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L’appréciation judiciaire des conditions de l’expertise

Conclusion du chapitre 1

Section 1. Les insuffisances spécifiques au fonctionnement normal de la société

A. Des pouvoirs judiciaires limités à la phase de nomination de l’expert

1. L’appréciation judiciaire des conditions de l’expertise

136. La manifestation du pouvoir judiciaire. Le pouvoir judiciaire consiste à apprécier le bien-fondé des inquiétudes des associés. Ainsi, il va d’une part statuer sur une situation objective, les opérations de gestion critiquées (a), d’autre part, il va se pencher sur la situation subjective, celle liée à l’auteur de la demande (b), afin de déterminer si les conditions de mise en œuvre de l’expertise sont remplies.

a. L’appréciation des opérations de gestion critiquées b.

137. Les critères de recherche. Le juge recours à de nombreux critères pour rechercher la véritable nature de l’opération, objet de la demande de nomination de l’expert. Certains sont relatifs à la nature de l’acte concerné (α) et d’autres au caractère sérieux de la demande (β).

α. Le critère d’appréciation fondé sur la nature de l’acte

138. La protection des droits des associés. Régie par les articles 159444 et 160445 de l’AUDSCGIE, l’expertise de gestion est une innovation446 dans le droit de l’OHADA447. Si cette procédure exceptionnelle d’information448 est destinée à prévenir les abus449, elle est présentée surtout comme une mesure destinée à renforcer le droit des associés, en particulier celui des minoritaires, en matière de contrôle de la régularité de la gestion d’une société. Il est nécessaire que les associés minoritaires aient à leur disposition, des instruments juridiques efficaces.

139. La dualité d’interprétation de l’article 159 de l’AUDSCGIE. Aux termes de l’article 159 de l’AUDSCGIE, la demande d’expertise de gestion ne peut porter que sur une ou plusieurs opérations de gestion. Deux critères450 d’appréciation de la nature de l’opération de gestion semblent ressortir de cet article. Le premier critère, dit organique, fait dépendre451 l’opération de la nature de l’organe452 qui l’accomplit et de sa compétence. Ainsi, sont des actes de gestion ceux émanant des organes que la loi qualifie d’organes de gestion, de direction ou d’administration. Dans ce sens, on pourrait penser que les actes de gestion ne peuvent émaner

444 L’art.159 AUDSCGIE dispose que : « Un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital

social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, demander à la juridiction compétente du siège social, statuant à bref délais, la désignation d’un ou de plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion ».

445 L’art.160 de l’AUDSCGIE précise que « S’il est fait droit à la demande, la juridiction compétente détermine

l’étendue de la mission et des pouvoirs des experts ».

446 Contrairement au contexte OHADA, l’expertise de gestion a été consacrée en France depuis plusieurs années. Elle est le fruit de la loi du 24 juillet 1966 et a subi deux modifications. L’une intervenue dans la loi du 1 er mars 1984 et l’autre à la suite de la loi sur les nouvelles régulations économiques.

447Cf. Anoukaha (F.), Abdoulaye (C.), Ndiaw (D.) et al., OHADA, Sociétés commerciales et groupement d’intérêt

économique, Bruylant, coll. DUA, 2002, p.173, n° 261;

448 Cf. Anoukaha (F.), Abdoulaye (C.), Ndiaw (D.) et al., OHADA, sociétés commerciales et GIE, op. cit., p.28, n°44; Pailluseau (J.), « L’acte uniforme sur le droit des sociétés », Communication à la journée de l’association Henri Capitant du 22 nov. 2002, Petites Affiches, Le quotidien Juridique, n°205, p. 19, Ohadata D-04-17, disponible sur www.ohada.com, consulté le 11/02/19.

449 Michelin-Finielz (S.): « L’expertise de l’article L.226 et l’expertise préventive dans les sociétés anonyme »,

Rév. Sociétés, 1982, p.33 et s. spéc. P.3 et 36 : l’expertise de gestion répond « à la nécessité, de protéger les actionnaires contre une gestion défectueuse, de les faire bénéficier d’informations sur cette gestion pour la censurer avant qu’il ne soit trop tard, car un contrôle préventif est toujours plus facile à mettre en œuvre qu’une sanction judiciaire intervenant à postériori (…) de cette façon, est née l’idée d’un contrôle préventif de la gestion réalisée par le moyen d’une information exceptionnelle, mais cependant institutionnelle, c’est-à-dire non contentieuse ».

450 Mouthieu (M. A.), l’intérêt social en droit des sociétés, l’Harmattan, coll. Etudes Africaines, 2009, p. 198 et s., préface de Pougoué (P.-G.).

451 V. les articles 525 AUDSCGIE pour les SA, 240 pour les SARL et 288 pour la SNC.

452 Certains auteurs militent pour une conception plus large de l’organe social. Pour une partie de la doctrine qu’il serait judicieux de faire une distinction entre l’assemblée générale ordinaire et l’assemblée générale extraordinaire « la première étant l’organe collectif de gestion de l’entreprise et la seconde, l’organe structurant de son capital

et des opérations qui modifient la cadre juridique de l’activité », CA Paris, 27 nov., 1991, RTD com., 1992, p.828

que du dirigeant453, puisqu’il est considéré comme l’organe ayant reçu des associés le pouvoir d’assurer la gestion quotidienne de la société. Il s’agit d’une conception qui exclut les actes provenant d’autres acteurs sociaux, notamment ceux des associés réunis en assemblée. Cette exclusion semble se justifier par les conditions d’adoption des délibérations sociales. En effet, on peut estimer qu’au cours des diverses assemblées, l’information des associés est assez bien assurée, d’où le refus de l’expertise pour des actes qui en résultent454.

Le second critère quant à lui, qualifié de critère matériel455, prend en compte l’objet de l’opération. De ce fait, rentrent dans la catégorie d’actes de gestion, « l’ensemble des actes

nécessaires ou utiles à la réalisation de l’objet social »456 ou « ceux qui, quel que soit l’organe

ou la nature, engagent ou portent sur le patrimoine social »457. La notion d’opération de gestion n’a pas été définie par le législateur458, il appartient donc au juge saisi de déterminer le sens à donner à cette notion. Or, face à la dualité d’interprétation de la nature de l’opération de gestion, le juge de l’OHADA n’a retenu aucun critère.

140. L’absence de critère consacré par la jurisprudence dans l’espace de l’OHADA. L’état de la jurisprudence en droit de l’OHADA montre que le juge n’a placé aucune « borne »459 quant à la définition qu’il donne à la notion d’acte de gestion. C’est ainsi que par un arrêt de la Cour d’appel de Cotonou en date du 17 août 2000460, il a été jugé que l’opération de gestion est une notion qui couvrait, inter alia, les transferts de fonds relatif aux opérations de rachat des actions d’une société par une autre et les mouvements de fonds entre les deux sociétés. De même, d’autres arrêts des juridictions des États membres de l’OHADA ont admis l’expertise de gestion notamment pour les opérations de vérification des comptes

453 Cf. Lefeuve (Cl.), Le référé en droit des sociétés, PUAM, 2006, préface de Le Nabasque (H.), p. 89, n°96.

454 Cass. com., 12 janv. 1993, JCP, 1993, II, 22029, note Guyon (Y.) ; Rév. Sociétés 1993, 426, note Saintourens (B.).

455 V. les articles 525 AUDSCGIE pour les SA, 240 pour les SARL et 288 pour la SNC.

456 Cf. Badinter (R.), « Les pouvoirs du PDG de la société anonyme de type classique après la réforme du droit des sociétés commerciales », Dalloz 1969, p.185 et s., spéc. P. 186.

457 Cass. com., 12 janv. 1993, Dr. Soc. 1993, n°58, note sous Le Nabasque (H.)

458 Dans la mesure où, « ni le nombre, ni la nature ne sont déterminées par la loi » : CA d’Orléans, 22 nov., 1971, p.130, note Hemard (J.), RTD Com., 1972, p. 408, obs. Houin (R.) et Saint Alary (R.).

459V. Foko (A.), « L’essor de l’expertise de gestion dans l’espace Ohada », Penant 867, p.173, l’auteur décrit la situation en ces termes : « elle semble se présenter comme un véritable fourre-tout où l’on verse la quasi-totalité

des points d’ombres relevés dans le fonctionnement de la société » ; TRHC Dakar, jugement n°871 du 21 mai

2002, Hassen Yacine c/ Société Natte industrie, Ohadata J-03-04, obs. Ndiaw Diouf. Dans cette affaire, la demande d’expertise fut introduite aux fins d’ordonner un audit de la société, de déterminer la valeur des investissements réels faits pour le compte de la société dans l’intérêt social depuis la création de la structure ; déterminer la valeur réelle des actions ; déterminer l’actif réel de la société ; et déterminer au vu du rapport d’expertise, le montant réel des bénéfices qui auraient dû être distribués à la clôture de chaque exercice comptable.

460CA. Cotonou, arrêt 256/2000 du 17 août 2000, aff. CPI, M. Séfou Fagbohoum, Sonacp, M. Cyr Koty c/ État Béninois.

d’une société ; de vérification de la sincérité des bilans. Pourtant, selon une jurisprudence constante, la mission de l’expert ne saurait porter sur l’ensemble de la gestion de la société461. Cette technique d’information n’est pas un moyen de faire procéder à un audit de la société afin d’y détecter d’éventuelles irrégularités 462. En outre, l’expertise de gestion ne peut être admise lorsqu’elle vise à examiner l’ensemble des activités de la société pendant une longue période463. Le constat est clair, le juge de l’espace de l’OHADA fait un usage abusif de la notion d’acte de gestion, l’attribuant ainsi à tous les actes pris au sein de la société par n’importe quel organe. Et ces abus faits par le juge risquent de s’accroître, si aucune action dans l’optique d’une bonne précision des concepts n’est envisagée. La position du juge de l’OHADA est contraire à celle adoptée par le juge français.

141. Le critère consacré par la jurisprudence française. En France, le juge semble retenir le critère organique464, même s’il faut relever que dans certaines hypothèses, cela a été fait avec quelques assouplissements465. En effet, ces assouplissements avaient pour but de «

déjouer une pratique des dirigeants sociaux qui consistait à soumettre une opération à l’approbation de l’assemblée pour la faire échapper à l’expertise de gestion »466. Ainsi, le critère organique doit donc désormais être compris comme n’excluant la qualification d’opération de gestion que si c’est l’assemblée générale qui en décide elle-même. C’est ce qui permis au juge de retenir dans une affaire que la décision prévoyant une augmentation importante du salaire du gérant constituait un acte de gestion467. A contrario, la qualité d’acte de gestion n’a pas été reconnue à une décision d’augmentation du capital social parce qu’elle relevait de la compétence de l’assemblée d’associés468. A la suite de ces arguments, il se pose

461 CA. Paris, 24 nov. 2000, Juris-data, n°136393 ; CA Montpellier, 12 juin 2001, juris-data, n°166101.

462 Cf. Anoukaha (F.), Cissé (A.), Ndiaw (D.), et al., Sociétés commerciales et GIE, op. cit., p.174, n°261.

463 CCJA, Arrêt n°27/2013 du 18 avr. 2041, Hann c/ SGBC, jurisdata J0. 27-04/2013.

464 Le critère organique a été affirmé à travers les arrêts suivants : arrêt NAZARIAN, Cass. com., 30 mai 1989,

JCP G 1990, II, 21405, obs. Marteau-Petit (M.) ; Bull. Joly 1989, p.717, le juge a décidé que : la décision de

fixation de la rémunération d’un gérant ne constituait pas un acte de gestion susceptible d’être soumise à expertise dès lors qu’elle est soumise à l’assemblée des associés ; CA Paris, 08 nov. 1991, Dr. Sociétés 1992, n°35, note Le Nabasque (H.), le juge avait précisé dans ce cas qu’une décision d’arrêter l’exploitation des fonds de commerce de la société et de consentir à un associé un bail commercial sur les lieux d’exploitation prise en assemblée générale ne pouvait faire l’objet d’une expertise ; CA Versailles, 4 juin 1999, Bull. Joly, 1999, p. 1123, note Menjucq (M.), la décision de départ de certains associés ne pouvait faire l’objet d’une expertise. Il en est de même de la décision de l’élaboration d’un rapport par un cabinet de comptabilité et de gestion. CA Paris, 16 avril 1999,

Dr. Sociétés, 1999, n°152, note Vidal (D.).

465 Par ex. lorsque l’objet de la demande d’expertise porte sur un apport partiel d’actif, Cass. com., 12 janv. 1993,

JCP G 1993, II, 22029, note Guyon (Y.) ; Rev. Sociétés 1993, p. 426, note Saintourens (B.) ; Bull. Joly 1993, p.

343, note Le Cannu (P.).

466 Cf. Lefeuvre (Cl.), Le référé en droit des sociétés, PUAM, 2006, p. 93, n°101, préface de Le Nabasque (H.).

467 Cass. com., 8 jan. 1991, n° 89-11.365, Bull. Joly, 1991, p. 286.

468 Cass. com., 25 sept. 2012, n° 11-18.312 p, Bull. Joly, 2013, p. 48, note Parachkévova (I.) ; Rev. Sociétés, 2011, p. 286, note Barbièri.

la question de savoir si l’acte amenant une assemblée générale à se prononcer seulement pour en tirer les conséquences de l’opération déjà décidée par l’organe de gestion peut être considérée comme une opération de gestion. La Cour d’appel de Paris a répondu par l’affirmative469, justifiant sa position par le fait que, « les conventions soumises, par

application de l’article 101 de la loi du 24 juillet 1966, à l’autorisation préalable du conseil d’administration et qui nécessitent une délibération spéciale relevant des seuls pouvoirs des dirigeants constituent des opérations de gestion, l’assemblée étant seulement amenée à se prononcer pour tirer les conséquences d’une opération décidée par l’organe de gestion ».

Malgré toutes ces précisions, le critère organique auquel recours la jurisprudence française pourrait être critiqué.

142. Les critiques du critère organique. Des critiques sont apportées à la seule considération par la jurisprudence du critère organique comme critère de détermination de la notion d’acte de gestion. D’abord, tous les actes émanant des organes de gestion ne sont pas des actes de gestion, il en ait ainsi des actes accomplis en cours de fonctionnement de la société470. Ensuite, les organes de gestion ne sont pas les seuls à prendre un acte de gestion ou à participer à son adoption. Enfin, comment le juge doit-t-il appréhender la notion de dirigeant social ? Son appréciation se fait-t-elle de manière restrictive ou de manière extensive ? Précisément, outre les dirigeants de droit, le juge peut-il valablement autoriser une expertise de gestion relativement à un acte accompli par d’autres types de gérants ?

143. L’absence de définition légale du dirigeant social. La notion de dirigeant n’a pas été définie par le législateur de l’OHADA. Il a simplement opéré un classement en fonction des formes de sociétés. Ainsi, on range dans la catégorie des dirigeants sociaux, les gérants des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite simple ou des sociétés à responsabilité limitée, au président du conseil d’administration, au président directeur général, au directeur général au directeur général adjoint et à l’administrateur général des sociétés anonymes. Selon une doctrine constante, la notion de dirigeant devrait être largement appréciée. C’est-à-dire que du moment où il s’agit au bout du compte d’aboutir à un fonctionnement harmonieux de la société, le juge pourrait permettre d’initier l’action dont il s’agit quel que soit le dirigeant

469 CA Paris, 20 mai 1998, Bull. Joly 1998, p.1159, note Le Cannu (P.) ; Dr. Sociétés 1998, n° 127, note Vidal (D.) : « la notion d’opération de gestion au sens de l’article 226 correspond aux mesures arrêtées par les actes

de gestion et non aux actes relevant de la compétence exclusive des assemblées des associés ». 470 CA Paris 27 nov. 1991, RTD Com. 1992, p.828, obs. Champaud (C.).

ayant accompli l’acte : dirigeant de droit ou de fait, dirigeant apparent ou occulte, dirigeant bénévole ou rémunéré 471.

144. La position jurisprudentielle. La jurisprudence est allée dans le même sens que la doctrine en définissant le dirigeant de fait472 comme celui qui, en toute souveraineté et indépendance, exerce une activité positive de gestion et de direction473. Récemment, certains juges ont complété cette définition en décidant qu’il y’a gestion de fait lorsque peuvent être relevés à l’encontre du dirigeant « des faits précis de nature à caractériser une immixtion dans

la gestion, se traduisant par une activité provisoire et indépendante »474. Cette position a été adoptée par les juges dans un arrêt du 25 mai 2007. En l’espèce, une société à responsabilité limitée avait été créée par deux associés. L’un deux Sieur Noubicier Léon était le gérant statutaire. Mais, il a été plus tard éjecté de ces fonctions par son coassocié et dès ce moment il semblait que rien ne devait plus aller dans la société. Le gérant statutaire s’était plaint en effet de nombreuses irrégularités du fait de son coassocié qui était devenu gérant de fait. Malgré la qualité de gérant de fait reconnu à cet associé, le juge a nommé un expert qui devait procéder à une expertise sur les opérations effectuées par ce dirigeant475. L’attitude du juge dans cette affaire permet de comprendre que ce qui retient son attention, c’est la situation de la société au moment où il est saisi. Son souci étant d’empêcher un dysfonctionnement de la société. C’est ce qui paraît justifier l’extension de son pouvoir d’appréciation vers le critère fondé sur le sérieux de la demande.

471 Cf. Foko (A.), « L’essor de l’expertise de gestion dans l’espace Ohada », op. Cit.

472 Il revient au juge de fond de relever et d’exposer dans leur décision le faisceau d’indices qui les autorise à déduire qu’il y’a véritablement direction de fait. V. par ex. Cass. com., 22 janv. 2002, S. Troscia c/ Fray et A. :

juris-data n°2002-013865, note Legros (J-P.). Les juges de fond avaient pour établir l’existence de la direction de

fait et du siège de la société, les réunions des assemblées, en ce même lieu, le rôle actif de la personne qualifiée de dirigeant de fait qui définit la stratégie de la société à égalité avec les autres participants, l’usage par l’intéressé du titre de directeur commercial, l’emploi d’une délégation de pouvoir en matière bancaire donnée par le dirigeant de droit au dirigeant de fait, la transmission par ce dernier des renseignements nécessaires à l’établissement des comptes.

473 CA Paris, 1er févr. 1978, Dr. Sociétés, 1979, IR, 4 obs. Derrida ; Nancy, 15 déc. 1977, JCP G, 1978, II, 18912.

474 V. Cass. com., 18 janv. 2000, juris-data, n°000287; CA Paris 3e chbre. Sect. c, 6 oct. 2000, Bull. Joly 2001, 95, n°6.

β. Le critère fondé sur le sérieux de la demande

145. Présomption d’atteinte à l’intérêt social. Pour être admissible, la demande d’expertise de gestion doit avoir un caractère sérieux, il suffit pour cela que « la conformité à

l’intérêt social soit douteuse »476. Les juges saisis d’une demande d’expertise de gestion doivent, pour décider du bien-fondé de celle-ci, se déterminer exclusivement en fonction de la menace dont l’acte litigieux est porteur au regard de l’intérêt social477. C’est-à-dire que l’atteinte à l’intérêt social n’est pas une condition de recevabilité de l’action478 puisque la preuve d’une présomption d’irrégularité entachant les opérations de gestions concernées suffit à faire intervenir le juge. Cette solution a pour fondement un arrêt rendu le 10 février 1998 de la chambre commerciale de la Cour de cassation479. Dans cette affaire, deux actionnaires minoritaires avaient demandé la nomination d’un expert de gestion dont la mission devait être celle de déterminer les conditions de l’achat par leur société d’un immeuble à l’actionnaire majoritaire. La Haute Cour a rejeté cette demande en justifiant sa décision par le fait que, les motifs invoqués par les associés minoritaires étaient « impropres à établir que l’acte de gestion

n’était pas susceptible de porter atteinte à l’intérêt social et ainsi à justifier la demande d’expertise ». Cependant, la présomption d’atteinte à l’intérêt social comme fondement de la

nomination de l’expert de gestion a été progressivement abandonnée au profit d’un nouveau critère.

146. Le nouveau critère retenu. Les arrêts rendus depuis 1998 ne font plus explicitement référence à l’intérêt social. Ils reviennent aux formules antérieures selon lesquelles la demande doit présenter un caractère sérieux480 ou doit faire état de présomption sérieuses d’irrégularités. Quelle que soit la formule utilisée, l’expertise de gestion ne constitue

476 V. Kamnang K. (I.-Fl.), Les pouvoirs du juge dans les sociétés commerciales de droit OHADA, op. cit., 2017, p. 254, n°270.

477 Pour autant, elle ne peut être déclenchée et le juge n’y fera droit que si la mesure permet d’anticiper sur une crise ou un dysfonctionnement social susceptible de naître. TPI Bafang, Ord. de référé n°27/ORD/ CIV/TPI 2007 du 25 mai 2007 aff. Sieur Noubicier Léon c/ Sieur Ngamako Michel, Juridis Périodique n°78, avr, mai, juin 2009, note sous Kalieu (Y. R.).

478 Dans un arrêt de la CA Paris, 14e chbre., sect. A, 20 mai 1998, les juges ont rappelés que : « la recevabilité

d’une telle action n’est pas subordonnée à la preuve que les organismes sociaux aient méconnu l’intérêt de la société, ni détourné les pouvoirs de leur finalité, puisque la mesure d’information et de contrôle organisée par l’art. 226 tend justement à l’établissement de cette preuve ».

479 Cass. com., 10 févr. 1998, Bull. Joly, 1998, p.468, note Menjucq (M.); Rév. Sociétés 1998, p.82, note Didier (P.).

480 CA Paris, 20 mai 1998, Bull. Joly 1998, p. 1159, note Le Cannu (P.); Rév. Sociétés 1998, Somm., p.630, obs. Guyon (Y.); Paris, 4 févr. 2000, RTD com. 2000, p. 373, obs. Champaud (C.) et Danet (D.).

pas un moyen de remettre en cause la gestion décidée par les dirigeants481. Il s’agit d’une simple mesure d’information, destinée à assurer le fonctionnement régulier de la société. Le juge ne l’ordonne que si le demandeur établit de sérieux doutes sur la régularité de telle ou telle opération482. Les tribunaux ne se fondent pas sur l’attitude du demandeur mais sur la situation

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