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Conclusion générale

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Conclusion générale

Les ligands β-diiminates sont des architectures très souples qui, en plus de leur synthèse relativement aisée, permettent de nombreuses modifications de leurs paramètres géométriques et/ou stériques.1–3 Ils font ainsi l’objet d’une attention accrue dans de nombreux domaines, allant de l’optimisation de systèmes catalytiques4–7 à la stabilisation de métaux à des degrés d’oxydation inhabituels,8 en passant par les techniques de dépôt métallique par voie chimique.9,10 Toutefois très peu d’efforts ont été fournis pour les incorporer dans des structures de type pinceur polyanionique et stabiliser ainsi des centres métalliques à haut degré d’oxydation.11–14

Ce travail de thèse a ainsi porté dans un premier temps sur la mise au point de la synthèse de nouveaux ligands β-diiminates fonctionnalisés par une ou deux fonctions phénolates, notés RNNO2– et RNNOO3–, respectivement. Leur synthèse repose sur une activation électrophile de l’acétylacétone suivie de l’addition de deux amines primaires, identiques ou non. Des fonctions imines sont générées comme intermédiaires réactionnels et ont montré une sensibilité importante par rapport à l’attaque nucléophile des fonctions phénols apportées, ce qui fait écho à la pauvreté de la chimie des β-diiminates polyanioniques. Un modèle mécanistique a été proposé pour rationaliser ces comportements et a permis i) de conclure que l’accès aux ligands symétriques RNNOO3– par cette voie de synthèse n’était pas viable, et ii) de montrer que le contrôle de l’ordre d’introduction des amines primaires permettait de former avec de très bons rendements les composés dissymétriques RNNO2– (schéma 67). N N R OLi tBu H2N iPr iPr tBu R OH NH2 O O iPr iPr 1) , APTS cat 2) Et3OBF4 3) 4) NEt3 5) 2 nBuLi 85 % R = H, tBu Li RNNOLi 2

schéma 67 : Synthèse des ligands RNNOLi2

La chimie de coordination de ces deux ligands a été explorée vis-à-vis des ions lanthanides et actinides. L’influence du rayon ionique du centre métallique a été testée par l’emploi des ions de taille croissante ytterbium(III), terbium(III), cérium(III) et uranium(IV). Un rayon ionique du centre métallique de plus en plus grand rend plus difficile sa stabilisation par les ligands RNNO2–, d’autant plus pour celui offrant l’encombrement stérique le plus faible (R = H). Ainsi, des complexes bis de l’YbIII ont pu être isolés pour les deux ligands, composés qui peuvent être transformés en complexes mono par ajout de précurseur métallique. Ces derniers complexes se présentent sous la forme d’un dimère pour R = H,

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172 stable même dans un solvant coordinant tel que la pyridine grâce au monde pontant µ2 de

l’oxygène phénolique entre deux unités d’YbIII. Pour R = tBu, une coordination de type µ2

pour cet oxygène est rendue impossible et un complexe mono monomérique est isolé, la sphère de coordination de l’ion YbIII étant complétée par des molécules de pyridine. Le passage au TbIII n’a permis l’obtention que des complexes bis associés aux deux ligands, un seul ligand RNNO2– n’étant pas suffisant pour stabiliser la sphère de coordination du métal. Quant au cérium(III) et à l’uranium(IV), seul le complexe bis construit avec le ligand le plus encombré a pu être caractérisé. Le cas de l’ion thorium(IV) reste marginal, et illustre la difficulté d’établir une sphère de coordination stable autour de lui. En effet plusieurs complexes mono voire tris ont été identifiés avec les deux ligands mais se dégradent plus ou moins rapidement. Comme avec l’UIV, seul le complexe bis stabilisé par deux ligands

tBu

NNO2– a pu être isolé et reste stable.

L’encombrement stérique trop faible des ligands RNNO2– associé à la faiblesse de leur coordination κ3 au centre métallique rendent ces structures peu aptes à la stabilisation de complexes mono monomériques (RNNO)LnX et (RNNO)AnX2. Cette condition est pourtant

nécessaire pour pouvoir tirer profit des liaisons M–X dans de futurs processus catalytiques, en les transformant au préalable en liaisons M–R (R = alkyle, amidure). Nous pouvons toutefois réinvestir sur les connaissances acquises lors de la synthèse des ligands RNNO2– pour proposer une seconde génération de ligands β-diiminates, fonctionnalisés d’un côté par une fonction phénolate ou amidure et de l’autre par un dérivé d’aniline, lui-même fonctionnalisé par des bases de Lewis neutres (schéma 68). La polydenticité élevée d’une telle architecture permettrait de stabiliser des complexes mono de lanthanides et d’actinides monomériques (RNNO)LnX et (RNNO)AnX2, sans saturer la sphère de coordination de ces ions pour

permettre l’approche de réactifs.

schéma 68 : Voie rétrosynthétique de formation de ligands β-diiminates fonctionnalisés de seconde génération

Les complexes bis [(tBuNNO)2M]n– sont des composés robustes et stables qui ont

montré des propriétés intéressantes. La coordination des ligands tBuNNO2– au cérium trivalent dans le complexe « ate » (tBuNNO)2CeLi(THF)2 a permis de déplacer significativement le

potentiel d’oxydation du couple cérium(III/IV). Sa réactivité vis-à-vis de divers oxydants a permis d’évaluer le potentiel standard de ce couple, qui appartient à la gamme [–0,74 ; +0,14 V] vs Fc+/Fc. Ce composé du cérium(III) est donc un réducteur relativement faible

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173 comparativement aux complexes des lanthanides divalents, en particulier SmII (E0 = –1,95 V vs Fc+/Fc). Une détermination précise de ce potentiel est prévue prochainement par une étude électrochimique par voltamétrie cyclique.

Le complexe bis de ThIV (tBuNNO)2Th présente un site de coordination vacant qui

permet d’accueillir diverses bases de Lewis. Les paramètres géométriques de ces dernières discriminent deux conformations différentes du squelette (tBuNNO)2Th de l’adduit ainsi

formé, qui sont aisément décrites par l’environnement autour de l’ion thorium (figure 88). La coordination d’une base de Lewis encombrante, comme un ion nitrite, introduit une faible répulsion stérique avec les ligands tBuNNO2–, et permet de prendre la place de coiffe d’un prisme triangulaire formé par les ligands NNO (b), qui diffère de celui du produit de départ par simple rotation d’un des ligands NNO par rapport à l’autre (a). La conservation d’une symétrie C2 n’est pas possible lorsque la base de Lewis coordinée est trop volumineuse et

induit une gêne stérique avec les ligands trop importante, comme c’est le cas avec l’oxyde de pyridine (c), l’atome donneur faisant alors partie d’une des deux faces du prisme triangulaire et conférant une symétrie C1 à l’adduit ainsi formé.

figure 88 : Représentation du prisme triangulaire (en vert) décrivant l’environnement de l’ion ThIV dans les complexes (tBuNNO)2Th (a) [(tBuNNO)2Th(NO2)]– (b) et (tBuNNO)2Th(Opy) (c)

et coiffé par l’atome figurant à droite b et c ; les deux ligands NNO sont représentés en gris et noir, respectivement, la liaison NacNac étant en trait plein et celle de l’amidure-phénolate en pointillés ; les atomes du ligand entrant sont en couleur

Les conformations des adduits formés avec le complexe de ThIV sont un bon point de comparaison lorsqu’on étudie la réactivité de l’analogue de l’UIV (tBuNNO)2U. Ce dernier peut

être oxydé par l’oxyde de pyridine en un complexe monooxo terminal d’uranium(VI) (tBuNNO)2U(=O). De tels composés, très rares, permettent d’étudier la nature de la liaison

U=O terminale sans l’influence de celle qui est en trans dans les dérivés d’uranyle. Par ailleurs, ce complexe peut subir une ou deux réductions pour produire les complexes de l’UV et de l’UIV correspondants (schéma 69), et ceci de manière réversible pour régénérer les produits de départ. Cette famille de composés est l’unique exemple de complexes monooxo d’uranium stabilisés par une même sphère de ligands sur trois degrés d’oxydation successifs stables. Ces complexes ont par ailleurs montré des caractéristiques intéressantes : tandis que celui de l’UVI présente une symétrie C2 analogue à celle du complexe de ThIV coordiné à l’ion

nitrite, ceux de l’UV et de l’UIV montrent une symétrie C1, dans laquelle la répulsion inter-

ligands tBuNNO2– est pourtant plus faible. Ces conformations sont ainsi stabilisées par un autre phénomène : l’influence trans inverse (ITI), que l’on observe directement par le raccourcissement de la liaison U–OAr en trans de la liaison multiple U=O, comparativement à

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174 celle positionnée en cis. L’obtention dans une même série de tels composés de symétrie C1 ou

C2 permet d’étudier la barrière d’énergie entre ces deux stabilisations antagonistes (ITI vs

minimisation de la répulsion inter-ligands) selon le degré d’oxydation du métal. Cette série représente également une chance unique de comprendre non seulement la nature de la liaison U=O terminale selon l’ajout d’électrons f, mais aussi d’étudier l’influence de cette liaison sur celle positionnée en trans. Des calculs DFT préliminaires ont permis d’estimer ces barrières et devront être approfondis par la suite pour étudier l’effet de la structure électronique de la liaison U=O sur le ligand positionné en trans dans les complexes de l’UV et de l’UIV, dans lesquels l’ITI est observable. Ces calculs pourront être confrontés à des mesures expérimentales qui seront prochainement mises en œuvre. Il s’agira d’effectuer des études par spectroscopie RMN (barrière d’énergie C1–C2) et IR (fréquence de vibration de la liaisons

U=O), par électrochimie (potentiels rédox des couples uranium(IV/V) et (V/VI)), et sonder les propriétés magnétiques de ces complexes (degré d’oxydation du métal, influence de la liaison U=O sur le moment magnétique du complexe de l’UV et de l’UIV). L’obtention d’une structure par DRX pour le complexe de l’UIV sous forme monomérique sans interaction entre l’oxygène terminal et les contre-cations reste primordiale pour la comparaison des observables d’intérêt (distances U=O, U–Otrans et U–Ocis) avec les résultats des calculs sur

toute la série UVI/UV/UIV.

schéma 69 : Cycle de réduction / oxydation des complexes de formule (tBuNNO)2UOn–

L’intérêt de cette série de composés de l’uranium présentant trois degrés d’oxydation successifs stables pourrait considérablement croître grâce à l’apport d’un second axe d’investigation. Des essais préliminaires tendent en effet à montrer la formation de l’analogue soufré du complexe de l’UVI par oxydation du complexe neutre de l’UIV (tBuNNO)2U par le

soufre élémentaire (schéma 70). Une signature diamagnétique en RMN du proton suggère la présence d’un complexe de l’UVI. A l’instar du complexe oxo, la protection stérique des

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175 ligands tBuNNO2– permet raisonnablement de proposer une formulation du complexe formé avec une liaison terminale U=S, et non pontante µ2 disulfido entre deux ions uranium. Ce

dernier mode de coordination a été observé par exemple par Meyer et al. dans le complexe de l’uranium(V) (((AdArO)3N)U)2(µ-S)2 dans lequel le ligand sulfido S2– n’est pas assez protégé

stériquement.15 Le composé (tBuNNO)2U(=S) serait ainsi le troisième exemple de complexe

d’uranium monosulfido terminal, et le premier de l’UVI. Les deux seules autres espèces présentant cette liaison sont des complexes de l’UIV, décrites d’une part par Ephritikhine et al. en 1999 avec le composé [Na(18-C-6)][Cp*2U(S)(StBu)],16 synthétisé par réduction de la

liaison S–C(CH3)3 du complexe Cp*2U(StBu)2, et d’autre part très récemment par Hayton et

al. par oxydation du complexe de l’UIII (TMS)3U(CH2PPh3) avec le soufre élémentaire

(schéma 71).17 Dans ce dernier exemple, le centre métallique est oxydé à un seul électron, d’autres produits de réaction étant formés majoritairement pour accepter l’autre électron du soufre(0). Remarquablement, les dérivés analogues du sélénium et du tellure ont été synthétisés, et sont les premiers exemples de composés avec une liaison terminale chalcogène–uranium (hors oxygène et soufre). Ces complexes présentent une sphère de coordination constante, permettant de sonder l’influence du chalcogène E sur la nature de la liaison U=E. Toutefois, les rendements très faibles de ces réactions (< 20%) posent des problèmes importants de pureté, incompatibles avec des mesures de magnétisme par exemple.

schéma 70 : Synthèse du complexe monosulfido terminal de l’UVI

schéma 71 : Synthèse des composés comportant une liaison terminale uranium–chalcogène (hors oxygène)

Dans cet esprit, la réactivité du complexe (tBuNNO)2U vis-à-vis de la série des

chalcogènes, de l’oxygène au tellure, est clairement indiquée comme une piste d’approfondissement de ce travail. Elle permettrait de générer la première série de complexes avec une liaison terminale chalcogène–uranium(VI), la comparaison des quatre complexes

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176 permettant d’apprécier l’influence du recouvrement entre les orbitales np du chalcogène avec celles de l’uranium sur la covalence de la liaison multiple U=E. Par ailleurs, ce mélange orbitalaire aurait peut-être une influence sur la nature des liaisons U–OAr et pourrait permettre

d’observer une influence trans inverse dans ces complexes de l’UVI. De plus, pour E = S, Se et Te, ces éléments étant uniquement présents dans la liaison U=E, l’analyse par spectroscopie XAS au seuil K de l’élément E permettrait de sonder directement la nature de la liaison U=E, encore mal connue. Par analogie, les pics de pré-seuil liés à l’oxygène de la liaison U=O du composé (tBuNNO)2U(=O), pourraient alors être identifiés.

Ces complexes pourront également être réduits pour former les analogues de l’UV et de l’UIV, et former ainsi une famille unique de douze composés à sphère de ligands constante (figure 89). La nature du chalcogène influencera certainement la barrière énergétique entre la minimisation de la répulsion inter-ligands et la stabilisation par ITI, certains composés de l’UV voire de l’UIV pouvant ainsi être de symétrie C1. Ce système de douze complexes, s’il

existe, serait très précieux pour étudier les interactions entre l’ion uranium et des chalcogènes de plus en plus mous (O à Te), et contribuer ainsi à l’élaboration de modèles théoriques qui analyseraient plus finement les interactions entre l’élément uranium et son environnement. Cette « approche diagonale » en deux dimensions est donc la piste privilégiée d’approfondissement de ce travail de thèse.

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177 figure 89 : Approche diagonale de la formation des composés [(tBuNNO)2U(=E)]n–

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