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CHAPITRE II – MÉTHODOLOGIE

2.1. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE

Dans ce que Berthelot (2001) désigne comme « sciences du social », trois traditions épistémologiques se sont constituées : le pôle objectiviste, impliquant une rupture avec le sens commun et le traitement des faits sociaux « comme des choses »; le pôle compréhensif, recherchant la signification des actions individuelles qui créent le fait social; le pôle herméneutique, recherchant la validité de la sociologie dans la théorie elle-même. Puisque notre recherche se base sur chaque cas individuel et tient compte du sens conféré par l’acteur à son propre parcours, nous nous inscrivons dans le pôle compréhensif26. De plus, notre démarche est inductive (Dépelteau, 2000), plutôt que déductive ou hypothético- déductive, ayant observé un phénomène particulier pour parvenir à le généraliser sous forme de lois, théories ou hypothèses générales. Suivant Berthelot (1990), on peut relever six démarches en sciences sociales et humaines : causale, fonctionnelle, structurale, herméneutique, actancielle et dialectique. Ainsi, nous nous inscrivons dans une démarche herméneutique puisque nous visons surtout à comprendre le sens conféré par les participants au phénomène des études universitaires.

Nous avons adopté une approche qualitative car nous nous sommes basé sur la collecte de données au moyen d’entrevues réalisées auprès de participants principaux et complémentaires. Comme l’explique Creswell (2003), le chercheur ayant recours à cette approche se base surtout sur des perspectives de nature constructiviste ou participative. Les données qualitatives peuvent donc difficilement être standardisées et le chercheur doit aller sur le terrain pour y puiser ses données et formuler de nouvelles questions. Deslauriers et Kérisit (1997) ajoutent qu’il recueille les données, effectue l’analyse et élabore sa question de recherche de manière plutôt simultanée. La recension des écrits ne s’arrête donc pas

26 Le mur qui sépare les pôles objectiviste et compréhensif n’est pas complètement opaque, notamment parce

que les épistémologies liées au pôle compréhensif recherchent fréquemment l’atteinte d’une certaine objectivité et qu’à l’inverse, celles liées au pôle objectiviste tiennent souvent compte de l’influence du sens proprement subjectif sur les faits sociaux eux-mêmes (Berthelot, 2001, p. 257-260).

avant le début de la recherche, mais tend plutôt à resurgir en cours de route, et il en est de même pour la définition de l’objet de recherche, qui s’effectue souvent après les premiers contacts avec le terrain. On tend aussi à formuler des propositions plutôt que des hypothèses formelles, mais elles pourront apparaître en cours de route et c’est dans cette optique que nous avons redéfini notre objet de recherche à la suite des premières entrevues.

Or, la recherche qualitative a su développer ses propres critères de scientificité (Laperrière, 1997) reflétant sa volonté de dépasser les perspectives positivistes. De ce point de vue, la fiabilité est définie de manière plus souple et on s’intéresse surtout aux « outils conceptuels » (p. 384) qui ont permis d’appréhender une description empirique. Pour leur part, la validité interne donne au sens « sa place centrale dans l’analyse des phénomènes humains » (p. 384) et la validité externe est assurée soit en diversifiant les lieux de collecte et en spécifiant les « caractéristiques du contexte et de la population » (p. 384) étudiés, soit en assurant la « profondeur et l’exhaustivité socio-symbolique » (p. 384) de l’analyse. En somme, la recherche qualitative est parvenue à une certaine maturité apte à la différencier d’autres démarches non scientifiques. Nous nous sommes ainsi assuré de la validité interne de nos données en réécoutant à plusieurs reprises les enregistrements et en transmettant aux participants leurs retranscriptions écrites pour qu’ils puissent nous signaler toute erreur. La validité externe fut assurée en diversifiant les lieux de collecte des données, tant en termes de communautés d’origine que de lieux d’études. Quant à la fiabilité de nos données, nous considérons que d’autres chercheurs pourront s’inspirer de nos concepts et notions pour mener d’autres recherches auprès d’autres étudiants universitaires des Premières Nations.

Creswell (1998) distingue 5 traditions d’enquête (biographie, phénoménologie, théorie ancrée, ethnographie, étude de cas), entendues au sens d’approches de la recherche qualitative ayant une histoire distincte dans une des disciplines, et Flick (2006) distingue 7 méthodes qualitatives : 3 sont regroupées au sein des données verbales (entrevue, récit, méthodes de groupe) et 4 au sein des données « multifocus » (observation et ethnographie, analyse de données visuelles, analyse documentaire, recherche qualitative en ligne). L’entrevue, que nous utilisons dans cette recherche, aussi appelée entretien ou interview,

permet au chercheur de trouver les renseignements qu’il recherche en passant directement par les personnes-clefs jugées les plus pertinentes pour y parvenir, dans une relation « asymétrique justement parce que la personne interrogée possède des informations que le chercheur ignore » (Mayer et Saint-Jacques, 2000, p. 115-116). On retrouve aussi différents types d’entrevue en fonction du degré de liberté conféré aux participants et du niveau de profondeur de leurs réponses : non structuré centré, structuré, semi-structuré (Grawitz, 1996). Située à mi-chemin, l’entrevue semi-structurée permet de recueillir des réponses assez élaborées sans pour autant trop s’éloigner du cadre initial de la recherche et se divise en entrevue centrée (avec tous les thèmes à traiter prédéterminés) et entrevue à questions ouvertes (avec questions précisément formulées). Dans ce contexte, nous avons eu recours à l’entrevue semi-structurée centrée puisqu’elle permet de répondre à des questions précises et prédéterminées tout en explorant un thème non familier du chercheur grâce à un participant l’éclairant des lumières de sa connaissance.

Par ailleurs, Lessard-Hébert, Goyette et Boutin (1990) distinguent cinq principaux devis auxquels ont recours les sciences sociales: « l’étude de cas, la comparaison multi- cas, l’expérimentation sur le terrain, l’expérimentation en laboratoire et la simulation par ordinateur » (Deslauriers et Kérisit, 1997, p. 87). Le type de données traitées et l’analyse qui en sera faite influencent largement le devis, mais en recherche qualitative, on s’en tient généralement à un devis où les données et l’analyse sont qualitatives. Nous nous inscrivons donc dans un devis de recherche de comparaison multi-cas, ayant voulu étudier notre phénomène à partir de différents cas recueillis qui constituent un échantillon représentatif en termes de diversité des profils et des parcours.

En résumé, le choix de la recherche qualitative s’explique par la volonté de produire une recherche exploratoire et de donner la parole aux principaux intéressés en vue de mieux saisir leurs propres perspectives par rapport au phénomène étudié. Si on ne pourra généraliser nos résultats à tous les étudiants universitaires des Premières Nations du Québec, la richesse des parcours étudiés pourra toutefois servir de base à d’autres recherches de nature quantitative. Par ailleurs, la diversité au sein même des Premières Nations rend à tout le moins ardue toute généralisation parmi cette population et le devis

de comparaison multi-cas nous apparaît particulièrement approprié pour répondre le plus adéquatement aux besoins de notre recherche. Le choix de certaines personnes particulièrement à même d’illustrer une des facettes de la réalité étudiée nous a permis de sans cesse garder à l’esprit cette volonté de comparer différentes situations en fonction d’un contexte précis et c’est cette volonté qui nous a fait choisir un design de comparaison multi-cas plutôt que d’étude de cas, se limitant à un seul cas étudié en profondeur.

Nous nous inscrivons dans une démarche herméneutique puisque nous avons voulu, à partir des témoignages des étudiants et diplômés, « révéler » le sens accordé à un phénomène, une action, une situation, etc. chez ceux qui y prennent part. Or, le choix de l’entrevue s’expliquait d’abord par la volonté de rencontrer individuellement chaque étudiant et diplômé en vue de recueillir ses témoignages, appréhensions, perceptions et tout autre renseignement pertinent nous éclairant sur son parcours universitaire. Nous nous inspirons également de la méthode des récits de vie (Bertaux, 2010), aux fonctions exploratoire, analytique et expressive, considérant que « les sujets prennent le statut d’informateurs sur leurs propres pratiques et sur les contextes sociaux au sein desquels elles se sont inscrites » (p. 119).

Enfin, il eût été tentant de procéder à une étude orientée sur la résolution d’un « problème » à améliorer, ce qui aurait pu renforcer l’empowerment d’une population qui, rappelons-le, se trouve encore largement marginalisée. Adhérant à la démarcation wébérienne entre le « savant » et le « politique » (Weber, 1963), nous avons pris conscience de nos valeurs, opinions, positions et intérêts nous ayant amené à nous intéresser aux étudiants des Premières Nations. Nous sommes aussi conscient de notre propre parcours d’étudiant universitaire québécois allochtone francophone originaire de l’Est de Montréal qui souhaitait, dès son entrée à l’école secondaire, devenir un jour « un intellectuel », ce qu’il espère aujourd’hui avoir réussi tout en gardant les pieds sur terre pour mieux comprendre le monde qui l’entoure. Or, nous souhaitons que les résultats de notre recherche soient évalués à la lumière des critères de scientificité propres aux sciences humaines et sociales, mais sommes cependant conscient des implications de cette recherche en lien avec un enjeu aussi crucial que l’accessibilité aux études postsecondaires

chez les Premières Nations. Nous considérons ainsi que les données recueillies auprès des participants pourront inspirer, dans un second temps, des pratiques qui favoriseront l’empowerment chez les Premières Nations. En tant qu’allochtone, nous ne souhaitons d’ailleurs pas parler au nom des Autochtones, préférant le rôle plus humble du chercheur qui donne la parole aux Autochtones, particulièrement reconnaissant des liens de confiance développés en milieu autochtone durant son parcours doctoral.