• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE V – RAPPORT À L’IDENTITÉ ET AUX CULTURES

5.1.3. Critique des frontières

5.1.3.1. Diversité culturelle et mondialisation

L’ouverture à l’Autre ne se limite pas au groupe que l’on pourrait désigner comme francophone eurodescendant au sein de la majorité allochtone, surtout dans un contexte où cette dernière cherche elle-même à intégrer en son sein des gens issus d’autres cultures en vue de mieux s’affirmer comme minorité francophone au sein d’une société canadienne majoritairement anglophone. Ainsi, on relève que 13 participants sur 23 font ressortir cette

diversité ou encore témoignent de leurs propres expériences d’ouverture sur le monde lors de voyages à l’étranger.

Dans un premier temps, Alice considère que la société québécoise est « relativement ouverte sur son monde et sur le monde », mais souligne qu’« il reste malgré tout quand même pas mal d’efforts à faire. Ne serait-ce que dans [...] la transmission des manières d’être ou de faire avec l’Autre, qu’il soit Autochtone ou encore immigrant ou Canadien-anglais ». Pour sa part, Hélène s’est dite agréablement surprise de constater que « dans les dernières années[, la culture québécoise], c’est une culture qui est très multiculturelle […], ça donne une autre couleur à la culture ». Cette remarque témoigne de l’influence qu’exerce aussi chez les Autochtones le fait que le groupe allochtone tienne lui-même compte d’autres influences culturelles. Or, c’est souvent lors des études collégiales que les participants font état de leur « découverte » des autres cultures, la plupart ayant grandi dans un milieu où la diversité ethnoculturelle impliquait surtout les relations entre Autochtones et Euroquébécois. En effet, cette diversité dans certaines régions concerne essentiellement les Autochtones, surtout lorsqu’ils y sont majoritaires, comme au Nunavik (65,0%), ou y représentent une part considérable de la population, comme sur la Côte-Nord (15,8%)80.

À l’école primaire et secondaire, une seule mention concerne la rencontre d’autres cultures et on y observe une attitude d’ouverture, comme l’illustre Paul : « Mais du fait qu’il [un enseignant] était Noir, du fait qu’il parlait avec un accent, les autres dans la classe le lâchaient pas puis moi, je me suis dit : ‘‘J’embarque pas dans cette game-là!’’ ». Dans un autre ordre d’idées, Mathieu indique par ailleurs que ce qui a motivé un membre de sa famille à envoyer ses enfants dans une école allochtone était que le programme offert lui semblait « plus ouvert sur le monde » que celui dans sa communauté. Ce témoignage illustre au passage un dilemme auquel font face toutes les écoles autochtones : comment assurer la transmission d’une culture minoritaire tout en offrant un contenu scolaire qui permette aux élèves de s’ouvrir à la diversité ethnoculturelle? À l’université même, certains participants comparent la situation des étudiants étrangers à celle des étudiants

autochtones, mais surtout pour distinguer l’une de l’autre. Or, elles peuvent tout de même se rejoindre, voire donner lieu à des liens plus soutenus entre les étudiants autochtones et étrangers, comme l’indique Christine : « Je me suis rendu compte que tous mes amis que j’avais [sur le campus], c’étaient tous des amis qui étaient pas Québécois. C’étaient tous des... un peu, tu sais, Roumains, Italiens, tout... ». Cette proximité entre étudiants autochtones et allochtones minoritaires donne ainsi lieu à une reconfiguration de la frontière interne dans la mesure où la face externe représentée par le groupe allochtone euroquébécois renvoie côte-à-côte nations autochtones et groupes ethniques d’immigration récente.

Quelques participants ont aussi eu l’occasion d’expérimenter la diversité ethnoculturelle à l’extérieur du Québec, telle Monique, dont l’emploi l’a conduite sur plusieurs continents, influençant aussi le rapport entretenu avec sa propre culture autochtone. Pour sa part, Annabelle a eu l’occasion de travailler quelques années à l’étranger et mentionne que c’était comme si toute sa communauté découvrait d’autres pays à travers elle, notamment via Facebook. L’éloignement occasionné par le voyage est d’ailleurs souvent compensé par un rapprochement avec les Autochtones de l’étranger, occasionnant à la fois « ouverture sur l’Autre » et « ouverture sur soi », en tant que membre de cette grande autochtonie. Ce faisant, pas moins de 7 participants ont mentionné avoir visité des Autochtones dans un autre pays ou encore avoir rencontré des Autochtones provenant d’un autre pays dans leurs communautés ou ailleurs au Canada81. Par exemple, que ce soit en lien avec ses études, un emploi ou une implication, Alice a pu nouer très tôt des liens avec des Autochtones dont elle ne parlait pas la langue ni ne connaissait les coutumes. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’elle a eu l’occasion de faire découvrir sa propre communauté à ses amis autochtones rencontrés à l’étranger. Cette réciprocité des contacts, où les statuts de visiteur et d’hôte s’échangent mutuellement, n’est pas sans lien avec la situation mondiale contemporaine, où les relations entre cultures et pays auparavant peu liés se sont nettement accrues. Elle revêt toutefois une signification bien particulière en milieu autochtone, étant donné l’histoire commune associée à la colonisation et la

81 Dans certains cas, il peut s’agir de membres de sa propre famille élargie qui vivent aux États-Unis, en

dépossession, comme l’indique Alice.

Je me souviens de m’être demandée : « Bien oui, comment ça se fait que par réflexe, je me pose même pas la question? » Moi, je m’en vais dans une communauté [autochtone] puis c’est pas parce que la ville à côté m’intéresse pas, je vais forcément y passer ou... Mais dans ma tête, c’est vers là que je m’en vais. […] Je vais me sentir en sécurité et mieux dans un contexte autochtone ailleurs qu’en contexte pas autochtone.

Si leurs traditions culturelles et leur histoire préservent leurs spécificités, les Autochtones à l’échelle internationale partagent néanmoins beaucoup d’éléments communs et Annabelle évoque même un « inconscient collectif », soit un sentiment d’appartenance par-delà les frontières territoriales.

C’est vraiment, je pense au niveau quasiment comme de l’inconscient collectif. Il y a quelque chose, on a une histoire qui est semblable. On a des choses qu’on est pas obligés de s’expliquer entre Autochtones parce qu’il y a une réalité commune. Peu importe tu es de quelle nation, il y a une réalité commune. Il y a des marqueurs communs, il y a des éléments communs. Puis, je veux dire, je vais parler à des [Autochtones d’un autre continent] puis ils vont me raconter la même chose : cette espèce de connexion-là, qui est là... On peut ne rien dire puis se sentir connectés.

Tout compte fait, la diversité culturelle se retrouve dans la société majoritaire elle- même, mais les participants peuvent aussi la découvrir à l’étranger et revenir chez eux doublement transformés. Étant issus de cultures autochtones minoritaires au Québec, ils peuvent aussi retrouver certaines similitudes avec des gens issus de cultures allochtones minoritaires durant leurs études collégiales et universitaires, découvrant alors avec satisfaction qu’ils ne sont pas les seuls « différents » de l’Autre majoritaire.