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II Complexe homoleptique du thorium

Parce que la chimie du thorium relève quasi exclusivement de son degré d’oxydation +IV et n’est pas soumise aux réactions d’oxydo-réduction, les premières expériences ont été faites sur des réactions de métathèse de sels entre le chlorure de thorium ThCl4(DME)2 et des

sels de nitrite.

II.1 Nitrite organique

L’emploi de sels inorganiques de nitrite, tels que NaNO2 ou KNO2, met en lumière

deux inconvénients majeurs de ces composés. D’une part, ces sels sont fortement hygroscopiques et difficiles à sécher, incompatibles avec des réactions exigeant un milieu inerte et anhydre. De l’autre, il a été constaté qu’à moins de piéger les cations alcalins par des bases de Lewis (éther-couronne, cryptand, etc.), l’obtention de cristaux assez bien ordonnés et définis pour être analysés par diffraction des rayons X est souvent hasardeuse et difficile. Les substituer par des cations organiques tels que des phosphoniums ou des ammoniums favorise généralement la cristallisation de composés formés de paires d’ions. Plusieurs sources de nitrites organiques sont disponibles, principalement des ammoniums, [Ph3P=N=PPh3][NO2],23,24 [nBu4N][NO2] et [Me4N][NO2],25 ces deux derniers présentant

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156 l’inconvénient de rendre les composés formés trop lipophiles, et un phosphonium, [PPh3Me][NO2],26 le méthyl porté par ce phosphonium étant sensible aux bases fortes. Nous

avons ainsi décidé de synthétiser un nouveau nitrite de phosphonium, [PPh4][NO2], par

métathèse de sel entre PPh4I et AgNO2 (schéma 61), pour être la source de nitrite organique

utilisée dans la suite de ce chapitre.

schéma 61 : Synthèse de PPh4NO2

II.2 Complexe homoleptique du thorium

Le précurseur de ThIV ThCl4(DME)2 a été engagé dans une réaction de métathèse de

sels avec 6 équivalents de PPh4NO2 (schéma 62, éq. 1) dans l’acétonitrile. La diffusion

d’éther diéthylique dans le brut réactionnel conduit à la formation d’aiguilles jaune-pâle de [PPh4]2[Th(NO2)6] (1), analysées par diffraction des rayons X. La structure de

[1]2•MeCN•Et2O est présentée en figure 84 et associée à celle de 1•py, déterminée par analyse

de cristaux obtenus selon la même technique en utilisant la pyridine comme solvant. Le composé 1 est le premier représentant de la famille des nitrites de thorium et le premier complexe nitrite d’actinide homoleptique. Le sous-produit PPh4Cl, lui aussi soluble dans

l’acétonitrile, s’est révélé difficilement séparable du complexe nitrite de thorium. Une autre voie de synthèse a alors été envisagée (schéma 62, éq. 2), utilisant l’insolublité du chlorure d’argent dans l’acétonitrile pour isoler 1 avec un très bon rendement (86%).

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a) b)

figure 84 : (a) Vue ORTEP du dianion [Th(NO2)6]2– dans [1]2•MeCN•Et2O; sélection de

paramètres structuraux moyens (distances en Å et angles en °) (stéréoisomère de type I) : <Th–O> 2,570(9), <N–O> 1,25(4), <O–N–O> 114(2), <O–Th–O> 48,2(6) ; stéréoisomère type II : <Th–O> 2,572(11), <N–O> 1,24(3), <O–N–O> 115,1(10), <O–Th–O> 48,0(3); (b) vue ORTEP du dianion [Th(NO2)6]2– dans [1]•py. Sélection de paramètres

structuraux (distances en Å et angles en °) (stéréoisomère de type II) : <Th–O> 2,569(13), <N–O> 1,268(5), <O–N–O> 112,2(2), <O–Th–O> 48,4(2).

Grâce à ses trois atomes de type donneur, le ligand nitrite peut adopter différents modes de coordination, les principaux d’entre eux étant illustrés en figure 85. La charge négative étant polarisée sur les oxygènes, le mode de coordination κ1-(N), cas où le ligand est dénommé nitro et non plus nitrito, est habituellement remarqué dans des structures centrées sur des cations métalliques de type mou selon la classification HSAB, notamment parmi les métaux de transition des colonnes VIII à XI.4,27–29 A l’opposé, une coordination par les oxygènes est généralement observée pour les lanthanides ou les actinides, avec deux modes de coordination principaux pour ces ligands nitrito (κ1-(O) et κ2-(O,O)), le premier présentant une dissymétrie des liaisons N–O, au contraire du deuxième.30–34

figure 85 : (a) Modes de coordination principaux du ligand nitrite; (b) Stéréoisomères de coordination dans les complexes de type M(NO2)6n–

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158 Les complexes de type M(bidentate)6 peuvent se présenter sous la forme de trois

stéréoisomères, selon l’arrangement spatial des six ligands bidentates autour du centre métallique, chacun possédant un domaine de stabilité défini par les angles de morsure normalisés b (figure 85). Pour b < 1, l’isomère de type III est instable à cause de répulsions inter-ligands.35 Le composé 1 a été cristallisé dans différents groupes d’espace selon le mode de cristallisation employé, et les isomères de type I et II ont été observés à l’état solide (figure 84). Celui de type I, d’une symétrie remarquablement haute (groupe Th), observé dans de très

rares architectures moléculaires à base de nitrates,36–38 a été obtenu lors de la diffusion d’éther diéthylique dans une solution de 1 dans l’acétonitrile. L’unité asymétrique de la structure incorpore un deuxième anion, de type II. Ce dernier type est le seul à avoir été observé par analyse de plusieurs cristaux obtenus en remplaçant l’acétonitrile par la pyridine. Dans chacune des deux structures présentées, les ligands nitrito adoptent une coordination de type κ2-(O,O) symétrique avec des longueurs de liaisons moyennes Th–O et N–O de 2,57(3) et 1,25(3) Å, respectivement, pour un angle de morsure de 0,82 et un angle O–N–O de 114(2) °. Pour comparaison, l’ion nitrite libre, présent dans [PPh3Me][NO2],26 montre une distance de

liaison N–O plus faible (1,142(6) Å) et un angle O–N–O plus grand (124,1(7) °), suggérant un partage de la densité électronique du système π de l’ion nitrite avec le cation thorium dans 1. On notera que l’ion nitrite dans la structure de [PPh4][NO2]•EtOH présente une géométrie

dissymétrique (distances N–O de 1,223(4) et 1,406(4) Å et angle O–N–O de 109,3(3) °), ce qui peut être dû à la présence d’une liaison hydrogène entre le proton du solvant et l’un des oxygènes du nitrite et au désordre non résolu du nitrite dans la structure.

La structure de l’hexanitrate de thorium a été décrite dans la littérature avec divers contre-cations. Les ions nitrates adoptent eux aussi un mode de coordination de type κ2-(O,O), permettant la comparaison directe entre ce système et son analogue nitrito 1.39,40 Ces deux complexes possèdent en fait une géométrie très proche, avec une distance moyenne Th–O identique (2,57 Å) et un angle O–N–O plus important de seulement 2 ° pour le complexe nitrito. Les ligands nitrato et nitrito sont donc probablement facilement échangeables lorsque le ThIV et les actinides en général sont soumis à un milieu comportant un mélange de ces deux ions, ce qui est le cas dans le combustible nucléaire ([NO3]– = 15 M, [NO2]– = 1M).

Enfin, les ions nitrito n’apparaissent que dans de rares exemples de complexes homoleptiques, systèmes pourtant intéressants pour mieux comprendre les processus de dénitrification. Ils représentent en effet des intermédiaires clés, et notamment en biologie, où ils sont considérés comme réservoir de monoxyde d’azote, puissant vasodilatateur.41 Quatre complexes homoleptiques de type nitro ont été répertoriés, liés à des métaux des groupes IX et X ([M(κ1-(N)-NO2)6]3– (M = Co, Rh)29,42,43 et [M(κ1-(N)-NO2)4]2– (M = Pd, Pt)27,28,44,45), et

quatre de type nitrito, [Fe(κ1-(O)-NO2)2(κ2-(O,O)-NO2)2]–,46 [M(κ2-(O,O)-NO2)4]2– (M = Mn,

Cu)47–49 et [La(κ1-(O)-NO2)3]n.34 Le composé 1 est donc le premier complexe hexanitrito

homoleptique.