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La portée des conventions sur la preuve

TITRE II LE FORMALISME DE SOURCE CONVENTIONNELLE

Section 2. La portée et les limites des conventions sur la preuve

A. La portée des conventions sur la preuve

263. La recherche d’une notion de la convention sur la preuve (§1) et la

définition de son champ d’application et ses illustrations dans les droits spéciaux (§2) sont les points fondamentaux à aborder maintenant, pour définir la portée des conventions sur la preuve.

§1. Notion de la convention sur la preuve

264. Les conventions sur la preuve peuvent être définies comme les

« accords exprès ou tacites par lesquels les parties modifient les règles normales de la preuve judiciaire soit quant à la charge de la preuve, soit quant à la détermination des faits à prouver, soit quant à l’emploi des procédés de preuve »302. Dans ce sens, les accords sur la preuve ont pour but de permettre aux parties l’organisation de la manière dont elles vont démontrer les droits qu’elles veulent faire valoir en justice303.

De la sorte, elles sont de vrais contrats, régis par le principe de l’autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle. Or, l’article 1134 de Code civil est pleinement applicable, quand il affirme que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Dès lors, et dans le cadre de la conclusion du contrat, les contractants sont élevés au rang de législateur. Et pour le cas particulier des conventions sur la preuve les

302 M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., Traité pratique de droit civil français no.

1428.

cocontractants sont les créateurs des règles du droit de la preuve et le contenu de la convention sera désormais la loi pour les parties.

265. En fait le contrat joue un double rôle par rapport à la preuve. En

premier lieu il agit comme l’objet de la preuve. C’est le rôle traditionnel qu’on trouve de la preuve dans le système juridique, par la nécessité de prouver son existence ou son contenu dans le cadre d’un procès. Mais le contrat joue un autre rôle en relation avec la preuve. Il peut être aussi le moyen d’organisation de la preuve car les contractants sont maîtres de leur convention et libres pour déterminer les règles particulières qui vont régir la preuve du contrat304.

Autrement dit « le contrat joue, classiquement, le rôle de preuve. Il est, en lui-même, instrument (« instrumentum ») de preuve et son élaboration, préalable à l’établissement des relations entre les parties, va entraîner préconstitution de la preuve ; c’est sous cet aspect auto-probatoire de formalisation de la preuve qu’il est généralement étudié »305. Mais c’est sur son deuxième rôle, le rôle contemporain de la preuve, que nous l’aborderons dans ce chapitre : Le contrat comme source de la règle de preuve.

Dans cette dernière perspective, le contrat est l’accord des parties « susceptible de porter sur les conditions d’établissement de la preuve. Il sera, alors, « moyen d’aménagement de la preuve »306.

266. Face à ces enjeux, il est facile de constater, en matière de conventions

sur la preuve, une orientation « anti-formaliste »307 dans la jurisprudence. En dépit du notable développement de la législation impérative en matière des contrats et de l’invasion formaliste par voie légale, on constate l’émergence d’une autre tendance (surtout jurisprudentielle), très différente, qui cherche à donner plus de liberté aux parties au moment de la conclusion du contrat.

304 D. FERRIER, eod. loc., p. 106.

305 D. FERRIER, eod. loc., p. 107.

306 Ibid.

307 Ainsi, les règles de preuves étudiées dans le contexte du formalisme. Sur le sujet : « La

notion d’efficacité de l’acte juridique occupe, on le voit, une place prépondérante dans la définition du formalisme. Or, la règle de preuve d’un acte juridique conditionne son efficacité dans la mesure où elle constitue le moyen d’établir son existence judiciaire. Lorsque la preuve d’un acte dépend de sa rédaction préalable, il se trouve soumis à une règle de forme qui conditionne son efficacité. De ce point de vue il n’y a alors pas de raison d’exclure les règles de preuve des manifestations du formalisme ». V. FORRAY, op. cit.,

Cette tendance, totalement opposée à la première308, est perceptible dans la possibilité offerte aux parties de conclure des contrats sur la preuve309. La validité des conventions sur la preuve est une illustration de cette tendance anti-formaliste qui gagne du terrain par voie jurisprudentielle.

« En fin de compte, notre système probatoire est, en partie, gouverné par le principe de la liberté contractuelle, même si dans une large mesure, l’Etat continue d’imposer un ordre public de la preuve. Cette organisation du procès, paradoxale de l’avis de certains auteurs, permet de concilier la liberté des parties fondée sur leur volonté contractuelle avec les principes fondamentaux de notre système judiciaire »310.

267. Cette possibilité de conclure des conventions sur la preuve, qui a été

ouverte par voie jurisprudentielle, est aujourd’hui entérinée dans l’article 1316-2 du Code civil, introduit par la réforme du 13 mars 2000, et aux termes duquel : « lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support ».

Ainsi, les parties peuvent, par une convention particulière, aménager les règles applicables à la preuve de leur contrat. « A titre d’illustration, il a été admis qu’elles conviennent d’une preuve testimoniale alors qu’un écrit était en principe nécessaire compte tenu de l’intérêt pécuniaire en jeu, ou qu’elles conviennent de faire supporter l’obligation d’établir la preuve, par celui qui en était légalement dispensé, ou encore qu’elles s’accordent sur la reconnaissance du caractère probatoire d’un document alors qu’il devait en être privé faute de signature : le fait de donner un numéro de carte bancaire peut, si c’est

308 Qui consiste dans l’augmentation et imposition des formes pour la conclusion du

contrat.

309 Et aussi dans les conventions sur la forme. V. Supra le chapitre sur La convention

sur des formes de validité, p. 78 et s.

310 V. DEPADT-SEBAG, eod. loc., p. 17.

convenu, valoir « signature informatique » et constituer une preuve suffisante de l’engagement souscrit par le titulaire de la carte »311.

268. La possibilité des parties de déroger aux règles légales de la preuve

peut paraître inconcevable dès lors que le système probatoire offert par l’Etat cherche à forger la conviction du juge. La finalité de la régulation légale de la preuve est celle d’approcher le juge à la vérité matérielle, au bénéfice des parties. Alors il semble surprenant que les intéressés puissent librement s’en affranchir312.

Cependant, dans cette matière la liberté contractuelle paraît se réaffirmer comme principe recteur du droit des contrats. « Car la liberté contractuelle constitue l’un des principes de notre droit des obligations : « ce qui est contractuel est juste », en écho du principe de l’autonomie de la volonté. Si les parties ont convenu un aménagement de la preuve, il n’y a aucune raison de remettre en cause cette volonté commune »313.

269. Alors le contrat sur la preuve peut être express ou tacite. De fait, elle

résulte souvent d’une attitude ou d’un comportement314. Dans ce sens, la jurisprudence française a admis depuis longtemps que la renonciation d’une partie au bénéfice d’une promesse de vente fasse échec à l’exigence de la preuve littérale315.

Il est également admis que la renonciation au bénéfice d’une clause d’un contrat puisse se prouver librement, bien que l’article 1341 du Code civil français interdise de prouver outre et contre un écrit par témoins ou présomptions316. « Si la renonciation aux règles de l’article 1341 est justifiée, le demandeur peut recourir aux témoins ou aux présomptions pour prouver

311 D. FERRIER, eod. loc., p. 110. 312 Ibid.

313 Ibid.

314 Cass. soc. 3 août 1949, Bull. civ. III, no. 894. 315 Cass. Req., 14 mai 1946, jurispr., p. 374.

l’existence et le contenu du contrat. Dans cette situation, l’appréciation des moyens de preuve doit être laissée au pouvoir souverain des juges de fond »317.

270. Pour autant, c’est par voie jurisprudentielle que les conventions sur la

preuve ont gagné du terrain. Alors il est précis d’étudier le développement jurisprudentiel qui s’est produit dans les droits spéciaux et ainsi déterminer le champ d’application des conventions sur la preuve.

§2. Champs d’application des conventions sur la preuve : L’essor des conventions sur la preuve en matière de preuve technologique

271. Le développement des contrats technologiques et l’émergence de

nouvelles modalités contractuelles en droit contemporain ont montré l’utilité de retenir des modes de preuve innovants qui étaient normalement ignorés par le droit. Ainsi, les nouvelles voies offertes par la technologie et les échanges multimédias ont ouvert la possibilité à la validité des nouveaux modes de démonstration.

Face à l’insuffisance du droit positif en relation avec le développement des rapports contractuels contemporains et immatérialisés, la pratique contractuelle s’est tournée vers la possibilité d’accorder des modes de preuve que le droit ne reconnaissait pas encore et qu’il a dû prendre progressivement en compte318.

272. En effet, l’essor des conventions sur la preuve a eu lieu précisément

dans la pratique contractuelle contemporaine, avec le développement des échanges multimédias et avec la conclusion des contrats par voie électronique.

Ainsi, on trouve dans les contrats contemporains de nombreuses conventions relatives aux procédés de preuve qui cherchent à adapter les règles de preuve du contrat aux modalités et aux ressources propres aux techniques employées319.

317 T.-D. NGUYEN, op. cit., p. 169.

318 Cass. com. 2 décembre 1997, RTD. Com. 1998, 187, obs. M. Cabrillac. 319 V. DEPADT-SEBAG, eod. loc., p. 18.

273. Un premier exemple se trouve en matière d’abonnement téléphonique,

où il est prévu que le relevé établi par l’exploitant vaudra preuve de l’utilisation de la ligne par l’abonné. On trouve aussi un exemple dans les contrats de fourniture de produits comme l’eau, le gaz, ou l’électricité, les parties conviennent que la preuve de la convention résultera de l’inscription figurant au compteur placé chez l’abonné320.

274. En droit bancaire sont très fréquentes les conventions sur la preuve.

Dans ce type de contrats un établissement remet à son client une carte de paiement, en même temps que le code confidentiel permettant de l’actionner. Il est fréquent que les parties prévoient que l’enregistrement informatique par l’ordinateur de la banque vaudra preuve des ordres de paiement, réalisés au moyen de la carte et du code correspondant.

L’arrêt Credicas est très célèbre en matière des conventions sur la preuve en droit bancaire. Cet arrêt, rendu le 8 novembre 1989 par la Cour de cassation a reconnu la validité des conventions sur la force probante de modes de preuve. La première chambre civile a critiqué les juges de fond pour avoir estimé que « quelles que soient les conventions des parties, (il convient) que soient produits des éléments propres à convaincre les juges », décidant ainsi que les juges ne peuvent déclarer insuffisants à entraîner leur conviction des éléments de preuve que la convention des parties répute suffisants321.

Ainsi, en matière de contrats bancaires les émetteurs de cartes ont pris l’habitude d’insérer dans les contrats conclus avec leurs clients des clauses prévoyant que ces types d’identification feraient la preuve de leurs engagements. Toute la question était de savoir si ces conventions relatives à la preuve avaient une réelle portée juridique. Ici, la Cour de cassation « n’hésite pas à affirmer clairement, et en termes très généraux, la licéité des conventions relatives à la preuve, ce qui va au-delà d’une simple confirmation des solutions anciennes »322.

320 Cass. 1re civ. 30 mars 1999, JCP, 2000, II. 10 334. V. aussi Cass. civ. 4 juin 1991 :

Contrats, concur, consom., août- septembre 1991, no. 182, obs. L. Leveneur ; RTD

civ. 1992, 403, obs. P.-Y. Gautier.

321 Cass. 1ère civ. 8 novembre 1989, deux arrêts : Bull. civ. I, no. 342, p. 230 : D. 1990,

J, 369 ; D. 1990, J, 369, note Ch. Gavalda ; JCP 1990, II, 21576, note G. Virassamy.

L’informatisation des rapports contractuels a provoqué de notables conséquences dans les méthodes utilisées au moment de la conclusion des contrats et aussi dans la transformation du système probatoire. Le cas de l’arrêt Credicas montre clairement comment les conventions sur la preuve sont des instruments très utiles en faveur de l’efficacité et rapidité dans les rapports entre les banquiers, les établissements de crédit et leurs clients.

275. Ainsi cette question sur la validité des conventions sur la preuve, un

peu oubliée et marginale, gagne en force actuellement avec le développement des paiements par cartes et des contrats par internet. Il correspond donc au droit contemporain de constater la validité de ce type de conventions et de reconnaitre leur force probatoire323.

En pratique, cette jurisprudence de la Cour de cassation conforte la sécurité, la rapidité et l’efficacité des rapports informatisés dans le domaine de la banque et du crédit. Les parties qui décident d’inclure dans leur contrat une convention sur la preuve, en donnant une force probatoire aux méthodes informatisées, facilitent aussi la preuve du contrat324.

276. Dans cette perspective cette solution cherche à favoriser la fluidité des

systèmes informatisés, de l’informatique bancaire et du crédit. Mais elle constitue aussi « une consécration ou une reconnaissance de la « signature informatique »325, et « en même temps d’ailleurs qu’il assure la réelle irrévocabilité de l’ordre de paiement voulue par la loi du 11 juillet 1985 en interdisant au client d’en contester ultérieurement la réalité en dehors des hypothèses légalement admises »326.

277. Ces conventions sur la preuve peuvent avoir pour effet le

renversement de la charge de la preuve. Pour le cas des cartes de crédit, elles

323 A. BENABENT, op. cit., p. 83.

324 V. dans le même sens sur les conventions passées entre les banques et leurs clients

relatives à l’emploi des cartes bancaires : Cass civ. 1re, 8 nov. 1989, Bull. civ. I. no.

342, p. 230, D. 1990. 369 note Ch. Gavalda, JCP 1990, II, 21576 note G. Virassamy,

RTD civ. 1990, 80 obs. J. Mestre, RTD com. 1990. 79, obs. M Cabrillac et B. Teyssie.

325 V. Montpellier 1re Ch., sect. D., 9 avril 1987, JCP 1988, II, 20984, note M.

BOIZARD ; Rev. Trim. Dr. Civ. 1988, p. 758, obs. J. Mestre ; V. également J. HUET et H. MAISL, Droit de l’informatique et des télécommunications, Litec, 1989, no.

665, p. 778.

ne sont délivrées que si est accordée une convention sur la preuve qui n’a pour effet que de renverser la charge de la preuve. « Elle ne saurait empêcher que soit librement démontrée, par tous moyens, l’inexactitude de l’enregistrement informatique ; cette preuve négative est difficile et ne peut résulter que d’indices, par exemple, l’imperfection de l’appareil ou l’invraisemblance du paiement »327.

278. De la sorte, le droit de la consommation s’est montré hostile à

accepter la validité des conventions sur la preuve, dans la mesure où elles peuvent renverser la charge de la preuve et ainsi présenter des atteintes à la liberté de preuve.

En effet, le Code de la consommation dans l’article R-132-1, 12o établit que sont de manière irréfragable présumées abusives et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet d’imposer au non-professionnel ou au consommateur « la charge de la preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait incomber normalement à l’autre partie au contrat ».

Par conséquent, selon le contenu de la norme précitée, dans les contrats de la consommation, sont visées comme susceptibles d’être abusives les clauses qui renverseraient la charge de la preuve au détriment du consommateur ou limiteraient les moyens à sa disposition328. Selon le Code de la Consommation ces clauses, considérées comme abusives, seront réputées non écrites.

279. Il est pertinent d’évoquer que la validité des conventions sur la preuve

électronique a été élevé au niveau légal. Certes l’article 1316-2 Code civil consacre que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

280. Cependant, afin de définir avec exactitude le champ d’application des

conventions sur la preuve, il faut savoir jusqu’où peut aller la volonté individuelle. Ainsi il faut connaître quelles sont les limites qui existent pour la volonté au moment de convenir des règles de preuve du contrat.

327 Ph. MALAURIE, op. cit., p. 280. 328 A. BENABENT, op. cit., p. 83.

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