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Le travail d’ingénierie moléculaire autour des ligands ancillaires est crucial dans la chimie de tous les métaux, tant les paramètres stériques et électroniques de ces ligands influent sur la réactivité des complexes métalliques formés. Conjuguée aux propriétés intrinsèques originales des métaux f, leur optimisation permet d’accéder à des réactivités nouvelles, parfois très étonnantes par comparaison avec leurs analogues des métaux de transition.

Historiquement, le développement de la chimie des métaux f a été intimement liée à celle impliquant les ligands de type Cp, omniprésents depuis le premier complexe d’actinide isolé par Wilkinson, Cp3UCl,117 et faisant encore l’objet de nombreuses recherches

académiques, via l’apport de nombreuses modifications au noyau Cp original (ligands Cp*, de type ansa, etc.).118

Parallèlement, la recherche de ligands dont l’architecture serait la plus ajustable, tant d’un point de vue électronique que stérique, a apportée plusieurs solutions alternatives à la prédominance des ligands Cp. Les métaux f étant principalement des acides durs et de grand rayon ionique, de tels ligands sont souvent articulés autour de bases de Lewis dures, azotées et/ou oxygénées. S’est ainsi développée la famille des ligands N,N et N,O pinceurs (figure 15), dans lesquels d’une part la polydenticité permet la stabilisation des ions lanthanides et actinides, de rayon ionique large, et d’autre part la charge négative souvent plurielle stabilise des ions développant des liaisons à caractère majoritairement ionique.

figure 15 : Exemples de ligands N,N et N,O pinceurs utilisés avec les métaux f

On pourra citer de manière non exhaustive les amines tertiaires fonctionnalisées par des groupes amidures permettant de stabiliser des nitrures d’uranium(VI),119 ou par des phénolates (vide supra).120 Des donneurs neutres moins durs, tels que dans les molécules de type BTBP, sont envisagés pour la séparation sélective des transuraniens vis-à-vis des

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28 lanthanides trivalents, processus important lors du retraitement du combustible nucléaire usagé.83 Des structures de type salophen permettent par exemple à des complexes de lanthanides trivalents d’accéder à des processus multiélectroniques, centrés sur les ligands.121 Les amidinates sont des ligands largement employés dans des complexes de lanthanides pour la catalyse de polymérisation par exemple, grâce à la souplesse de modification de leur squelette.122

Notre attention s’est portée plus particulièrement sur la famille des β-diiminates. Leur squelette, couramment noté NacNac, possède cinq positions facilement fonctionnalisables, en plus d’être généralement aisément synthétisés via une double condensation d’amines primaires sur une β-dicétone. Ces propriétés attrayantes ont contribué à la popularité des ligands β-diiminates, dont l’espèce la plus représentative est sans doute l’anion [((2,6- diiPrPh)N=C(Me))2C]– (figure 16), qu’on retrouve comme ligand ancillaire tant avec les

métaux de transition que les métaux f, et ce dans de nombreux domaines d’applications. Ce ligand L– a ainsi permis de stabiliser des liaisons métal-métal à des degrés d’oxydation non usuels (MgI–MgI, Stasch).123 Son encombrement stérique est par ailleurs adéquat pour synthétiser des complexes insaturés capables d’activer des petites molécules dans des complexes de NiI (Driess)124 ou de FeII (Holland)125 ou prompts à être actifs en catalyse pour polymériser tant des alcènes (éthylène par [L2NiII], Arthur)126 que des monomères polaires

(lactides par [L2ZnII], Coates).127 En outre, l’emploi d’un β-diiminate plus léger, notamment

en remplaçant les groupements portés par les atomes d’azote (notés RN) par des isopropyles,

permet la synthèse de complexes volatiles, employés dans des techniques de dépôt métallique par voie chimique à l’aide ou non de co-réactif (Cu, Rheingold),128 ou pour le greffage d’halogénures métalliques (de type CaF2 par exemple) sur des surface de silice (Roesky).129

figure 16 : Ligand [((2,6-diiPrPh)N=C(Me))2C]–,noté L–

Plusieurs modifications ont été apportées au squelette NacNac pour s’adapter aux contraintes qu’implique l’usage des ions lanthanides et actinides, notamment en augmentant la denticité de ces ligands par l’apport de bases de Lewis, azotées ou oxygénées, sur les groupements RN (figure 17). Des fonctions éther (méthoxy) ont permis de stabiliser des

complexes d’yttrium coordiné par un ligand β-diiminate tri- (A)130 ou tétradente (B),131 actifs en polymérisation du lactide.132 Dans le même ordre d’idée, des fonctions amines tertiaires ont été greffées au squelette NacNac pour créer des ligands tétradentes (C)133–136 capables de stabiliser des ions lanthanides dans des complexes également actifs en catalyse.137

Le greffage de fonctions anioniques permettrait de stabiliser des ions métalliques à haut degré d’oxydation, comme l’uranium hexavalent par exemple. Etonnamment, très peu d’exemples de ligands β-diiminate polyanioniques ont été rapportés dans la littérature. Ils sont exactement au nombre de quatre (figure 18). Les deux premiers représentants sont les ligands I et II. Le ligand I, synthétisé par Bertrand et al. en 1974 est trianionique, fonctionnalisé par deux fonctions alcoolates, mais a été généré dans la sphère de coordination du CoIII, synthèse non transposable à d’autres métaux, et donc d’un intérêt limité.138 Il a fallu attendre 2009 pour

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29 voir apparaître la synthèse d’un proligand dianionique, II, fonctionnalisé par une fonction amidure. Trois espèces ont pu être synthétisées en faisant varier le groupement pendant R, qui doit nécessairement être très encombré, au risque de rendre la synthèse non viable.139 En novembre dernier, Itoh a publié la synthèse du proligand H3L III, issu d’une double trans-

amidification formelle astucieuse, générant une espèce possédant un groupement nitro sur son carbone central, fonction d’une importance capitale, puisque son absence rend cette synthèse non viable, limitant de fait le squelette β-dicétone de départ accessible.140 Enfin, en mars 2013, le proligand H2L’ IV a été obtenu par l’équipe de Storr par condensation d’une amine-

énamine déjà préformée sur une orthoquinone, la formation du cycle benzoxazole ainsi que l’absence de deux équivalents d’hydrure réducteurs pourtant nécessaires à la réaction restant inexpliquées.141

figure 17 : Exemple de complexes de terres rares stabilisés par un ligand β-diiminate fonctionnalisé par une (des) base(s) de Lewis neutre(s)

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