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Influence des ligands ancillaires sur les propriétés rédox des métaux f

III Influence des ligands ancillaires sur la réactivité des complexes de métaux f

III.6 Influence des ligands ancillaires sur les propriétés rédox des métaux f

La découverte par Kagan d’une préparation simple de SmI2,26,96ainsi que l’isolement

du premier complexe organo-soluble Cp*2Sm(THF)2 par Evans,97 ont permis l’essor de la

chimie des lanthanides divalents comme réducteurs monoélectroniques. De nombreuses applications en synthèse organique,98 en polymérisation99 ou pour activer de petites molécules100 ont ainsi été mises à jour dans le cas de complexes du SmII. Toutefois, les complexes organométalliques du samarium divalent ne réagissent pas toujours de manière reproductible et/ou compréhensible, voire mènent uniquement à des produits de dégradation.101 Dans le cas des lanthanides trivalents, leurs propriétés chimiques très voisines et la graduation relativement constante de la contraction de leur rayon ionique (pas de 0,01- 0,02 Å) permettent une optimisation de systèmes catalytiques par changement de l’ion métallique. Avoir une démarche analogue pour les lanthanides divalents serait un atout très valorisable pour mieux contrôler la réactivité des complexes de lanthanides divalents. Cette stratégie reste toutefois confrontée à un problème majeur. Jusqu’à très récemment, il n’existait que cinq autres complexes de lanthanides divalents, regroupés en deux catégories. D’un côté ceux des ions EuII et YbII, plus facilement stabilisés car moins réducteurs que le SmII (E0 = – 0.35(Eu), –1.15(Yb), –1.55(Sm) V vs ENH). Les trois autres ions divalents ayant un potentiel standard de réduction directement plus bas que celui de Sm, donc très réactifs, ont été par la suite également stabilisés (E0 = –2.3(Tm), –2.5(Dy), –2.6(Nd) V vs ENH). 102 On notera que Lappert103 puis Evans104–106 ont synthétisé des complexes de LaII puis HoII, ErII, PrII, GdII, TbII, LuII et YII à partir des analogues trivalents Cp’’3Ln (Cp’’ = 1,3-(SiMe3)2C5H3) par

réduction au moyen de graphite de potassium en présence d’éther-couronne ou de cryptand. Ces complexes sont limités à ce système de ligands ancillaires particulier. On remarquera que chaque potentiel de réduction est très nettement différent, les lanthanides divalents ayant par conséquent des réactivités très distinctes les uns des autres. La substitution du centre métallique pour optimiser finement la réactivité d’un complexe organométallique de

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24 lanthanide divalent n’est donc pas viable. A la place, une modulation plus fine de la réactivité de ces complexes, comme avec le SmII, a été envisagée via l’emploi de ligands ancillaires particulièrement bien adaptés.

En effet, le complexe de samarium trivalent Cp*3Sm,107,108 fortement encombré, a

montré des propriétés réductrices vis-à-vis de divers substrats109 similaires à la réactivité de l’analogue de SmII, Cp*2Sm (schéma 5, éq. 1).110 Ces réactions mettent en lumière le pouvoir

réducteur joué par les ligands dans le complexe de SmIII, via la production concomitante du produit d’oxydation Cp*–Cp*. Par ailleurs, Evans a montré que ces propriétés réductrices, basées sur le ligand, étaient couplées à un encombrement stérique particulièrement important autour du samarium trivalent. Caractérisé à l’état solide par diffraction des rayons X, le composé Cp*3Sm montre des distances entre l’ion samarium et le centroïde des ligands Cp*

plus longues de 0.1 Å que celles présentes dans d’autres composés plus conventionnels,111 ce qui pourrait expliquer la réactivité des ligands (C5Me5)– dans ce complexe. L’absence de

réactivé réductrice du complexe ansa Me2Si(C5Me4)2SmCp* (éq. 2), dans lequel la présence

du ligand ponté laisse plus de place au ligand Cp* lié à l’ion métallique selon une distance de liaison plus classique, est un argument supplémentaire en faveur d’une réduction induite par l’encombrement stérique du ligand. Cette stratégie (Sterically Induced Reduction, SIR)112 a été étendue à d’autres lanthanides, comme le lanthane, qui ne possède pas, sauf pour l’unique exemple cité plus haut, de degré d’oxydation +II stable. Le complexe Cp*3La ainsi formé

réduit également les composés Ph3PE, confirmant ainsi le concept SIR, tout en montrant une

réactivité inattendue (éq.3), c’est-à-dire une réduction monoélectronique de l’élément Se en ½[(Se)22–], tandis qu’elle était biélectronique pour l’analogue de SmIII (vers Se2–). Les

propriétés réductrices de complexes encombrés de lanthanides sont ainsi modulables, et selon l’encombrement des ligands et selon la taille de l’ion lanthanide. Cette stratégie reste toutefois limitée à la synthèse de complexes de lanthanides trivalents stabilisés par des ligands très encombrés et potentiellement réducteurs, pas toujours accessibles.

On notera également que les processus d’oxydo-réduction centrés sur le métal peuvent être influencés par leur sphère de coordination. Le pouvoir réducteur du samarium divalent peut ainsi être modulé selon la présence ou non de bases de Lewis (par exemple de type HMPA).113,114 L’environnement électronique des ligands a aussi un effet sur ces propriétés, comme par exemple dans les complexes ansa développés par Marks et al. Me2Si(C5Me4)2UCl2 et Me2Si(C5Me4)(C5H4)UCl2, dans lesquels la substitution d’un noyau

Cp est modulée. La présence de groupements alkyls, électrodonneurs, augmente ainsi le potentiel de réduction du couple UIV/UIII (E½ = –0.66 (C5Me4), –0.42 V (C5H4) vs Cp2Fe+/

Cp2Fe).115 L’introduction d’un atome de phosphore dans le squelette Cp*, créant la classe des

ligands phospholyls moins π donneurs, illustre également l’importance du choix des ligands pour contrôler finement les propriétés rédox des métaux f, comme avec l’uranium(IV).116

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25 schéma 5 : Réduction induite par l’encombrement stérique de ligands par des complexes de samarium et de lanthane trivalents

Conclusion

Deux leviers majeurs conditionnent les propriétés des liaisons que développent les métaux f avec leur environnement, et donc leur réactivité :

- L’ion lanthanide, acide de Lewis dur, possède des orbitales 4f très peu diffuses, localisées dans la zone de cœur de l’élément, et est donc très peu sensible à l’environnement électronique qui l’entoure, les liaisons qu’il forme avec les ligands étant très fortement ioniques. Ainsi, à champ de ligands fixe, la modulation de la taille de l’ion métallique, décroissante globalement par pas de 0.01-0.02 Å de métal à métal à numéro atomique croissant, est une option valable pour optimiser la réactivité d’architectures basées sur de tels métaux. L’ion actinide de début de série développe des orbitales 5f plus accessibles pour interagir avec celles des ligands et ainsi induire une proportion parfois non négligeable de covalence, jusqu’à former des liaisons multiples avec certains ligands, réactivité comparable à celle des métaux de transition. En outre l’accès à plusieurs degrés d’oxydation permet d’envisager des processus mettant en jeu des échanges multiélectroniques uniques parmi les éléments f. Les actinides de fin de série, hautement radioactifs, possèdent quant à eux des propriétés relativement proches de celles des lanthanides.

- Les ligands ancillaires permettent de moduler finement les interactions que les métaux f peuvent établir avec leur environnement. L’encombrement stérique est le paramètre majeur permettant de contrôler la sphère de coordination autour de l’ion métallique, de stabiliser des espèces réactives ou encore induire, ou non, des réactions d’insertion ou de métathèse de liaisons σ et/ou π avec divers substrats en modulant la participation des orbitales métalliques dans les liaisons réactives M–Z. L’environnement électronique des ligands ancillaires n’est toutefois pas à négliger, surtout pour les actinides de début de série, et permet de moduler plus finement les propriétés rédox des complexes ainsi formés.

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