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La décision de constitution des réserves facultatives

Un contrôle des actes sociaux peu adapté à la vie des sociétés

Section 1. Le cas des décisions économiques et financières

1. La décision de constitution des réserves facultatives

214. La légitimité des réserves facultatives. Les réserves facultatives636 sont les sommes retenues sur les bénéfices ou excédents de recettes après les réserves obligatoires et ayant une affection particulière637. L’article 143 al 2 de l’AUDSCGIE dispose que « l’assemblée peut décider la distribution de tout ou partie des réserves à la condition qu’il ne

s’agisse pas de réserves considérées comme indisponibles par la loi ou par les statuts »638. Le dernier alinéa du même article ajoute qu’aucune distribution ne peut être faite aux associés lorsqu’à la suite de cette distribution, les capitaux propres sont ou deviennent inférieurs au montant du capital augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer, exception faite du cas de la réduction du capital. Le législateur de l’OHADA a voulu à travers ce dernier alinéa soumettre la détermination des sommes distribuables au respect du principe de l’intangibilité du capital social. L’assemblée doit donc, avant toute décision de distribution de dividendes, vérifier que le montant de l’actif net ne deviendra pas inférieur aux capitaux propres augmentés des réserves obligatoires du fait de la distribution. En outre, elle doit indiquer les postes de réserve sur lesquels les prélèvements sont effectués639, sous peine de poursuite du dirigeant pour distribution de dividendes fictifs640. En dépit de tout, la loi donne la liberté aux associés641 de pouvoir décider de porter à un compte de réserve facultative tout ou partie du bénéfice disponible, même si cette mesure met en opposition deux principes en droit des sociétés.

215. L’opposition de deux principes en droit des sociétés. La difficulté consiste dans l’opposition de deux principes en droit des sociétés. Il s’agit, d’un côté, de la loi de la majorité qui décide de mettre en réserve tout ou partie des bénéfices et, de l’autre, du droit au partage des bénéfices qui est même un élément de la définition du contrat de société. Au point de vue

636 En plus des réserves facultatives, l’affectation des résultats doit tenir compte des réserves légales imposées aux sociétés commerciales et des réserves statutaires prévues dans les statuts.

637 Cf. Cornu (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 904, V° réserve facultative ou libre.

638 Les réserves facultatives sont prévues en France par l’article L.232-12 du code de commerce.

639 Cf. art. 143 al. 3 de l’AUDSCGIE.

640 Cass. Civ., 20 mars 2014, Bull. Joly, 2014, p. 370, note Poracchia.

641 Cozian (M.), Viandier (V.) et Deboissy (Fl.), Droit des sociétés, Lexisnexis, 32e éd., coll. Manuel, 2019, p.260, n°597.

de l’intervention judiciaire, ce constat pose le problème du pouvoir des tribunaux face à des délibérations sociales qui, pour constituer des réserves facultatives, privent pratiquement les associés de toute participation aux bénéfices en incorporant totalement ou en grande partie ceux-ci dans les réserves facultatives.642 Plusieurs possibilités s’offrent et dépendent de la conception que l’on se fait des droits des associés par rapport à l’intérêt social.

216. Les solutions possibles. La première solution résulte du caractère absolu du droit à la distribution des bénéfices. Pour certains auteurs, le droit à la distribution des bénéfices durant la vie sociale est absolu. C’est la raison d’être des sociétés par actions643. Par la priorité ainsi donnée aux droits individuels644, les tribunaux se voient conférer le pouvoir d’apprécier le caractère nécessaire et même utile de la méconnaissance du droit à la distribution des bénéfices645. La deuxième solution, quant à elle, concerne le caractère subsidiaire du droit à la distribution des bénéfices. D’autres auteurs en revanche enseignent la négation du droit des associés aux dividendes au profit de l’intérêt social. L’assemblée des associés se voyait reconnaître le droit de constituer des réserves avec partie ou totalité des bénéfices sans autre justification que la volonté de la majorité. Cette solution a pour conséquence d’exclure toute intervention judiciaire puisque l’assemblée des associés règne en maître absolu. Heureusement, la troisième solution, celle médiane, a permis à la dernière catégorie d’auteurs d’essayer de prendre une position plus nuancée, admettant comme principe le droit des associés à des dividendes mais laissant à l’assemblée le soin d’en fixer le chiffre646. Quelle que soit la position extrême adoptée dans le débat théorique, le juge fait preuve d’une certaine prudence. Son rôle consiste à rechercher dans le comportement des auteurs de la décision de mise en réserve, l’existence d’un abus.

217. La recherche d’un comportement abusif. La dotation des réserves facultatives, fût-elle systématique, ne constitue pas en soi un abus. Son but est de renforcer les capitaux propres de la société. Elle le devient lorsque les associés l’ont fait dans leur propre intérêt au

642 L’objectif recherché par ces constitutions de réserves est multiple. Elles peuvent, par exemple, être constituées dans le but de prévoir des pertes éventuelles. Mais dans la plupart des cas, il s’agit d’un souci d’autofinancement ; Goffin (M.), L’autofinancement des entreprises, Paris Sirey, 1968, p.55 ; Brochier, « Les investisseurs dans la théorie et les faits », in L’entreprise et les problèmes de l’investissement, Dalloz 1959, p. 68.

643 Amiaud (A.), Traité théorique et pratique des comptes de réserves dans les sociétés par actions, Sirey, 2e éd., 1920, p.244.

644 Cette opinion n’ignore pas pour autant les impératifs sociaux supérieurs au droit individuel, aux mesures d’intérêt social que la majorité indiquera mais dont le caractère nécessaire pourra faire l’objet d’un contrôle.

645 Ce qui implique de leur part un contrôle d’opportunité de la décision financière.

646 Le seul recours devant les tribunaux se fondait sur l’intention de nuire car le contrôle judiciaire se trouvait réduit à peu de chose.

détriment de l’intérêt social. Le rôle du juge dans ce cas consiste à rechercher cet abus. Il y a abus lorsque la décision d’affectation des bénéfices aux réserves a été prise contrairement à l’intérêt des associés minoritaires, dans l’unique dessein de favoriser les associés majoritaires et sans que cette décision ne puisse être justifiée par l’intérêt social.

218. Un comportement abusif lié à l’intérêt social. En France, dans la célèbre affaire du Planteur de Caïffa647 du 16 novembre 1943648, malgré le grief de détournement de pouvoir évoqué, les juges refusèrent d’annuler la délibération de report à nouveau de bénéfices qui leur était soumise. Ils invoquèrent pour motif que la décision était prise dans l’intérêt social, que la somme reportée était normale eu égard à l’importance des bénéfices sociaux et des charges sociales. Dans cette affaire, le comportement abusif se mesura par rapport à l’intérêt social.

Quelques années plus tard, la Cour de Cassation allait rendre une autre décision dans laquelle, une fois de plus, la délibération sociale serait maintenue mais où les motifs seraient plus lourds de sens et sembleraient admettre le principe d’une appréciation par le juge de l’intérêt social649. Pour admettre un report à nouveau, la Cour de Cassation considéra en effet que la société présentait une situation financière enviable, que les dividendes avaient progressé et étaient devenus substantiels. La Cour ajouta que les titres, loin d’être avilis, avaient vu leur valeur s'accroître. Ainsi, malgré des arrêts refusant d’annuler les délibérations d’assemblées générales, la Cour réservait le droit pour les tribunaux d’apprécier si les constitutions de réserves avaient été faites dans l’intérêt de la société et si elles n’avaient pas eu pour mobile de satisfaire les intérêts personnels de certains au détriment de l’intérêt social650. C’est la position qu’a décidée de suivre le juge de l’OHADA.

219. L’action judiciaire fondée sur l’article 130 al. 2 de l’AUDSCGIE. Le juge de l’OHADA, fondant son action sur l’article 130 al. 2 de l’AUDSCGIE, est allé dans le même sens que son homologue français. Il a précisé dans un arrêt651 qu’il ne peut « y avoir abus de

majorité dans l’hypothèse où la société a un important besoin de financement en capital

647 La décision attaquée était maintenue mais au terme d’une analyse de certains éléments de la situation économique de la société, elle était considérée comme prise dans l’intérêt de la société. Cet intérêt social était nécessairement apprécié par le juge. V. Portermer, « Le contrôle judiciaire des décisions des assemblées générales des sociétés », in Revue de la Cie des commissaires des sociétés agrées par la Cour de Paris, janv-juill. 1964, p.22.

648Req. 16 nov. 1943, JCP 1943, II, p.2551, note de Lescot.

649 Cass. com., 20 janv 1958, Bull. civ., III. 24, Rev. Sociétés, 1958, p. 286, note Jean Autesserre (M.).

650 Ibidem.

651 V. TR de Niamey, jugement civil n°96 du 26 mars 2003, Abbas Hamoud c/ Jacques Claude Lacour, Ohadata J-04-78, disponible sur www.ohada.com., consulté le 1er oct. 2018.

confirmé, le cas échéant, par un rapport d’expertise652”. Ainsi, pour apprécier l’abus, les juges

doivent avoir recours à la méthode du « faisceau d’indices »653, c’est-à-dire qu’ils doivent tenir compte de la période de non-distribution des dividendes qui doit être très longue, de la comparaison du niveau des réserves et du capital social, de l’existence d’une procédure d’agrément limitant les cessions, de l’existence d’un marché, de la comparaison de l’évolution des rémunérations des majoritaires lorsqu’ils sont salariés ou qu’ils perçoivent des rémunérations de la société et des bénéfices. Compte tenu de la légitimité de principe de l’affectation des bénéfices en réserve, ce n’est qu’exceptionnellement que la décision de non distribution prise par les majoritaires sera susceptible d’être valablement contestée. Lorsqu’au moment de la nouvelle délibération les associés majoritaires sont hostiles à la modification de la décision, le juge saisi reste très prudent dans l’appréciation de la décision d’affectation des bénéfices. Son contrôle porte sur une recherche approfondie des éléments contingents ayant présidé à l’appréciation par les membres de la majorité de l’intérêt de la société. Comme moyen de sanction, le juge africain ne dispose que de l’article 130 al. 2 de l’AUDSCGIE, qui lui sert de fondement à l’annulation de la délibération irrégulière. En plus de l’annulation, il peut engager la responsabilité des associés majoritaires. Le juge n’ayant pas le droit de s’immiscer dans la gestion de la société, il lui est en principe interdit de prendre des arrêts valant vote654. Les réserves facultatives abusives sont susceptibles de porter atteinte aux droits de tous les associés qui ne tirent aucune contrepartie des titres qu’ils possèdent. Il en est de même des actions de préférence détournées de leur but.

2. La décision de modification du taux de dividende réservé aux actions de préférence 221. La consécration des actions de préférence. La révision de l’acte uniforme a engendré la création de nouvelles catégories d’actions dénommées actions de préférence655. Par le biais de ces actions, les actionnaires peuvent désormais, lors de la constitution de la société ou au cours de son fonctionnement, créer des actions avec ou sans droit de vote leur permettant de jouir d’avantages particuliers par rapport à toutes les autres actions656.

652 Ibidem.

653 Fénéon (A.), Droit des sociétés en Afrique OHADA, LGDJ, Lextenso éditions, 2015, n° 1069, p.415.

654 V. supra n° 98 et s.

655 Ces actions offrent un traitement plus favorable à leurs propriétaires puisqu’elles mettent fin au principe d’égalité des actionnaires qui exigeait que chaque action soit attachée à un droit de vote proportionnel à la quotité du capital qu’elle représente et, aussi, que chaque action donne droit à une voix au moins.

656 Cf. art. 755 de l’AUDSCGIE et art. 778-1al. 1 de l’AUDSCGIE. En droit Français, cette catégorie d’actions est consacrée par l’art. L. 228-11 du code de commerce.

L’introduction d’actions de préférence au sein de l’espace OHADA et la modernisation de son régime par la loi PACTE dans le contexte français sont d’une importance capitale657. En effet, elles permettent de couvrir un large éventail de structures adaptées à des investissements spécifiques. Les actions de préférences regroupent les actions sans droit de vote, les actions avec droit de vote, et les actions conférant des avantages particuliers658. Ces avantages peuvent être relatifs aux dividendes, à un droit spécial à l’information ou au droit de représentation dans les organes sociaux659. Par ailleurs, en droit de l’OHADA, elles ne peuvent bénéficier qu’à certains actionnaires660. Toutefois, pour un meilleur encadrement de ces actions, le législateur de l’OHADA exige que le nombre d’actions sans droit de vote ne puisse excéder plus de la moitié du capital social661. En plus, elles peuvent être supprimées par l’assemblée extraordinaire, à condition que la mention de cette suppression soit portée à l’ordre du jour de ladite assemblée662. Si la consécration de ces actions répond à la spécificité du contexte sociétal en droit des sociétés, sa mise en œuvre reste sujette à discussion au regard de l’imprécision de la notion d’avantages particuliers.

222. L’imprécision de la notion d’avantages particuliers. L’article 755 de l’AUDSCGIE qui consacre les actions de préférences ne donne aucune définition de la notion d’avantages particuliers663. Néanmoins, il laisse le soin à l’article 778-1 du même acte d’en déterminer le contenu. Or, cet article, quant à lui, n’apporte aucun critère permettant de les catégoriser664, il se contente de préciser que « ces droits particuliers peuvent être de toute

nature, à titre temporaire ou permanent ». De son côté, le législateur français, par le biais de

la loi PACTE, a fourni des efforts allant dans le sens de l’amélioration du régime des avantages particuliers mais ces efforts ont été limités au renforcement de la qualité du titulaire des 657 Fénéon (A.), Droit des sociétés en Afrique OHADA, op. cit, n°69, p. 27; Meukeu (Y. B.), « L’action de priorité en droit OHADA », Rev. Jurifis Info, sept.-oct, 2011, n°11, p.9, disponible sur www.ohada.com, consulté le 06/03/19 ;

658 Dans le cadre des actions de préférences, la notion d’avantages particuliers ne doit pas être définie dans son sens courant parce que ces actions peuvent être également désavantageuses. C’est notamment le cas lorsqu’elles sont dépourvues du droit de vote.

659 C’est l’exemple de l’émission d’actions qui a été effectuée par BNP Paribas le 31 mars 2009 à la suite de l’assemblée générale des actionnaires tenue le 27 mars de la même année. Disponible sur https://group.bnpparibas, consulté le 60/03/19.

660 Cette obligation n’est pas valable dans le contexte français dans lequel la possibilité de bénéficier des avantages particuliers a été élargie à toute personne par la loi PACTE. Cf. article L.228-18 al.1 du Code de commerce.

661 Cf. art. 778-1al. 4 de l’AUDSCGIE.

662 Cass. com., 25 sept. 2012, n°11-17.256, PB, Rev. Sociétés, 2013, p. 158, note Le Nabasque (H.).

663 Martin (D.), Saba (O) et Fallet (S.), « Pistes de réflexion pour une réforme du régime des actions de préférence », JCP E 2010, 1821.

664 Un auteur, donnant une idée des actions de préférences, précise qu’il s’agit autant des droits de nature financière, que des droits de vote et même des droits extra-financiers. V. à ce sujet Granier (T.), « Le renouvellement du droit des valeurs mobilières », Dossier, « réforme du droit uniforme des sociétés des États membres de l’OHADA », Journal des sociétés, 2014, disponible sur https://www.jss.fr, consulté le 06/03/19.

avantages particuliers. C’est ainsi qu’aux termes du nouvel article L.228-18 al. 1 du Code de Commerce, la procédure des avantages particuliers ne s’applique plus uniquement au profit d’un ou de plusieurs actionnaires. Désormais, cette procédure bénéficie à toute personne665

nommément désignée, qu’elle soit ou non actionnaire. À notre avis, l’absence de définition de la notion d’avantages particuliers par le législateur traduit le principe de la souveraineté de l’assemblée générale extraordinaire en matière de décision d’émission, de rachat ou de conversion de ces actions. Or, ce silence rend difficile l’intervention du juge en cas de contestation de la décision de l’assemblée générale extraordinaire y relative.

223. La position de la Cour de cassation. En l’absence de décision dans le cadre de l’OHADA sur la question à notre connaissance, nous ferons référence à la jurisprudence française. Dans une affaire du 13 juin 1967666, l’assemblée générale extraordinaire avait décidé de la modification du taux de dividendes réservés aux actions de préférence. Cette modification avait eu pour conséquence la suppression du droit aux supers dividendes de certains actionnaires qui saisissaient les juges d’une demande en nullité pour abus de droit de ladite assemblée. La Cour de cassation, allant dans le même sens que la Cour d’appel, rejeta le pourvoi en précisant que c’était à bon droit que la Cour d’appel avait refusé d’admettre qu’il y avait abus de droit. Elle estima que les juges du fond avaient procédé à une « analyse

rigoureuse de toutes les circonstances de la cause » et « que les décisions prises par ces assemblées avaient eu des conséquences les plus heureuses tant pour la personne morale que pour les actionnaires ». Dans cette affaire, la Haute juridiction avait fait primer l’intérêt de la

société sur les intérêts des associés minoritaires.

224. Les juges ne se sont pas contentés de rechercher dans cette décision l’intention de l’auteur de l’acte. La Cour de cassation ne se montre pas choquée de voir que les juges apprécient et approuvent « les conséquences heureuses » de certaines décisions. De manière surprenante, elle fonde l’abus de droit sur les résultats économiques de la décision de l’assemblée générale extraordinaire. Selon nous, le rejet du pourvoi trouve tout son sens. Les juges ont fait bon usage de leur pouvoir souverain d’appréciation. Le juge de l’OHADA gagnerait à suivre cet exemple, dans la mesure où son intervention vise à protéger l’intérêt de la société. Il pourrait fonder son intervention sur l’article 130 de l’AUDSCGIE in fine qui

665 Cette notion pourrait poser un problème quant au moment de l’indentification du bénéficiaire. V. Le Cannu (P.) et Dondero (B.), Droit des sociétés, LGDJ, 8e éd., coll. Domat, 2019, p. 467, n°648.

666 Cass. civ., 13 juin 1967, Société Générale des Pastilles et produits Vichy et autres c/ S.A. Scheppes GP 1968, 186.

l’autorise, en cas d’abus de majorité, à apprécier la décision contestée par rapport à l’intérêt social. Ce pouvoir lui permettrait d’éviter le cantonnement de son action comme c’est le cas en matière de cession des droits sociaux.

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