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Les décisions entraînant la cession des droit sociaux

Un contrôle des actes sociaux peu adapté à la vie des sociétés

Section 1. Le cas des décisions économiques et financières

B. Les décisions entraînant la cession des droit sociaux

225. La privation des droits des minoritaires. Il est couramment affirmé que la cession de droits sociaux constitue une terre d’élection de conflits sociaux667, notamment lorsqu’elle relève de la catégorie dite des cessions de contrôle668. La cession de contrôle d’une société peut se faire par simples cessions de parts à une personne, une société ou un groupe. Ces cessions peuvent être faites par les associés sur les instigations de l’organe de gestion, lui-même d’accord avec l’acheteur ou, parfois, malgré les mises en garde ou l’opposition du conseil dans le cadre des SA. Quelles que soient les circonstances, le changement de majorité risque de nuire à la société lorsque l’acquéreur qui accède aux commandes de la société se montre parfois inapte ou prêt à dépouiller la société dans un intérêt personnel669. Plus grave encore, il est fréquent que des associés minoritaires contestent la cession au motif que leur agrément avait été accordé à la suite d’abus des détenteurs du contrôle. La question se pose alors de savoir si les cessions de droits sociaux qui ont conduit à la cession de contrôle ont été effectuées dans les conditions requises eu égard à la valeur des droits. Il s’agit également de rechercher si certains associés, les majoritaires qui détiennent le pouvoir, n’ont pas été avantagés par rapport aux minoritaires dans les conditions et les modalités des cessions. Un auteur émet l’hypothèse d’une « cession stratégique »670 où le contrôle de la société est transmis à un prix faible car le cédant obtient du cessionnaire par exemple « la promesse de

contraindre la société à s’approvisionner auprès du cédant à des conditions avantageuses »671.

667 Ceci s’explique par les intérêts divers qui sont mis en jeu par la cession des droits, surtout lorsqu’elle cède le contrôle de la société. V. dans ce sens Le Cannu (P.) et Dondero (B.), Droit des sociétés, op. cit., p. 390, n°537; Caffin-Moi (M.), Cession des droits sociaux et droit des contrats, Economica, coll. Recherches juridiques, 2009, spécial- n°162 et s., préface BUREAU (D.) ; Moury (J.J.), « Des ventes et des cessions de droits sociaux à dire des tiers-Etudes des articles 1592 et 1843 du code civil », Rev. Sociétés, 1997, p.455 et s.

668 La cession de contrôle n’est pas une cession de créances. En effet, même si le titre social représente sans doute une créance de l’associé sur la société, le titre d’associé ne saurait être réduit à une simple créance dès lors qu’il s’agit de céder les titres qui confèrent le contrôle. Elle n’est non plus qualifiée de cession de fonds de commerce.

669 Dans une affaire, les magistrats parisiens ont retenu que les nouveaux actionnaires et futurs administrateurs n’avaient pas la compétence particulière dans le domaine de la haute couture. CA. Paris, 3e ch., sect. A, 2 juill. 2002.

670 Schmidt (D.), « Quelques remarques sur les droits de la minorité dans les cessions de contrôle », Dalloz, 1972. chron. 223-226.

Alors, sur quoi porte concrètement le contrôle judiciaire ? Les tribunaux peuvent-ils remettre en question la cession de contrôle par voie de cession des droits sociaux ?

226. Le contrôle du respect des conditions procédurales. La loi prévoit des mécanismes pour garantir la cession et, par ricochet, éviter les abus. Ainsi, l’article 319 al. 6 de l’AUDSCGIE dispose que toute cession non conforme aux clauses statutaires établies en accord avec la loi est nulle. Or, pour que la cession soit conforme aux clauses statutaires, elle doit remplir les conditions relatives au consentement et à l’information des associés672. C’est-à-dire que, lorsque la cession n’a pas été librement organisée par les statuts, la transmission n’est possible qu’avec le consentement des associés. En plus, le projet de cession doit être notifié par l’associé cédant à la société et à chacun des autres associés. Ainsi, en cas de contentieux portant sur la nullité de la cession, le contrôle du juge ne porte que sur le respect des conditions procédurales prévues par les dispositions de l’AUDSCGIE. Il va rechercher, par exemple, s’il y a eu vice de consentement conformément aux dispositions du Code civil français673. À notre avis, il s’agit d’un contrôle subjectif qui vise à protéger les droits de l’associé minoritaire au détriment de ceux de la société. En France, cette protection a été renforcée par le devoir de loyauté et les garanties du droit de la vente. Concernant le devoir de loyauté, les juges ont eu à censurer l’arrêt de la Cour d’appel qui s’était contenté de relever que « l’acte de cession ne contenait ni clause de garantie de passif, ni clause de révision de prix,

sans rechercher, comme le demandait l’acquéreur, si le cédant n’avait pas engagé sa responsabilité en dissimulant la véritable situation de la société »674. Or, si le principe est celui de la libre cessibilité des titres, cette liberté est parfois restreinte ex ante en raison d’une clause d’agrément ou encore par le jeu d’un droit de préemption675, d’où la nécessité d’un contrôle de

672 Cf. art. 319 al. 1, 2,3,4 et 5 de l’AUDSCGIE.

673 Moins que la lésion, l’erreur, le dol et la violence sont généralement admis par les juges. Cf. CA Paris, 3 nov. 1999, BJS, 1999, p. 289. Dans cette affaire par exemple, le souscripteur de part social se plaignait du fait que son action avait été faite à la suite de menaces. Cass. com., 12 mars 2013, n°12-11.970, Rév. Sociétés, 2013, p. 689, note Massart (Th.).

674 Cass. com., 4 déc. 2007, BRDA, 1/2008, n°8.

675 Le refus d’agrément, tout comme l’exercice du droit de préemption, sont inégalitaires par nature et entravent la liberté des seuls minoritaires. En effet, la clause d’agrément présente dans les statuts de la société Cassegrain n’a pas empêché la cession du contrôle de cette dernière à la société Saupiquet. De même, le refus de l’agrément a privé le minoritaire cédant du choix de l’acquéreur ; l’exercice du droit de préemption est de nature à imposer des conditions de rachat moins attractives aux minoritaires. Plus que l’octroi d’agrément, c’est en effet le refus d’agrément qui est source de conflits. Dans l’arrêt Beyrelongne C/ Castillon du Perron, Cass. com. 24 févr. 1975 (Bull. civ IV,) n°58, Rev. Sociétés. 1976.92-102, note Oppetit (B.) ; RTD.Com. 1975. 535-537, obs. Houin (R.), la Cour de cassation avait refusé de considérer comme abusif l’octroi de l’agrément car les contrôlaires n’avaient fait qu’user de leur droit de céder leurs actions. Dans l’aff. Sauiquet-Cassagrain, la Cour d’appel de renvoi était aller jusqu’à considérer que l’octroi de l’agrément ne pouvait jamais être abusif parce qu’il pourrait aboutir à restituer aux actionnaires concernés, le libre exercice d’une prérogative. Or, « il n’est pas possible de considérer que le retour à la règle commune présente en lui-même un caractère abusif » : CA Caen, 18 avr. 1978). Cependant, le refus d’agrément ne sera qualifié d’abusif que dans les hypothèses tout à fait marginales. CA. Paris 7 avr. 1995,

la véritable nature de l’opération de cession. Ce contrôle a jadis été effectué par les juges français dans l’arrêt CASSEGRAIN.

227. L’arrêt CASSEGRAIN. La Cour de Cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question dans quelques affaires importantes. Dans l’affaire CASSEGRAIN, sur l’instigation de leur conseil d’administration, les actionnaires d’une société avaient cédé en majorité leurs actions à la société Saupiquet qui était leur concurrente. Cette cession avait été faite avec de très graves conséquences pour la première. En effet, le frère qui activait le groupe minoritaire et qui possédait près du quart des actions, considéra ces transferts comme une catastrophe pour la société Cassegrain, les actionnaires et le personnel. Il saisissait le Tribunal de commerce de Nantes d’une demande d’annulation des décisions prises par le conseil d’administration et l’assemblée générale des actionnaires de Cassegrain. Pour soutenir sa demande, il déclarait que l’opération était en réalité une fusion par absorption conduisant à la transformation et même à la disparition de l’être social. L’opération, ajoutait-il, n’avait fait l’objet d’aucun examen sérieux permettant d’établir un rapport de valeur des deux entreprises et l’entreprise Cassegrain avait ainsi été cédée pour un prix dérisoire. De plus, on avait tenu les actionnaires minoritaires à l’écart de la négociation et, en conséquence, les actions qu’ils détenaient après l’opération n’avaient plus aucune valeur. Le tribunal de commerce de Nantes rejeta la demande des minoritaires mais la Cour de Rennes devait y faire droit dans un arrêt très intéressant et original676 qui devait poser le grave problème des prises de contrôle réalisées par des cessions d’actions. L’originalité et l’intérêt de cet arrêt tiennent au fait que la Cour de Rennes avait cherché la nature véritable de l’opération au-delà des apparences.

228. La recherche de la nature de l’opération de cession par la Cour de Rennes. Les juges peuvent-ils dépasser les apparences et rechercher « l’essence » de l’opération ? La Cour de Rennes le pensait et précisait que les juges doivent d’abord rechercher « la véritable

portée et les conséquences de l’opération, en déduire ses conditions de validité en fonction, non pas uniquement de sa forme apparente que lui ont intentionnellement donnée ses réalisateurs, mais aussi de ceux de ses éléments qui, sans permettre aucune autre véritable qualification, sont cependant suffisamment importants pour en modifier considérablement la nature ». Ainsi, la recherche de simples intentions serait insuffisante, mais, si ces intentions

Dalloz, 1995. IR. 163 ; Rev.sociétés, 1995.771, obs. Guyon (Y.). En l’espèce, la Cour d’appel avait estimé que le

refus d’agréer n’était pas justifié par l’intérêt social. Cet abus a également été retenu dans un arrêt de la CA Paris, 5è ch, sect. B, 23 avr. 1998, n° 96/12 172, Bull. Joly 1998.959-962, note Daigre (J.J.).

sont corroborées par des faits postérieurs montrant l’anéantissement ou la dégradation de l’être social, alors les conditions de validité de ces décisions devraient être examinées en fonction de tels faits. Les conséquences des décisions refléteraient la nature des intentions. Cependant, l’arrêt de la Cour de Rennes n’échappa pas à de vives critiques, l’une relative à l’insuffisance d’information et l’autre à l’abus de droit677. Il a été longtemps retenu qu’il était délicat pour les tribunaux de juger des intentions de l’acquéreur. Les magistrats ne peuvent se satisfaire de simples supputations et contrôler l’opportunité d’une cession678.

229. Une recherche désapprouvée par la Cour de cassation. La Cour de cassation679 cassa l’arrêt de la Cour de Rennes en observant qu’elle n’avait pas pu démontrer que les décisions litigieuses avaient été prises dans le seul intérêt de certains associés, au détriment de l’intérêt de la société. Du côté des apparences, l’arrêt notait que la société Cassegrain conservait sa personnalité et qu’il n’y avait donc pas, au sens strict, de fusion, sauf à faire état de prévisions hypothétiques et de craintes sur le sort futur de la société, ce que l’arrêt refusait de faire. Il reste difficile pour le juge de sanctionner le cédant tant que le cessionnaire n’a pas exercé le contrôle. Seule l’hypothèse de l’insertion en cours de vie sociale d’une clause d’agrément ou d’un droit de préemption est finalement susceptible de constituer une diminution des droits de l’associé minoritaire et de constituer un abus de pouvoir.

230. Une position confirmée par l’arrêt du 24 février 1975. La position de la Cour de cassation fut réitérée quelques années plus tard dans un arrêt du 24 février 1975680. En effet, les associés minoritaires, se fondant sur l’abus de droit, demandaient la nullité d’une délibération du conseil d’administration qui avait accepté la cession d’un certain nombre d’actions représentant la majorité du capital social. La Cour rejeta la demande en précisant que la cession d’actions ne saurait par elle-même être abusive, par conséquent, l’agrément du conseil d’administration était régulier et la cession litigieuse dépourvue de toute fraude.

231. Une position à réviser. Contrairement à certains auteurs681, nous pensons que la position adoptée par les juges dans l’arrêt Saupiquet-Cassegrain et l’arrêt Castillon du Péron

677 Cf. Azencot (M.), L’intervention du juge dans la gestion des sociétés commerciales, thèse Paris II, p.89.

678 C’est cette difficulté qui avait conduit la chambre commerciale de la Cour de cassation à rejeter le caractère abusif de l’agrément accordé à la cession de contrôle à un tiers dans l’arrêt Cass. com., 21 janv. 1970 (aff. Saupiquet-Cassegrain), Rev. Sociétés. 1970.292-295, JCP, 1970. II. 16541, note Oppetit (B.)

679 V. Cass. com., 21 janv. 1970, aff. Saupiquet-Cassegrain, op. cit.

680 Cass. com., 24 févr. 1975, aff. SA Castillon-renault c/ Castillon du perron, Rev. Sociétés, 1976, p. 92, note Oppetit.

681 Caussin (J. J.) et Germain (M.), « Pratique des cessions de contrôle dans les sociétés anonymes non cotées »,

limite les pouvoirs du juge à un contrôle purement formel. Dans ces affaires, le contrôle judiciaire de l’abus est cantonné à un contrôle élémentaire des deux conditions de l’abus de majorité. Le contrôle réel, basé sur l’appréciation de la conformité de la décision de cession à l’intérêt social, est nécessaire. Il permettrait à la Cour de voir si la prise de contrôle avait véritablement des conséquences néfastes sur l’avenir de la société. Les mêmes constatations s’observent lors du contrôle judiciaire des décisions entraînant la restriction des droits non financiers des associés.

C. Les décisions entraînant la restriction des droits non financiers des associés

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