organes sociaux est en marge de l’intérêt social. Toutefois, l’absence de précision dans l’Acte uniforme crée un sérieux problème.

202. Le problème. Pour revenir à la considération implicite du péril imminent dans l’esprit du législateur, nous pensons que son existence dans la condition relative au dysfonctionnement de la société, soutenu par certains auteurs, ne relève pas d’une science exacte. La pratique fait état de cas dans lesquels le péril imminent menace les intérêts de la société sans pour autant empêcher son fonctionnement normal613. C’est pour cette raison que deux tendances se dessinent au sein de la jurisprudence. L’une milite en faveur de la seule considération du critère unique de la mise en péril des intérêts sociaux puisque le péril imminent lui est concomitant. En revanche, l’autre à tendance extensive est favorable à l’applicabilité du critère cumulatif de la mise en péril des intérêts sociaux. Ce débat crée un doute dans l’esprit du juge qui, face à une demande d’ouverture de la procédure d’administration provisoire, est confronté à la difficulté de choix entre ces deux tendances.

203. La proposition de solution. En effet, l’objectif recherché par l’administration provisoire est celui de la protection de l’intérêt social, le juge intervient pour sauver la société d’un mauvais fonctionnement présent ou à venir à la suite d’un risque existant et pas éventuel614. Or, ignorer le critère du péril imminent pour l’intérêt social, détournerait la procédure de son but car, à ce moment seul l’intérêt de la société devrait être prioritairement protégé615. D’avis avec un auteur616 qui rappelle que l’objectif est celui « d’assurer l’avenir de

la société et non de rétablir une organisation interne mise à mal », la précision de cette

hypothèse par le législateur nous semble nécessaire. Ainsi, le nouvel article 160-1 de l’AUDSCGIE serait ainsi formulé :

« Lorsque le fonctionnement normal de la société est rendu impossible ou est menacée d’un

péril imminent, soit du fait des organes de gestion, de direction ou d’administration, soit du

613 Cf. CA Littoral du Cameroun, 10 févr. 1999, Reemstsma c/ Sitabac, op. cit.

614 Cass. com., 21 févr. 2012, n°11-18.608. Dans cette affaire, la Cour a cassé une décision de nomination d’un administrateur provisoire au motif que le conflit qui existait entre les associés et le simple risque de remise en cause des actes accomplis par les tiers étaient préjudiciable à l’intérêt social.

615 CA Paris, 14e chbre., 14 mai 1999, RTD com., 1999, 680, obs. Champaud (C.) et Danet (D.) DocumentInterRevues.

fait des associés, la juridiction compétente statuant à bref délai, peut décider de nommer un administrateur provisoire aux fins d’assurer momentanément la gestion des affaires sociales ».

Par le biais de cet article, le juge pourrait, sans être accusé d’immixtion dans la gestion de la société, nommer un administrateur provisoire chaque fois que l’intérêt social serait en cause. Le demandeur devrait rapporter la preuve du péril imminent pour l’intérêt social engendré par la politique sociale menée par les acteurs sociaux. Par ailleurs, le juge devrait faire recours à la procédure d’administration provisoire dans des cas présentant une extrême gravité, puisqu’elle porte atteinte à certains principes spécifiques au droit des sociétés notamment celui de la liberté des associés. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous militons pour une redéfinition de ses conditions de mise en œuvre dont le rôle consiste à briser les obstacles d’ordre organique qui entourent la procédure.

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