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Complexes nitrito de l’uranium et du thorium

Chapitre 5 : Complexes nitrito de l’uranium et du thorium

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Chapitre 5 : Complexes nitrito de l’uranium et du thorium

I Introduction

I.1 Importance des oxydes d’azote dans la chimie des actinides

Les fonctions azotées et oxygénées étant des bases dures, il semble logique que les oxydes d’azote, de formule NxOyn–, apparaissent comme des ligands de choix dans la chimie

de coordination des éléments f. Parmi eux, l’ion nitrate NO3– est omniprésent dans la chimie

des actinides et son rôle est prépondérant dans la mobilité relative des éléments lourds dans les couches géologiques.1,2 Il a également un rôle central dans les différentes stratégies de retraitement du combustible nucléaire usagé, ce dernier subissant de nombreux traitements à base d’acide nitrique concentré (15 mol.L–1). Toutefois, la présence d’éléments hautement radioactifs, notamment de type β–, donc émetteurs d’électrons, permet la réduction d’une faible proportion d’ion nitrate en ion nitrite NO2–, présent en début de retraitement à hauteur

de 1 mol.L–1. Les ions nitrites sont des espèces amphotères, et notamment oxydantes, libérant du monoxyde d’azote gazeux après avoir accepté un électron, propriété bien connue dans des complexes de métaux de transition tels qu’avec le fer ou le nickel.3,4 Ils peuvent donc interférer dans les différentes étapes du retraitement du combustible nucléaire usagé où apparaissent des éléments lourds susceptibles d’être oxydés. Comme nous l’avons vu précédemment, seuls les actinides de début de série possèdent de hauts degrés d’oxydations stables, et sont par conséquent sensibles à la chimie oxydante des ions nitrites. Une rapide présentation des trois étapes clés du processus de retraitement du combustible nucléaire usagé fera ainsi l’objet du prochain paragraphe afin de mieux cibler à quel moment et sur quels éléments particuliers ils interviennent.

I.2 Les ions nitrites dans la stratégie de retraitement du combustible

nucléaire

Le combustible nucléaire usagé est un mélange de divers éléments lourds hautement radioactifs dissous dans l’acide nitrique concentré (15 M). Il est principalement composé des éléments transuraniens (Pu, Am, Cu, peu de Np) auxquels on ajoute l’uranium, des lanthanides trivalents et des produits de fission, éléments plus légers issus de la fission des radionucléides plus lourds, tels que 135Cs ou 129I. Leur séparation s’appuie sur les différences de leurs propriétés physico-chimiques. Par conséquent, les actinides de début de série, U et Pu principalement, sont les premiers éléments séparés dans cette stratégie globale. Le tributylphosphate (TBP), composé organique, permet de complexer sélectivement l’uranyle et le plutonyle en les piégeant dans une phase organique (figure 82).5,6 Cette première étape, nommée PUREX, est maintenant bien maîtrisée et appliquée dans les centres de retraitement tels que celui de La Hague. Les produits de fission sont ensuite séparés des actinides et lanthanides trivalents via l’emploi d’agents complexants sélectifs des métaux f vis-à-vis des autres éléments légers, notamment de type diamide (DIAMEX)7,8 ou oxyde de phosphine (TRUEX).9 Les actinides de fin de série et les lanthanides ayant des propriétés très proches, leur séparation est délicate et fait encore l’objet d’intenses recherches en laboratoire. On a pu voir que les actinides ont une affinité plus grande que les lanthanides pour des bases de Lewis

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154 plus molles (au sens HSAB). Le procédé SANEX, encore expérimental, propose ainsi d’utiliser des bases polyazotées neutres, notamment de type bis-triazinyl-bipyridine, ligands qui se lient préférentiellement aux actinides trivalents plutôt qu’à leurs analogues lanthanidiques.10–12

figure 82 : Processus successifs de séparation des transuraniens, des lanthanides et des produits de fission issus du combustible nucléaire usé

Les ions nitrites, espèces oxydantes, peuvent interférer dans la seconde étape du processus PUREX, visant à séparer l’uranium du plutonium. Tous deux réduits au degré d’oxydation +IV, une option pour les séparer repose sur la réduction sélective du PuIV en PuIII, ion aux propriétés bien distinctes de celles de l’UIV restant. Un réducteur externe, tel que le sulfamate de fer(II),13 l’hydrazine 14 ou l’UIV,15 est ainsi ajouté au milieu organique. Les ions nitrites NO2–, rédox-actifs comme la plupart des oxydes d’azote 1,2,5 et toujours présents dans

le mélange U/Pu, peuvent alors promouvoir la réoxydation du PuIII en PuIV avant la séparation UIV/PuIII.16 Une surcharge en réducteurs, comme l’hydrazine, est ainsi nécessaire pour éliminer du milieu les ions nitrites. Ce traitement certes radical ne permet pas de comprendre plus en détail les interactions qui s’opèrent entre les ions nitrites et les ions actinides. Les ions nitrites jouent également un rôle prépondérant sur la mobilité de l’uranium en milieu naturel. En effet, alors qu’un relargage d’uranium dans les eaux naturelles est rapidement immobilisé par réduction de l’uranyle en uraninite UO2 insoluble,17,18 les ions nitrites permettent leur

réoxydation en uranyle UO22+, mobile dans les eaux profondes. Malgré l’importance de ces

processus, les nitrites de métaux f en général et d’actinides en particulier n’ont encore reçu que peu d’attention.

I.2 Nitrites d’actinides : état de l’art

Tandis que les nitrates d’actinides ont fait l’objet de nombreuses études, les exemples de nitrites d’actinides caractérisés par diffraction des rayons X demeurent très rares. Pourtant, les complexes de l’uranium et du plutonium se révèleraient utiles comme support pour une meilleure compréhension de leur chimie. En fait, seuls deux complexes nitrito stabilisant des ions actinides ont été identifiés à ce jour (figure 83) :

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155 - le complexe du NpV [C(NH2)3][NpO2(NO2)(Pic)2] (Pic = picolinate) décrit par

l’équipe d’Andreev.19 L’ion nitrite coordiné selon le mode κ1-(O) est apporté par le nitrite de sodium qui joue aussi le rôle de réducteur du NpVI en NpV.20

- le complexe d’uranium [(UO2)3(bipy)3(µ3-O)(µ2-OH)2(NO2)][NO3], dans lequel l’ion

nitrite est coordiné selon le mode µ2-(O,O’) entre deux unités uranyles, a été formé de

manière inattendue par Huang et al. par sonication du complexe ne possédant que des nitrates.21

figure 83 : Complexes nitrito d’actinides connus

Très récemment, Schelter et al. ont décrit l’oxydation de complexes d’UIV et UV à l’aide de sels de nitrite en formulant l’hypothèse d’une espèce nitrito-coordinée intermédiaire.22 Ce champ quasi vierge d’investigations nous a ainsi poussés à synthétiser de manière rationnelle des complexes nitrito d’actinides. Nos premiers efforts se sont portés sur la synthèse d’espèces homoleptiques dans le but d’étudier l’interaction actinide-nitrite en dehors de l’influence de ligands ancillaires.