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CHAPITRE II – MÉTHODOLOGIE

2.2. À PROPOS DE LA RECHERCHE EN MILIEU AUTOCHTONE

Les chercheurs en sciences humaines et sociales n’ont pas toujours bonne réputation en milieu autochtone. Après différentes formes d’abus dans un contexte colonial et néocolonial, les Autochtones ont réclamé une plus grande place au sein du processus de recherche lorsqu’ils sont concernés et nous considérions essentiel de conclure notre méthodologie en précisant comment nous avons voulu mener notre recherche dans le respect de nos participants issus des Premières Nations.

On peut affirmer avec Biolsi et Zimmerman (1997) que le moment décisif dans la recherche auprès des Autochtones fut la publication de Custer Died for Your Sins: An Indian Manifesto (Deloria, 1969), qui critiquait vivement l’anthropologie pratiquée auprès des Autochtones aux États-Unis. L’auteur reprochait aux chercheurs en sciences sociales de ne pas s’intéresser au sort des Autochtones qu’ils étudiaient et plutôt les réduire à un objet utile à leur carrière et qui, de surcroît, était défini d’une manière déformant la réalité du point de vue des principaux intéressés. La décennie 1970 initiera donc une nouvelle ère de relations entre chercheurs et Autochtones puis, plus largement, entre ces derniers et les autorités politiques allochtones. Sans pour autant adopter une approche engagée, plusieurs chercheurs ont commencé à considérer que l’apprentissage représentait un partage des connaissances entre eux et leurs « objets » d’étude, alors devenus « sujets » (Sillitoe, 2006, p. 3).

Ainsi, l’éthique de l’anthropologie appliquée – qu’on peut étendre à l’ensemble des sciences sociales – peut désormais se comparer à celle du journalisme, dans la mesure où le chercheur se rend à la source d’information et offre confidentialité et véracité (accuracy)

en échange de l’information et du consentement à l’utiliser (Price 1987, cité dans Hedican, 2008, p. 34). La relation doit donc se baser sur la confiance et le respect mutuel et se traduit notamment par l’obtention d’un consentement libre et éclairé tout au long des différentes phases du projet de recherche ainsi que par la préservation de l’anonymat des participants. Il importe également de garantir l’accès aux résultats à ces derniers, en plus de favoriser leur circulation chez les intervenants intéressés par la question, notamment dans les communautés autochtones. Ce faisant, nous considérons avec Champagne (1996) que tous les chercheurs, qu’ils soient ou non autochtones, peuvent participer à la recherche en milieu autochtone, pourvu qu’ils respectent certains principes de base. Plus précisément, cet auteur autochtone considère que vouloir exclure les allochtones de la recherche en milieu autochtone reviendrait à exclure la culture et l’histoire autochtones de l’ensemble de la culture et de l’histoire de l’humanité. Or, les Autochtones faisant partie de l’humanité, il est alors tout à fait normal que l’humanité entière s’intéresse aux enjeux qui les concernent. Qui plus est, s’ils font preuve d’ouverture, de respect et d’une volonté sincère de comprendre les réalités autochtones, les chercheurs allochtones peuvent même devenir de puissants leviers de changement en faveur d’un meilleur vivre-ensemble.

C’est dans cette optique que nous nous sommes inspiré de l’Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains 27 (CRSH, CRSNG et

IRSC, 2010), plus précisément de son chapitre 9 intitulé « La recherche visant les Premières Nations, les Inuits ou les Métis du Canada ». Si la plupart des principes éthiques soulevés dans les documents concernent la recherche menée directement dans les communautés, notre recherche implique des individus qui ne résident pas nécessairement dans leurs communautés d’origine et ne s’inscrit donc pas dans les aspects collectifs reliés par exemple à l’observation participante ou aux entrevues de groupe. Dans notre cas, les aspects éthiques relatifs aux communautés autochtones concernent donc surtout la prise de contact avec ces communautés et les rapports à entretenir avec elles lors de la présentation du projet de recherche et de la diffusion des connaissances.

27 Incluant le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le Conseil de recherches en

Or, l’Énoncé de politique des trois Conseils est devenu une référence incontournable en matière de recherche auprès des Autochtones puisque tous les projets soumis aux grands organismes subventionnaires fédéraux doivent tenir compte de ses lignes directrices. Son introduction précise qu’il :

est présenté dans un esprit de respect et ne vise pas à remplacer ou à annuler les principes éthiques des Autochtones ou des peuples autochtones eux-mêmes. Il a pour but de faire en sorte que les projets de recherche visant des Autochtones reposent, dans la mesure du possible, sur des relations fondées sur le respect. Il vise aussi à encourager le dialogue et la collaboration entre les chercheurs et les participants. (CRSH, CRSNG, IRSC, 2010, p. 117).

C’est dans cet esprit que nous avons entrepris cette recherche, étant particulièrement conscient des abus du passé ayant conduit plusieurs communautés autochtones à faire preuve de méfiance à l’égard des chercheurs. Plus précisément, l’article 9.1. prévoit que pour tout projet « susceptible d’avoir des répercussions sur le bien-être d’une ou de plusieurs communautés autochtones auxquelles appartiennent les participants éventuels, les chercheurs doivent susciter la participation de la communauté ou des communautés visées » (CRSH, CRSNG, IRSC, 2010, p. 123), ce qui impliquait dans notre cas de prendre contact avec les responsables de l’enseignement postsecondaire dans une communauté avant de poursuivre notre recrutement auprès des étudiants et diplômés universitaires de cette communauté. On remarque aussi que l’article 9.10 oblige tout chercheur à communiquer avec son comité d’éthique de la recherche lorsqu’il souhaite faire appel à des participants autochtones en précisant comment prendra forme la participation de la ou des communautés, ce qui fut fait dans notre cas avec les Comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval (CÉRUL), avant même tout contact avec les communautés d’où proviennent les participants. À l’article 9.16., on précise l’importance de définir le degré de confidentialité des données à respecter avec les membres d’une communauté et nous avons d’emblée expliqué aux responsables de l’enseignement postsecondaire que nous n’identifierions explicitement aucun de nos participants et que leurs récits seraient présentés de manière à ne pas trop facilement identifier eux-mêmes ou leur entourage.

En définitive, nous avons mené une recherche en milieu autochtone respectueuse des participants rencontrés et de leurs communautés, dans les limites et contraintes propres à la poursuite des études doctorales. Le contact fut facilité par le statut d’étudiant universitaire du chercheur, ce qui permettait aux participants de mieux se sentir compris : tous ont d’ailleurs à leur manière fait des liens entre leurs propres expériences et celles de l’auteur de ces lignes. En tant qu’allochtone, il nous fut souvent demandé ce qui nous avait conduit à mener une recherche en milieu autochtone et nous expliquions alors que c’est d’abord à partir d’une réflexion sur les inégalités sociales dans l’accessibilité aux études universitaires que nous avons initialement entrepris notre projet de thèse. Nos questionnements nous ont ensuite amené à nous intéresser plus précisément au cas des étudiants autochtones puisqu’il s’agissait d’un enjeu illustrant qu’en dépit d’avancées notoires en termes de diplomation depuis la Commission Parent, l’accessibilité à l’enseignement supérieur reste un projet inachevé, comme le soulignent à juste titre Chenard et al. (2013).

Enfin, étant bien au fait des inégalités sociales entre Autochtones et allochtones, nous cherchions autant que possible à atténuer le rapport colonial dans nos relations avec les participants, tout en demeurant très conscient des structures sociales qui reproduisent ces rapports de domination et sur lesquelles nous n’avons que bien peu de prise. En plus du respect de base à entretenir avec tout interviewé issu d’une autre culture, nous nous sommes préalablement renseigné sur les cultures des Premières Nations au Québec afin aussi de montrer aux participants que nous nous intéressions à leur monde social (Bertaux, 2010). Nous insistions aussi sur le fait que nous les rencontrions avant tout pour apprendre d’eux et que nous étions curieux d’en savoir davantage sur leurs parcours et leurs cultures. Nous avons également eu l’occasion de renverser à petite échelle la violence symbolique (Bourdieu, 1970) durant certaines de nos entrevues qui se sont déroulées dans un local universitaire qui avait été mis à notre disposition. Nous invitions alors chaque participant à s’asseoir dans le fauteuil de direction, situé derrière le bureau, alors que nous prenions place sur une chaise plus modeste à l’avant du bureau. Certains étudiants ont d’ailleurs mentionné être agréablement surpris de se retrouver dans cette position et nous les invitions à prendre leurs aises en leur rappelant qu’ils étaient importants puisque c’étaient d’eux que

nous souhaitions apprendre. C’est donc avant tout en étant à l’écoute des participants rencontrés que nous avons réussi à établir des liens de confiance qui nous ont permis de réaliser les entrevues au cœur de cette thèse.