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Le contrôle des opérations de modification du capital social

Un contrôle des actes sociaux peu adapté à la vie des sociétés

Section 1. Le cas des décisions économiques et financières

C. Les décisions entraînant la restriction des droits non financiers des associés 232. Les contentieux nés des décisions entraînant la restriction des droits non financiers

1. Le contrôle des opérations de modification du capital social

C. Les décisions entraînant la restriction des droits non financiers des associés 232. Les contentieux nés des décisions entraînant la restriction des droits non financiers des associés se retrouvent généralement en matière de variation de capital et de transformation de la société. Lorsque le contentieux est relatif aux opérations de mutation du capital social, le contrôle judiciaire de la décision contestée est formel (1). En revanche, le juge agit avec beaucoup de réserves dans le cas où la décision contestée est relative à la transformation de la société (2).

1. Le contrôle des opérations de modification du capital social

233. La variation du capital. En droit des sociétés de l’OHADA, le principe était celui de la fixité du capital. Mais depuis la révision de 2014, ce principe a été soumis à exception. C’est ainsi que les associés peuvent désormais faire varier le capital dans les conditions prévues par l’AUDSCGIE. Cependant, les modalités de modification du capital social ont peu évolué, malgré la réforme682, donnant ainsi lieu à de nombreux conflits émanant d'actionnaires minoritaires qui s'estiment lésés. Lorsque le juge est saisi en pareille circonstance, son rôle consiste à vérifier le respect des conditions procédurales liées à cette opération. La mise en œuvre de cette formalité semble excessive face aux contentieux des décisions d’augmentation du capital social (a) et l’est moins lorsqu’ils sont relatifs à la transformation de la société (b).

juges dans l’arrêt Saupiquet-Cassegrain et l’arrêt Castillon du Péron, « se comprend fort bien dans la mesure où,

l’abus de majorité se définit comme une décision de la société contraire à l’intérêt social ».

682 Fénéon (A.), Droit des sociétés en Afrique OHADA, op. cit., n° 557, p. 213 ; addé, art. 565 al 1 et 2 AUDSCGIE pour les SA et art. 68 AUDSCGIE pour les SARL.

a. Une formalité excessive face aux décisions d’augmentation du capital social 234. Les raisons d’une décision d’augmentation de capital. L’augmentation de capital ne fait pas l’objet d’une définition dans l’Acte uniforme. C’est une opération qui consiste à augmenter la valeur du capital de telle sorte qu’elle soit supérieure à la valeur figurant antérieurement dans les statuts683. Parfois, les sociétés ont intérêt à augmenter leur capital soit pour se libérer de leurs dettes, soit pour utiliser leurs réserves, soit encore pour se procurer de l’argent frais. Cependant, cette opération peut être détournée de ce but si elle vise à nuire aux associés minoritaires. En effet, les augmentations de capital paraissent tout à fait propices aux majorités qui veulent s’octroyer un avantage abusif aux dépens de leurs coassociés. Elle est alors proposée soit dans le but de supprimer l’influence de la minorité portant ainsi atteinte à un droit non pécuniaire, soit de réaliser à son détriment un enrichissement pécuniaire illicite affectant ainsi le droit pécuniaire de l’associé. Toutefois, le législateur a encadré cette action en consacrant le droit préférentiel de souscription dont l’utilité est incontestable684.

235. L’utilité du droit préférentiel de souscription. Le droit préférentiel de souscription est le droit reconnu aux actionnaires de sociétés par actions de souscrire, par priorité à tous les autres et proportionnellement au montant nominal des actions qu’ils possèdent, aux nouvelles actions émises en numéraire pour réaliser une augmentation de capital685. Certains auteurs pensent que ce droit a une fonction égalitaire parce qu’il « permet

d’éviter que quelques actionnaires seulement ne bénéficient de l’augmentation de capital et prennent le contrôle de la société au détriment des autres »686. Par ailleurs, il a une double utilité. Pour les associés, il leur permet d’éviter la dilution de leurs droits grâce à la possibilité de maintenir leur pourcentage de participation dans le capital. En d’autres termes, il permet de mieux contrôler l'ouverture du capital. Pour la société, il est un instrument de « stabilité du

sociétariat ; création d'un effet d'aubaine incitant les titulaires de droit préférentiel de souscription à exercer leurs droits »687. Toutefois, le droit préférentiel de souscription peut être remis en cause par l’assemblée générale qui décide ou autorise une augmentation de capital.

683 Fénéon (A.), Droit des sociétés en Afrique OHADA, op. cit., n° 552, p. 212.

684 En dehors du droit préférentiel de souscription, les parties peuvent demander la nullité de la décision ou de la délibération autorisant l’augmentation du capital social en se fondant sur une cause de droit commun viciant l’un de ces actes essentiels, notamment l’abus de droit, l’incapacité, le vice du consentement, l’illicéité, la fraude, le dol ou l’erreur. Dans ce cas, le contrôle judiciaire consiste à rechercher l’existence de ces éléments lors de la mise en œuvre de la décision ou de la délibération.

685 Cf. arts. 573 et 757 de l’AUDSCGIE.

686 Fénéon (A.), Droit des sociétés en Afrique OHADA, op. cit., n° 568, p.218.

687 V. Mortier R., « Augmentation du capital en numéraire. Droit préférentiel de souscription. Prime d’émission »,

Ainsi, elle peut supprimer ce droit en faveur d’un ou de plusieurs bénéficiaires nommément désignés, pour la totalité de l’augmentation de capital ou pour une ou plusieurs tranches de cette augmentation688. Le législateur légalise à travers cet article la renonciation par les actionnaires à leur droit préférentiel de souscription. Cette mesure s’explique par le souci de protection de l’intérêt de la société689 face aux actionnaires dominés par un esprit égoïste690. La suppression du droit préférentiel de souscription est une mesure exceptionnelle car elle contribue à rompre l’égalité entre actionnaires. Quel sera le comportement du juge face à une décision de suppression de droit préférentiel de souscription détournée de son « but d’intérêt

social » pour servir les intérêts personnels de certains actionnaires ou associés au détriment

d’autres ?

236. Arrêt du 25 septembre 2012. Cette question a trouvé une réponse en France dans un arrêt691 de la Cour de cassation du 25 septembre 2012. Dans cette affaire, les actionnaires d’une société avaient été convoqués à l’effet de statuer sur une augmentation de capital réservée aux salariés692. A l’issue des échanges, les résolutions correspondantes avaient été valablement adoptées par l’assemblée générale. Or, l’un de ces actionnaires n’avait pas jugé utile de participer à l’assemblée. Cependant, après que la société lui eut notifié qu’elle ne renouvèlerait pas le contrat d’enseigne qui les liait depuis dix ans, il a fait assigner la société aux fins d’annulation des résolutions relatives à l’augmentation de capital réservé et à la suppression du droit préférentiel de souscription. De manière très surprenante, la Cour de cassation lui a donné raison. Elle a estimé que la résolution relative à l’augmentation de capital réservé pour laquelle la suppression du droit préférentiel de souscription a été adoptée doit également être annulée, la seconde étant la conséquence de la première. La surprise naît du fait que dans le cas d’espèce, la Cour s’est cantonnée à un contrôle purement formel de la décision contestée. Elle s’est limitée à rechercher si le droit préférentiel de souscription de l’associé lui avait été

688 Cf. Art. 586 de l’AUDSCGIE.

689 Petot-Fontaine (M.), « SARL-modification du capital social », JCL, sociétés traité, Fasc. 78-20, 2015. Goncalves (E.-W.), « L’affaiblissement du droit préférentiel de souscription des actionnaires en droit Ohada »,

Rev. ERSUMA, coll. Droit des affaires - Pratique Professionnelle, n° 1 - Juin 2012, p.72.

690 V. Daigre (J.J.), « Les émissions sans droit préférentiel de souscription », Rev. sociétés 2004, p. 479. L’auteur pense que « l'esprit de fermeture qui préside au droit préférentiel de souscription est directement contraire à

l'esprit d'ouverture qui imprègne les marchés financiers, de sorte que le droit préférentiel de souscription est particulièrement gênant pour les sociétés cotées et, plus largement, pour les sociétés de croissance. Il permet à une minorité d'entraver le financement de l'entreprise et de la contraindre à recourir à l'emprunt ».

691 Cass. com., 25 sept. 2012, n°11-17. 256, sté Lioser c/ Scté ITM région parisienne F, RDJA 12/12 n°1088. Note VANNOOTE (C.).

692 La loi prévoyant les augmentations de capital bénéficiant aux salariés et dirigeants adhérents d’un plan d’épargne d’entreprise fut votée en 2001.

effectivement supprimé, ce qui l’a éloigné du contrôle parallèle de la conformité de la décision de suppression de ce droit à l’intérêt social.

237. Le contrôle des conditions prévues à l’article 758 de l’AUDSCGIE. La décision de suppression du droit préférentiel de souscription doit respecter les conditions de mise en œuvre prévues aux articles 758 de l’AUDSCGIE. Dès lors, elle doit être décidée par l’assemblée générale extraordinaire qui a une compétence exclusive en la matière. De même, la clause de suppression du droit préférentiel doit être mentionnée à l’ordre du jour de l’assemblée693. Le juge saisi d’un contentieux opère un contrôle de légalité, car il doit vérifier que le conseil d’administration ou l’administrateur a effectivement fait un rapport précisant les décisions prises en assemblée. Ces conditions nous semblent moins intéressantes dans la mesure où elles limitent le juge à un contrôle très formel consistant à vérifier la régularité de la décision contestée. La condition qui nous intéresse, cependant, se trouve dans le même article. Elle invite le juge à rechercher l’existence du motif de la décision.

238. La recherche du motif de la décision. Le législateur précise dans l’article 758

in fine de l’AUDSCGIE que : la décision de suspension du droit préférentiel de souscription

« n’est valable que si le conseil d’administration ou l’administrateur général selon les cas,

indique dans leur rapport à l’assemblée générale les motifs de l’augmentation de capital ».

Dès lors, le juge saisi doit vérifier que l’assemblée générale extraordinaire n’a pas omis, dans sa décision, les motifs de la suppression. Cette condition nous semble incomplète. L’existence de « motifs » ne suffit pas à justifier l’exclusion de certains associés de la participation au vote, encore moins l’absence de prise en compte de leurs actions pour le calcul du quorum et de la majorité requise. Elle ne permet pas de mieux apprécier la présence d’un abus. Et nous pensons que le juge ne devrait pas se limiter simplement à vérifier l’existence de ces motifs. Il devrait, aussi et surtout, vérifier le caractère sérieux de ces motifs, puisque les motifs sur lesquels se fonde la décision peuvent manquer d’objectivité. Or, un tel contrôle lui permettrait de protéger l’entreprise comme c’est le cas dans le cadre des contentieux relatifs à la réduction du capital par « coup d’accordéon ».

693 Cette obligation a été rappelée dans un arrêt par les juges français. Cass. com., 25 sept. 2012, Rev. Sociétés, 2013, p.158, note Le Nabasque (H.).

b. Une formalité atténuée face aux décisions de réduction du capital par « coup d’accordéon »

239. La licéité de l’opération « coup d’accordéon ». Le « coup d’accordéon » peut être défini comme « une double variation en sens inverse du capital d’une société »694. Elle consiste en une première opération de réduction de capital à zéro et en une seconde opération d’augmentation dudit capital réservé695. Le législateur reste silencieux sur la question de la réduction du capital à zéro au sein de l’OHADA. Toutefois, ce silence laisse à penser que rien ne s’oppose à ce que cette opération puisse être réalisée dans ce contexte, notamment lorsque les pertes sociales sont très importantes. La seule condition étant que cette réduction de capital soit suivie d’une augmentation de capital concomitante tendant à la réduction du capital social. Certains auteurs pensent que la réduction du capital motivée par les pertes est une mesure d’assainissement de la société696. Les juges vont dans le même sens et considèrent l’opération licite lorsqu’elle est justifiée par la situation financière de la société et si les associés de la société se voient reconnaître un droit préférentiel de souscription à l’augmentation de capital concomitante697. Mais dans la majorité des cas, la réalité montre que seuls les associés ayant effectué un nouvel apport font partie de l’augmentation du capital.

240. La réalité des opérations « coup d’accordéon ». Certes, l’opération « coup

d’accordéon » a pour objectif principal de permettre la disparition des pertes figurant dans les

capitaux propres au report à nouveau débiteur. Mais elle peut avoir pour conséquence la transmission du contrôle de la société à un repreneur tout en évinçant les anciens actionnaires. Dans ce cas, le juge se trouve en présence de deux principes en droit des sociétés : la protection de l’intérêt social et la suppression du droit préférentiel de souscription. Le second s’oppose au premier lorsqu’il est réalisé par l’expropriation illicite en marge des articles 545 du Code civil français et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Son caractère illicite naît du fait qu’elle prive l’associé de son droit de demeurer dans la société. Cette question a été connue par le juge français dans l’affaire association Adam c/ L’Amy SA.

241. Association Adam c/ L’Amy SA. L’opération « coup d’accordéon », même lorsqu’elle a pour conséquence l’exclusion des actionnaires minoritaires opposés à l’opération, 694 Cf. Guyon (Y.), Droit des affaires, Economica, 12e éd., coll. Droit des affaires et de l’entreprise, 2003, n°430, p.466.

695 Cf. Jonson (F. K. A.), « L’opération de coup d’accordéon : aspect juridique », Flash de la revue Experts

associés, n°6, déc. 2005, p.1, Ohadata D-06-19, disponible sur www.ohada.com, consulté le 07/03/2017.

696Cf. Pandja Polla (G.), « La perte des capitaux propres », Penant, n°848, 2004, p.350.

a déjà été plusieurs fois validée par la jurisprudence française698. Dans l’affaire association Adam c/ L’Amy SA699, la Cour a confirmé la légitimité des réductions de capital à zéro et des exclusions qui en découlent. En l'espèce, la société anonyme l'Amy, société cotée, fortement endettée et placée déjà en situation de règlement amiable, avait décidé d'une réduction de capital à zéro et d'une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription. Cette opération avait été faite au profit d'une société tierce du même secteur, KLG, société de droit anglais cotée à Londres et filiale d'un groupe américain important. S'estimant exclus de manière illégitime, certains actionnaires minoritaires, directement et par l'intermédiaire de l'ADAM, ont alors saisi les tribunaux. Déboutés en première instance puis en appel, leur pourvoi a également été rejeté par la Cour de cassation. Pour les juges, l’opération « coup d’accordéon » est licite dès lors qu’elle vise à protéger l’entreprise700 et qu’elle est conforme à l’intérêt social.

242. Le souci de la pérennité de l’entreprise. La conformité du « coup d'accordéon » à l'intérêt social701 est aujourd'hui très largement admise lorsqu’il existe des difficultés financières importantes et la nécessité d'une recapitalisation afin de faire face à des pertes conséquentes. Cette solution, réitérée par la décision de la Cour de cassation du 18 juin 2002 ensuite par l’arrêt du 23 octobre 2008702, s'inscrit dans une ligne jurisprudentielle aujourd'hui bien établie relativement aux opérations sur le capital dans les sociétés qui rencontrent des difficultés. C'est ainsi, négativement, que cette contrariété à l'intérêt social ne fait aucun doute sur le terrain de l'abus de minorité dès lors que l'augmentation de capital refusée est pourtant nécessaire à la survie de la société. Il suffit pour les juges qu'une telle opération résulte d'un choix social commandé par la survie de la société ; que, dès lors, les conditions préalables à ce choix soient réunies. Les juges exigent l’existence de deux conditions cumulatives. La société doit être insolvable et ne doit plus être viable. Par ailleurs dans l’affaire du 18 juin 2002, les associés minoritaires avaient évoqué un autre argument, celui relatif à l’expropriation pour cause d’utilité publique. Face à cela, la Cour de cassation a répondu en précisant qu’« attendu

que la réduction de capital à zéro ne constituait pas une atteinte au droit de propriété des actionnaires mais sanctionnait leur obligation de contribuer aux pertes sociales dans la

698 Cass. com., 17 mai 1994, aff. Usinor, Rev. Sociétés, 1994, p. 485, note Dana-Démaret (S.) ; Cass. com., 18 juin 2002, JCP E, 2002, p.1556, note Viandier (A.).

699 Cass. com., 18 juin 2002, JCP E, 2002, 1556 note Viandier (A.); Bull. Joly sociétés, 2002, p. 1221, note Silvestre (S.) ; Dr. Sociétés, 2003, n° 72, obs. Legros (J. P.).

700 Cohen (D.), « La validité du coup d’accordéon », Dalloz, 2003, p. 410.

701 Cass. com., 25 janv. 2005, RJDA 5/2005, n°556 ; Cass. com., 15 juin 2010, n°09-10.961, RJDA 11/2010, n°1084.

mesure de leurs apports; que la cour d’appel a pu en déduire, par une décision motivée, que cette opération ne constituait pas une expropriation illégale ». Les tribunaux s'assurent

systématiquement que le coup d'accordéon ne s'accompagne pas d'un abus de majorité. Ensuite, ils vérifient que l'opération est strictement nécessaire au soutien de l'intérêt social et ne traduit pas simplement la volonté d'éliminer les minoritaires. Dans le cas contraire, la décision de réduction de capital sera annulée pour abus de majorité703. L’intervention du juge étant motivée par le souci de protection de l’intérêt social, il semble logique pour le juge africain saisi d’une telle question, d’adopter la même attitude que son homologue français. De même, il convient de renforcer les techniques de contrôle des décisions de transformation de la société.

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