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Les difficultés des conventions sur les formes de validité (la discussion)

TITRE II LE FORMALISME DE SOURCE CONVENTIONNELLE

Section 1. La volonté contractuelle constitutive des formes de validité (contrat consensuel)

B. Les difficultés des conventions sur les formes de validité (la discussion)

185. La question de fond se pose de savoir si la forme imposée en vertu de

la convention, peut-être considérée comme équivalente à une forme légale. Autrement dit, est-ce que l’accord de soumettre un contrat consensuel aux formalités de validité suffit pour le transformer en contrat solennel ?

Un acte juridique devient-il solennel par le fait que ses auteurs ont stipulé qu’ils n’entendaient exprimer un consentement valable que selon une forme déterminée ?

186. Pour répondre à ces questions il faut tout d’abord réviser les formes

conventionnelles face à l’entendu du principe du consensualisme (§1), pour déterminer ensuite la portée de la convention sur la forme (§2), et finir avec

202 A. LAUDE, op. cit., p. 272.

l’analyse du problème de la sanction en cas de non-respect des formes conventionnelles (§3).

§1. Formes conventionnelles et étendue du principe du consensualisme

187. Pour certains auteurs, les parties dans l’exercice de la liberté

contractuelle, peuvent soumettre le contrat définitif aux modalités de forme204. Cependant pour d’autres cette analyse est contestable car la possibilité de conclure des conventions sur la forme se justifie par l’exercice même du principe du consensualisme ; ce qui veut dire que la forme légale n’est pas une forme mais « une manifestation de la liberté de la forme ou plus globalement de la liberté contractuelle »205.

188. Ainsi, pour cette partie de la doctrine, la possibilité de transformer le

contrat consensuel en contrat solennel par le seul accord des volontés « repose sur une conception erronée de l’acte juridique solennel et de la portée du principe du consensualisme. En vertu du principe du consensualisme, les parties ont le libre choix de la forme dans laquelle elles exprimeront leur volonté. Lorsque les parties décident d’un commun accord que leur volonté devra être exprimée selon une forme fixée à l’avance pour pouvoir produire un effet, elles choisissent le mode d’expression du consentement. Sans doute la forme devient-elle alors obligatoire, mais c’est par l’effet de la convention qu’elles ont librement conclue ; et si elles doivent s’y conformer c’est parce qu’elles l’ont voulue »206.

En conséquence, il n’y aurait donc pas d’exception au principe du consensualisme, « mais bien au contraire application de ce principe. Malgré l’exigence d’une forme convenue l’acte demeure consensuel ; il n’est pas solennel »207.

204 Dans ce sens V. F. TERRE, op. cit., thèse préc. p. 177. ; A. LAUDE, op. cit.,

thèse préc., p. 275.

205 V. FORRAY, op. cit., p. 110. 206 M.-A. GUERRIERO, op. cit., p. 88.

189. A propos de cette position de la doctrine, il est en principe

incontestable que l’accord préalable des parties de soumettre un contrat futur à certaines formes, c’est-à-dire la convention sur la forme, est fondé sur la liberté propre du principe du consensualisme, quant au fond et quant à la forme.

En effet, c’est grâce à cette liberté des parties que se justifie l’objet du contrat préparatoire, et ainsi elles peuvent librement choisir les formes pour exprimer leur consentement dans un contrat futur et définitif. Et aussi, quant à la forme même du contrat préparatoire sur les formes, les parties sont régies par le principe du consensualisme, car en principe il n’existe aucune forme imposée pour la conclusion des conventions sur la forme.

190. Cela nous permet de revenir sur l’idée que, quand on parle des

conventions sur des formes, proprement dites (avec les conditions déjà exposées), on est toujours en présence de deux contrats différents, d’abord le contrat préparatoire qui contient une convention sur la forme et le contrat définitif, qui selon la loi est en principe consensuel.

Ainsi, les deux contrats sont liés entre eux tout d’abord parce que le premier prépare l’exécution du second, mais ils sont différents et séparés, au moins par un intervalle de temps car, comme nous l’avons déjà mentionné, il faut que la convention sur la forme soit conclue préalablement à la conclusion du contrat définitif.

191. Ainsi, la vraie question qui se pose n’est pas celle de savoir quel est le

fondement de la convention préalable des formes, car évidement elle résulte du principe de liberté des formes, mais quelle est la source de l’obligation de conclure le contrat définitif par une forme particulière. Et là on ne pourrait plus affirmer que les parties sont régies par le principe du consensualisme car, au contraire, elles sont obligées de respecter certaines formalités, en vertu de la loi particulière et individualisée, qui est la convention sur la forme.

192. Ainsi, au moment de conclure le contrat définitif, les parties seront

tenues de respecter leur propre convention expresse et préalable sur les formes. Par conséquent, on peut affirmer qu’elles sont obligées de conclure un contrat futur solennel et la source de la forme contractuelle est la volonté des parties. Il est donc nécessaire de connaître la portée des conventions sur la forme.

§2. La portée de la convention sur la forme

193. Un autre problème se pose : celui de savoir quelle est la portée de la

convention sur la forme. Surtout lorsque les parties n’ont rien dit sur les conséquences de la forme accordée sur le contrat définitif. C’est-à-dire que, dans la clause de forme elles n’ont pas précisé s’il s’agissait d’une forme ad solemnitatem ou d’une forme ad probationem.

Ainsi, lorsque les parties ont précisé dans l’accord que l’exigence de forme serait requise pour la validité de l’acte ou pour sa preuve il n’y aura pas de grands problèmes. Il s’agit donc de respecter l’intention des parties dans l’accord visant une forme contractuelle208.

194. Par contre, lorsque les signataires n’ont pas précisé expressément la

portée qu’ils ont voulu donner aux exigences de forme, le juge doit interpréter le sens de l’accord des parties. De telle sorte que « le juge sera amené à rechercher, dans chaque cas, quelle a été la commune intention probable des parties. C’est donc là une question d’interprétation du contrat »209.

Les parties ont-elles entendu faire de l’exigence de forme une condition suspensive ou résolutoire de l’engagement, une condition de preuve, ou une véritable condition de validité de l’acte ? 210 Par exemple, les parties ont-elles conçu la rédaction d’un acte authentique comme une simple modalité d’exécution du contrat ou comme l’un des éléments essentiels ? 211

195. La jurisprudence, après avoir réussi à surmonter quelques difficultés et

hésitations212, décide aujourd’hui qu’en cas de doute sur la portée donnée par

208 « La portée d’une formalité convenue dépend en principe de la commune intention

des parties. Celles-ci peuvent avoir voulu subordonner la validité de l’acte au respect de la forme convenue ou régler seulement un problème de preuve », V. Cass. com., 3 oct. 2006, no. 05-13.052, note R. Wintgen.

209 B. STARCK, H. ROLAND, L. BOYER, Droit civil, Les obligations, Le contrat, t.

II, Litec, 6ème éd., p. 91.

210 M.-A. GUERRIERO, op. cit., p. 86. 211 A. LAUDE, op. cit., p. 274- 275.

212 Cass. 3ème civ. 2 avril 1979, JCP 1981, II, 19697, note Dagot, Defrénois, 1980, p.

les parties à la forme convenue, il faut appliquer la règle supplétive, c’est-à- dire le principe du consensualisme213. Ainsi, sauf volonté claire des parties en sens contraire, la forme convenue est présumée comme une simple condition de preuve et non de validité. Alors le seul accord sur les éléments essentiels du contrat suffit à former le contrat214.

En cas d’absence de volonté expresse des parties, la jurisprudence française a déterminé aussi qu’en ce qui concerne la réitération par acte authentique de conventions conclues par acte sous seing privé, il faut présumer qu’il s’agit d’une simple formalité probatoire215.

196. Par contre, la solution est opposée en ce qui concerne les formalités

prévues pour des actes juridiques unilatéraux. Ainsi, « s’agissant d’actes unilatéraux accomplis en vertu d’un contrat, la formalité s’impose comme condition de validité et non comme simple exigence de preuve. Lorsqu’une des parties se voit reconnaître le pouvoir de modifier unilatéralement la situation juridique de l’autre, il paraît en effet souhaitable de limiter autant que possible l’incertitude tenant à l’exercice du droit. L’exigence d’un strict respect des formes vient dans ce cas opportunément renforcer la sécurité juridique du destinataire de la notification »216.

197. Dans certains systèmes juridiques c’est la loi qui établit la règle

supplétive de la volonté des parties. Ainsi, selon les articles 125 et 154 § 2 BGB, l’article 16 al. 1 du Code Fédéral suisse des obligations, et l’article 1532 du Code civil italien, à défaut de volonté expresse des parties, si la forme était exigée ad solemnitatem ou ad probationem, il faut présumer que la forme est une condition de validité, et non simplement probatoire du contrat définitif217.

198. Une autre difficulté des conventions sur la forme est le problème de la

sanction en cas de non-respect des formes de source conventionnelle. Il est

213 Ch. LARROUMET, op. cit., p. 515. 214 F. TERRE, op. cit., Précis Dalloz, p. 153.

215 V. Cass. 3ème civ. 20 déc. 1994 : Bull. civ. 1994, III, no. 229; JCP G 1995.II,

22491, note Ch. Larroumet.

216 Cass. com., 3 oct. 2006, no. 05-13.052, note R. Wintgen, p. 25. 217 Ch. LARROUMET, note préc,. p. 515.

donc pertinent de s’interroger sur les conséquences de l’inobservation des formes convenues par les parties.

§3. Le problème de la sanction en cas de non-respect des formes conventionnelles

199. L’argument qui fait vraiment obstacle à l’admission de l’équivalence

entre les formes d’origine légale et les formes conventionnelles est celui qui affirme qu’en cas de non accomplissement de la forme convenue la sanction ne peut pas être la même qu’en cas de non accomplissement d’une forme d’origine légale.

Ainsi, les conséquences logiques qui découlent du caractère consensuel des formes conventionnelles empêchent que leur soit appliqué le régime juridique des formes d’origine légale. Par conséquent, l’inobservation des formes conventionnelles ne peut pas être sanctionnée par la sanction de la nullité.

200. Ainsi, lorsqu’on est en présence de formes d’origine consensuelle, les

parties pourront, par la même voie conventionnelle, défaire ce qu’elles ont fait. Donc, après avoir prévu l’exigence d’une forme pour l’extériorisation de leur consentement, elles pourront, par la suite, modifier la convention ou même la détruire218.

201. En effet, la jurisprudence a même admis la possibilité de priver

l’accord d’effets par le seul accord tacite, c’est-à-dire que la renonciation à la forme n’a pas besoin d’être expresse219.

C’est le cas de l’arrêt rendu le 24 novembre 1965 par la 1re chambre civile où la Cour de cassation a affirmé que « les parties sont libres en effet de renoncer à la forme convenue que leur accord seul leur impose ; elles peuvent

218 M.-A. GUERRIERO, op. cit., p. 88.

219 « C’est encore en raison de sa nature conventionnelle que les dérogations des

parties au formalisme volontaire ne sont pas traitées sur le terrain de la confirmation mais relèvent du mutus consensus. C’est ainsi que l’acceptation sans aucune réserve de la levée d’option par un contractant rend la vente parfaite nonobstant le non- respect des exigences de forme convenues initialement entre les partes ». Cass. 1ère

donc d’un commun accord y renoncer »220. En l’espèce, une promesse de vente portant sur des terrains à bâtir stipulait que l’option serait levée « par lettre recommandée… ou par exploit d’huissier ». Cependant, le bénéficiaire avait levé l’option par simple lettre à laquelle les promettants avaient répondu en « indiquant, sans moindre réserve qu’ils considéraient la vente comme définitive ». La Cour de cassation a considéré qu’il était irrecevable pour le vendeur de se prévaloir de la méconnaissance de la forme convenue, et par conséquent le contrat était valablement formé.

Ainsi, la jurisprudence a reconnu la possibilité d’écarter des exigences de forme d’origine conventionnelle par une renonciation tacite, laquelle peut être déduite de la même exécution du contrat, bien que l’accord n’ait pas été donné dans la forme convenue221.

202. De l’interprétation de cette décision il a été soutenu que « le

formalisme que dans une convention les parties s’imposent à elles-mêmes pour les actes qu’elles auront à accomplir dans l’exécution de leur accord est d’une autre nature que le formalisme qu’impose la loi. La forme convenue ou réservée est sanctionnée tout autrement que la règle de forme. Sa sanction est sous la dépendance de la volonté des parties »222.

Plus radicalement la doctrine n’a pas hésité à affirmer que « ces solutions marquent nettement la différence de nature qui existe entre la forme convenue et la forme solennelle, car la forme solennelle est impérative et de ce fait insusceptible de renonciation et d’équipollent. Il n’est donc pas douteux que la forme convenue ne rend pas l’acte juridique solennel. La volonté des parties ne peut rendre solennel un acte juridique qui, parce que précisément sa forme est volontairement choisie par les parties, ne peut être que consensuel. Seule la loi peut imposer une forme solennelle »223.

Par conséquent, l’impossibilité pour le juge de sanctionner le non accomplissement des formes conventionnelles par la nullité découle en

220 Cass. 1ère civ. 24 nov. 1965, Bull 1965 I, no. 652, p. 496.

221 V. dans le même sens Civ. 6 juillet 1964, Bull. 1964, I, 288 ; Civ. 13 juin 1961,

Bull. 1961, I, 245.

222 J. CHEVALIER, note préc., Bull 1965, p. 529.

principe de sa nature conventionnelle. Cela s’explique aussi par la solidité du lien unissant annulation et règle légale. En conséquence, « les conditions conventionnelles de forme devraient plutôt trouver une sanction adéquate dans la caducité, s’agissant du sort réservé aux actes valables selon les exigences légales mais auxquels il manque une condition de formation ou d’efficacité d’origine partiellement ou totalement volontaire »224.

203. Dans le droit colombien, les solennités d’origine conventionnelle ne

peuvent pas constituer des causes pour sanctionner le contrat avec la nullité. Le Code civil colombien, dans son article 1740 prévoit la nullité de tout acte ou contrat qui manque aux conditions expressément établies par la loi. Cela exclut la possibilité pour les parties de créer des conditions distinctes225.

204. Toutefois, et malgré les différents points de vue sur le sujet, lorsqu’il

s’agit d’un contrat consensuel, les parties peuvent, en principe, imposer librement des formes de validité au contrat. A l’appui de cette idée vient le constat du rôle du formalisme dans le droit contemporain des contrats, où il se concrétise, de plus en plus, comme un instrument visible de protection de la volonté des parties.

Ainsi, en principe, rien ne peut empêcher les parties de choisir les formes pour conclure le contrat, mais aussi de les ériger comme des éléments de validité de leur engagement. La possibilité de conclure des conventions sur des formes de validité montre comment le formalisme peut devenir un instrument par lequel les parties protègent elles-mêmes leur volonté lors de la conclusion du contrat, et consolide le formalisme comme un indéniable instrument au service de la volonté des parties.

205. En revanche, la situation est différente lorsque les parties veulent

conclure un contrat formel. Lorsque le contrat est solennel la volonté des parties joue un rôle très différent, qui mérite également d’être abordé.

224 V. FORRAY, op. cit., p. 108.

225 F. HINESTROSA, Tratado de las Obligaciones II, De las Fuentes de las

Obligaciones : El Negocio Jurídico, TII, V. 1, Universidad Externado de Colombia,

2015, p. 503.

Section 2. Le formalisme conventionnel de substitution (contrat formel)

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