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CHAPITRE IV – CADRE CONCEPTUEL

4.2. DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE EN ÉDUCATION

4.2.1. Éducation interculturelle et multiculturelle

Malgré certaines divergences, les deux modèles de cette approche théorique ont en commun la reconnaissance et la célébration du pluralisme, la construction de rapports

58 Par exemple, une famille analphabète peut valoriser l’école, alors qu’une autre moyennement éduquée peut

transmettre un rapport négatif à l’école du fait de ses mauvaises expériences. Un garçon peut se définir davantage en lien avec son père et une fille avec sa mère, si bien que la transmission du capital culturel de l’autre parent peut être atténuée. Au sein d’une même famille, il peut y avoir deux enfants aux résultats scolaires très différents, en plus de reconfigurations de relations qui affecteront les pratiques éducatives.

interculturels harmonieux, la lutte contre les préjugés et la valorisation de l’héritage culturel des élèves et étudiants des minorités. Le modèle interculturel se distingue du multiculturel avec la notion de culture commune et on observe une approche plus critique depuis les années 1980, avec un intérêt pour les relations de pouvoir et les structures à la source des inégalités en éducation, notamment sous l’influence de l’éducation antiraciste (Potvin et Larochelle-Audet, 2016, p. 111). L’interculturalisme est davantage présent au Québec, en Europe continentale et en Amérique latine, alors que le multiculturalisme l’est plutôt au Canada (hors-Québec), aux États-Unis et au Royaume-Uni.

L’UNESCO (2006, p. 18) distingue les deux modèles en considérant que l’ « éducation multiculturelle recourt à un enseignement sur d’autres cultures afin d’obtenir l’acceptation ou, du moins, la tolérance de ces cultures » et que l’éducation interculturelle « vise à aller au-delà d’une coexistence passive […] grâce à l’instauration d’une compréhension, d’un respect et d’un dialogue entre les différents groupes culturels ». L’idée centrale de l’intégration des minorités à la culture dominante est désormais davantage critiquée en raison de l’occultation des rapports de pouvoir entre les groupes ethniques qu’elle dissimule (Henry et Tator, 2005). Cette critique a par exemple conduit Banks (2008) à considérer l’éducation multiculturelle comme un mouvement de réforme éducative qui combat le racisme et les inégalités sociales à partir d’un questionnement des rapports de pouvoir et des structures qui les rendent possibles. Par contre, l’approche dite « traditionnelle » du multiculturalisme consiste surtout à combattre les préjugés et le racisme à l’échelle individuelle en promouvant la tolérance. Dès lors, l’éducation interculturelle et multiculturelle a beaucoup emprunté à l’éducation antiraciste et aux approches critiques et transformatives que nous aborderons à la prochaine section.

L’approche théorique de l’éducation interculturelle et multiculturelle vise donc surtout l’intégration des immigrants à la société d’accueil, mais le cas des Autochtones au Québec se distingue, dans la mesure où il s’agit de nations qui ne peuvent être réduites à leur statut de minorités démographiques. Dans cette optique, Bouchard (2012) refuse même d’inclure les Autochtones dans sa définition du modèle interculturel québécois puisque ces derniers négocient de nation à nation avec le gouvernement québécois et rejettent le statut

de minorités. L’auteur avance que « la question du rapport entre les Autochtones et l’interculturalisme doit être mise de côté pour le moment, bien qu’une disposition importante soit d’ores et déjà acquise, soit la reconnaissance du Québec comme État plurinational » (p. 17). Nous pouvons cependant considérer que l’interculturalisme en contexte québécois cherche à favoriser l’intégration des immigrants à la culture francophone (allochtone) majoritaire, tout en reconnaissant une relative autodétermination des nations autochtones, sans pour autant que ces dernières ne remettent fondamentalement en question le modèle dominant des institutions provinciales. Or, l’interculturalisme québécois prend un sens particulier puisqu’on y retrouve une majorité dite « fragile », c’est-à-dire à la fois minoritaire au pays (Canada) et majoritaire à l’échelle provinciale (Québec), à l’instar des Catalans en Espagne et des catholiques en Irlande du Nord (McAndrew, 2010). Nous considérerons donc avec Marie McAndrew que « les francophones constituent la majorité fragile au Québec, bien que ce degré de fragilité varie selon que l’on aborde ses rapports avec les groupes anglophone, immigrant ou autochtone » (p. 14).

Dans notre thèse, nous analyserons la diversité ethnoculturelle en éducation soulevée par le cas des étudiants des Premières Nations dans les universités québécoises à l’aide d’un cadre théorique interculturaliste critique, où les rapports de pouvoir s’opèrent non seulement entre la société d’accueil et les nouveaux arrivants, mais aussi entre le groupe majoritaire (francophone allochtone) et les nations autochtones qui, plutôt que d’être reléguées au statut de minorités, sont considérées comme des nations au sein d’un État plurinational québécois, lui-même intégré à un État plurinational canadien. Plus précisément, nous nous inspirerons de la théorie de Danielle Juteau (1999) pour analyser les rapports intergroupes entre Autochtones, francophones, anglophones et immigrants, en considérant les rapports de pouvoir ayant constitué les faces externes de ces quatre groupes ethniques.

Ainsi, l’ethnicité n’est pas seulement un ensemble de traits partagés par un groupe d’individus : elle se produit à travers une frontière à double face plus ou moins rigide qui relève d’une logique à la fois externe et interne. La face externe concerne la différenciation

« nous – eux » et se construit à travers les relations sociales marquées par des rapports de pouvoir, alors que la face interne socialise chaque individu au sein d’un groupe ethnique comme être historique et membre d’un groupe d’appartenance (le « nous »). C’est donc la face externe qui « commande la construction d’une face interne spécifiquement ethnique et qui convertit la culture en ethnicité » (Juteau, 1999, p. 166). Dans ce contexte, les groupes minoritaires ont un fondement relationnel car ils sont définis par des rapports de pouvoirs entre les groupes dominants et dominés, comme l’illustre très bien le cas des Premières Nations, longtemps réduites à n’être que « l’envers du Blanc » (Simard, 2003).