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L’ouverture du champ d’intervention du juge en matière d’expertise

Conclusion du chapitre 1

Section 1. Les insuffisances spécifiques au fonctionnement normal de la société

A. Des pouvoirs judiciaires limités à la phase de nomination de l’expert

2. L’ouverture du champ d’intervention du juge en matière d’expertise

154. La garantie de l’information. Grâce à la formulation proposée de l’article 159 de l’AUDSCGIE, les conditions de l’expertise de gestion seraient désormais ouvertes quant à l’acte de gestion (a) et relativement à l’auteur de la demande (b). S’agissant de l’acte de gestion, le juge pourrait étendre la nature des opérations au-delà du critère organique actuellement appliqué. De même, concernant l’auteur de la demande, le juge aurait désormais un vaste champ d’intervention puisque tous les associés pourraient le saisir. L’ouverture des conditions de mise en œuvre permettrait ainsi l’extension de l’information judiciaire. En revanche, pour éviter les interventions judiciaires intempestives, le recours au juge ne pourrait se faire qu’à la suite du constat de l’échec des mesures extrajudiciaires mises en œuvre par l’auteur de la demande (c).

a. L’ouverture quant à l’acte de gestion

155. L’élargissement du critère organique. Le cantonnement de l’expertise de gestion aux seuls actes de gestion interne de la société paraît limiter l’efficacité de cette procédure. Nous pensons avec des auteurs510 que le législateur devrait indiquer des échantillons d’actes de gestion dont l’accomplissement serait susceptible de donner droit au recours à un expert de gestion. Ces échantillons devraient comporter tous les actes, indépendamment de leurs auteurs, qui tendent à la réalisation de l’objet social et qui sont accomplis dans l’intérêt de la société. Par ailleurs, seraient exclues toutes les décisions prises en assemblée générale511 puisqu’elles font déjà l’objet d’une information et d’une délibération préalables. De même, les actes relatifs au contrôle des comptes sociaux devraient être exclus de l’opération d’expertise puisque le juge ne doit pas empêcher les commissaires aux comptes d’exercer pleinement leurs missions512. Les juges de l’OHADA pourraient également, à l’instar de leurs homologues français, retenir ce critère organique en prévoyant des cas d’assouplissements513 qui seraient, bien entendu, encadrés par l’appréciation du bien-fondé de la demande.

510 Cf. Foko (A.), « L’essor de l’expertise de gestion dans l’espace Ohada », op. cit., p.175.

511 Notamment la décision d’exclusion d’un dirigeant social. V. Cass. com., 30 mai 1989, JCP, 1990, II, n°21405, note Marteau-petit (M.).

512 Cf. Meukeu (B.Y.), « L’information des actionnaires minoritaires dans l’OHADA : réflexion sur l’expertise de gestion », op. cit.

156. L’appréciation du bien-fondé de la demande. L’appréciation du bien-fondé de la demande est un moyen d’encadrement qui empêche le juge de s’immiscer dans la gestion de la société. Ainsi, nous pensons avec un auteur514 qu'il serait souhaitable que le juge puisse faire une appréciation large de la notion d'opération de gestion qui inclurait les opérations conformes à l'intérêt social qui participeraient à la réalisation de l'objet social515. Autrement dit, les opérations de gestion ne devraient pas simplement être limitées aux actes de gestion courante, mais devraient s'étendre tant aux opérations d'administration qu'à celles de disposition. En effet, lorsque la demande présente un caractère sérieux, il nous semble indispensable de permettre au juge de nommer un expert, indépendamment de l’auteur de l’acte. D’ailleurs, le juge a l’obligation d’apprécier l’opportunité de l’expertise et ne peut nommer l’expert que si la demande paraît bien-fondée. Par ailleurs, le juge pourrait nommer un expert en dépit de la nature de l’acte, dès lors qu’il aurait établi que la demande ne porte pas sur l’ensemble de la gestion. La reformulation de l’article 159 de l’AUDSCGIE contribuerait donc à étendre aussi bien le domaine d’application des actes de gestion, que l’auteur de la demande de l’opération d’expertise.

b. L’ouverture quant à l’auteur de la demande

157. L’expertise de gestion, une action pouvant devenir accessible. Selon les dispositions du nouvel article 159 de l’AUDSCGIE, tout associé, tout usufruitier, tout nu-propriétaire pourrait, demander à la juridiction compétente du siège social, statuant à bref délai, la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. Grâce à ce nouveau texte, le seuil de participation actuellement exigé par l’article 159 de l’AUDSCGIE serait supprimé. En effet, conformément à la nouvelle formulation « tout associé » aurait la possibilité de saisir le juge afin d’obtenir des informations sur une ou plusieurs opérations de gestion. Un auteur voit en l’ouverture de la possibilité à d’autres acteurs sociaux de demander l’expertise de gestion, un moyen d’« aboutir à un

véritable renouveau de la politique managériale des entreprises africaines »516. La condition relative à la détention d’un pourcentage des droits de vote ne constituerait plus un obstacle à 514 V. Nemoz-Rajot (Q.), Les interventions judiciaires spécifiques au droit des sociétés in bonis, op.cit., p. 213, n° 304.

515 Merle (Ph.) et Fauchon (A.), Droit commercial. Sociétés commerciales, Dalloz, 23e éd., coll. Précis Droit Privé, 2019, p,659, n°589.

516Cf. Kamnang K. (I.-Fl.), Les pouvoirs du juge dans les sociétés commerciales de droit OHADA, op. cit., p.251, n°268.

l’action des associés. Ainsi, en permettant à « tout associé » de contrôler la gestion de la société par le biais de l’expertise judiciaire, le juge participerait davantage non seulement à la réalisation du droit d’information des associés, mais aussi à la prévention du fonctionnement irrégulier de la société.

158. L’expertise de gestion, une opération ouverte à l’usufruitier et au nu-propriétaire. Par ailleurs, l’usufruitier et le nu-propriétaire auraient chacun le droit de saisir le juge afin d’obtenir des informations claires sur la gestion des opérations sociales par le biais de l’expert. Cette possibilité offerte tant à l’usufruitier qu’au nu-propriétaire viendrait mettre fin au débat sur la question de la qualité à agir en matière de démembrement de droit sociaux. En effet, la qualité d’associé reconnu au nu-propriétaire ne faisant aucun doute, il parait compréhensible que lui soit reconnu le droit de demander une opération d’expertise de gestion517. En revanche, celle de l’usufruitier faisant l’objet de nombreuses controverses, le juge éprouve des difficultés à lui reconnaitre la qualité pour agir518. Or, parce que l’usufruitier a le droit d’usus et de fructus sur les titres, il semble illogique de ne pas lui reconnaitre le droit de mettre en œuvre la procédure d’expertise afin de contrôler la bonne gestion de la société. Pour certains juges, la qualité de demandeur devrait être reconnue au nu-propriétaire lorsque la question relève d’une assemblée générale extraordinaire, et à l’usufruitier, lorsque l’expertise pose une question de la compétence de l’assemblée générale ordinaire519. En France, l’extension des droits de l’usufruitier est rendue effective avec la loi du 19 juillet 2019.

159. L’extension des droits de l’usufruit en France. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2019520, l’usufruitier et le nu-propriétaire ont le droit de participer à toutes les décisions collectives. En effet, l’article 3 de cette loi dispose qu’en cas de démembrement d’actions ou de parts sociales, les droits de vote sont répartis entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. Ainsi, l’usufruitier ne peut exercer son droit que sur les décisions liées à l’affectation des bénéfices. Le nu-propriétaire, quant à lui, vote sur toutes les autres décisions à l’exception de celles qui portent sur l’affectation des bénéfices. Toutefois d’un commun

517 Cf. Gordon (L.), « Un associé insolite : le nu-propriétaire des droits sociaux », Rev. sociétés, 2010, p. 143 ; Cass. com., 4 janv. 1994, Défrénois, 1994, 556, note Le Cannu (P.).

518 Mestre (J.), Velardocchio (D. ) et Mestre-Chami (A.-S.), Lamy sociétés commerciales 2015, Lamy, coll. Lamy droit des affaires, 2014, n° 624 ; Charvériat (A.), Couret (A.) et Zabala (B.), Sociétés commerciales 2015, Françis Lefebvre, coll. Mémento pratique, 2014, n°2400 et s. et 53001 ; Peloux (P.), « Des difficultés quant à la qualité de certains demandeurs à l’expertise de gestion », LPA, 05 aout 1999, n° 155, p. 17, n°8 et s.

519 CA Versailles, 19 déc. 1989, Bull. Joly sociétés, 1990, p. 190, note Le Cannu (P.).

accord, l’usufruit peut exercer le droit de vote sur les décisions autres que celles relatives à l’affectation des bénéfices.

La nouvelle formulation de l’article 159 de l’AUDSCGIE viendrait mettre fin à la controverse au sujet de la qualité à agir de l’usufruit en matière d’expertise de gestion. Le juge aurait désormais les moyens de favoriser le contrôle de la gestion de la société par ces organes. Toutefois, pour éviter la profusion de demandes ne visant pas la protection de l’intérêt social, le recours au juge ne serait qu’un pis-aller car les organes n’y feront recours que de façon subsidiaire.

c. Le caractère subsidiaire de l’intervention judiciaire

160. Le contenu de l’encadrement. Outre les conditions tenant soit à la personne, soit à l’auteur de l’acte exposées précédemment, il existe une condition de forme à respecter pour la nomination judiciaire de l’expert. De fait, avant de saisir le juge l’associé devrait au préalable mettre en œuvre une procédure extrajudiciaire d’information. Cette procédure lui permettrait de demander au dirigeant de lui donner des explications sur le ou les opérations faisant l’objet de critiques. La nouvelle rédaction de l’article 159 de l’AUDSCGIE ferait de l’intervention du juge en matière d’expertise de gestion une intervention subsidiaire521. Cette subsidiarité aurait pour avantage de désengorger les juridictions. L’associé ne pourrait directement s’adresser au juge522, puisque le recours à ce dernier ne serait possible qu’en cas de défaut de réponse ou de réponse insuffisante dans le délai de quinze jours523. Au regard de l’urgence de la procédure, la condition relative au formalisme de la demande adressée aux dirigeants ne nous semble pas nécessaire. En revanche, l’associé pourrait saisir le dirigeant par le biais d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Car, cette mesure lui permettrait d’avoir des éléments de preuve pour une éventuelle action en justice qui serait soumise au pouvoir judiciaire d’appréciation.

161. Le pouvoir judiciaire d’appréciation. L’office du juge consisterait en premier lieu à rechercher si les conditions de mise en œuvre de l’expertise ont été respectées par l’auteur de la demande. Il s’agirait pour lui de vérifier le respect de la phase de question préalable. En 521 Cf. Le Cannu (P)., « L’expertise de gestion à la suite de la loi NRE : de la chicane au dialogue », Droit 21, 2001, n°9.

522 Cf. Lefeuvre (C.), Le référé en droit des sociétés, op. cit., p. 124, n°145.

523 Ces délais sont plus courts que ceux prévus en droit français où l’article L. 225-231 du code de commerce français prévoit un délai d’un mois. Les juges l’ont rappelé dans plusieurs affaires. Cass. com., 17 janv. 2006,

BRDA, 2006, n°4, p.7 ; Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 624, note Gordon (L.), Rev. Sociétés, 2006, p. 574, note

second lieu, le juge devrait apprécier le bien-fondé ou non de la réponse donnée par le dirigeant. Ainsi, à défaut de communication d’éléments de réponse satisfaisants, le juge apprécierait la pertinence de ces éléments. Autrement dit, l’expert ne serait finalement nommé que lorsque le juge aurait constaté que les éléments de réponse apportés par le dirigeant ne permettent pas à l’associé d’avoir une information exacte sur les opérations de gestion entreprises. De même, à défaut de réponse dans un délai de quinze jours, le juge pourrait rejeter la demande s’il constate que l’associé demandeur avait suffisamment d’éléments524 lui permettant d’avoir une information exacte sur les opérations de gestion, objet de la demande d’expertise.

162. Le filtrage des demandes abusives. Cette procédure prévue en droit français par l’article L. 225-231 du code de commerce français encouragerait l’instauration d’un dialogue au sein des sociétés OHADA avant la procédure judiciaire525. Elle constituerait également un obstacle aux actions de certains associés tendant à nuire, ou aux demandes abusives susceptibles d’encombrer les juridictions. D’avis avec un auteur, l’exigence consistant à interroger les dirigeants sur le ou les opérations en cause, est un « préalable, déjà spontanément

pratiqué dans certaines affaires avant la réforme, semble fait pour écarter les demandes abusives ou les actions de nuisances »526. Ainsi, le juge n’interviendrait que parce que les acteurs sociaux n’ont pas pu, à travers les moyens amiables, trouver une solution à leurs préoccupations. Toujours dans l’optique de la recherche de l’efficacité de la procédure d’expertise de gestion, il nous semble opportun d’impliquer le juge dans la suite de ladite procédure.

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